J’ai tenu parole et j’étais de retour le 2 octobre. Entre temps Eve, la sœur de Bernard était arrivée. Nos journées étaient rythmées par les horaires de visites à l’hôpital. Son état déclinait, elle avait de plus en plus de difficultés à parler. Chaque jour, notre seul objectif était de lui apporter du confort, du soin, de la soulager. Quand la parole est devenue à tel point difficile, les autres sens ont pris le relais de la communication. On chantait, on écoutait de la musique, on la massait, on lui faisait les ongles… On était à l’affût de chaque réaction : le moindre sourire, le moindre haussement de sourcil, le moindre frissonnement… On scrutait ces indices pour mesurer les effets de nos interactions. Dans son silence, elle était extrêmement expressive.
La pudeur m’a empêché de parler de ce qui était en train de lui arriver. Mille fois les mots sont restés bloqués au fond de ma gorge, paralysés par la peur. « Si je n’en parle pas, ça n’arrivera pas… ». Construction mentale enfantine, irrationnelle. Aujourd’hui, je regrette amèrement de ne pas avoir eu le courage. Quel niveau de conscience avait-elle de la situation ? Aurait-elle voulu en parler ? Est-ce qu’il était trop tard au moment où elle a réalisé ? Était-elle prisonnière de ce corps sans pouvoir s’exprimer ? C’est grâce à l’hypnose, quelques mois plus tard que je suis enfin parvenue à mettre des mots, à lui parler et à me libérer de ce poids.
Vincent me rejoindra le 6 octobre, c'est bon de le sentir près de moi. On rentrera ensemble à Paris le 7 octobre. Anita est restée avec les enfants.
Je reviens dès le 8 octobre. Son état ne fait qu’empirer. Elle commence à faire des œdèmes. Colette et Gilles viennent aussi lui rendre visite. Les gens qui l’aiment se relayent à son chevet, je suis heureuse qu’elle ait cette présence. Un jour de colère elle m’avait dit « tu verras, de toute façon on crève seul », je suis heureuse de l’avoir contredit encore dernière une fois.
Le vendredi 10 octobre, c’est la fête à l’école de Tymeo. Je refais un aller-retour à Paris. Je veux l’accompagner, continuer d’être présente pour eux.
La respiration d’Isa se fait de plus en plus difficile. On se raccroche au moindre signe positif : une bonne nuit, un sourire, plusieurs heures sans tousser…Mais l’espoir nous a quitté.
Le dimanche 13 octobre, j’avais prévu d’arriver par le train de 13h. Bernard m’envoie un message à 6h pour me dire qu’elle risque de partir aujourd’hui. Je saute dans le train de 7h et j’arrive à 10h30.
Elle s’est finalement éteinte un peu après 13h, auprès de nous trois.
Il n’y a pas de mots pour décrire ces moments.
Sa cérémonie aura lieu le 17 octobre. Encore une bien étrange coïncidence de date. Le 16 octobre étant mon anniversaire, on a demandé aux pompes funèbres d’éviter cette date. C’en était trop moi.
J’ouvre à nouveau une parenthèse sur cette histoire de date. Voilà plusieurs mois que j’ai entamé cette écriture et nous sommes aujourd’hui le 12 août, le jour de son anniversaire. Je suis extrêmement troublée d’en être là dans mon récit. Je ne crois plus aux coïncidences.
J’ai un très beau souvenir de cette journée. Nous étions très nombreux, il faisait beau. Après une cérémonie très émouvante, nous avons passé l’après-midi sur la plage, entourés de tous les gens qu’on aime. Les gens étaient heureux de se revoir, de se rencontrer autour d’elle. Le soir nous sommes allés manger une crêpe dans un restaurant qu’elle aimait. Je suis certaine que de là où elle était, elle souriait. C’est exactement le genre de journée qui la rendait heureuse.