1er mars: anniversaire de Charlotte! Deux ans déjà, les joies du traditionnel gâteau au chocolat d'anniversaire, orné de fraises et de framboises. Autant de chocolat dans le ventre, qu'autour de la bouche. Un vrai moment de bonheur, qui me fait sentir plus vivante que jamais et qui me donne tellement de force pour affronter tout ça. Il n'y a pas de plus belle perspective que de voir mes enfants grandir...
Le 11 mars, deux semaines se sont écoulées après la première chimio. Quand l'oncologue m'a demandé le jour de semaine que je souhaitais choisir, j'ai privilégié le lundi, de manière à être opérationnelle le week-end pour les enfants.
Un choix que je n'ai pas regretté dès cette deuxième cure.
Dès la sortie de l'hôpital, j'ai senti un changement dans mon corps, une fatigue qui, doucement, s'installait.
Cette fois-ci j'ai pris un taxi pour rentrer. Un peu après la place de la République, en remontant le boulevard magenta, j'ai passé ma main dans mes cheveux. Quelques-uns me sont restés entre les doigts. J'ai renouvelé le geste, juste pour voir si c'était bien cela. Une deuxième poignée m'est restée dans la main.
J'ai souvent perdu mes cheveux. J'ai les cheveux bouclés, je ne les peigne qu'à la sortie de la douche. J'ai toujours quelques cheveux qui s'accrochent à mes doigts. Mais là, la sensation était différente. Il n'y avait aucune résistance, ils glissaient tout seul, sans retenue, comme s'ils s'étaient déjà détachés depuis longtemps. C'était très surprenant.
Ce soir-là, la fatigue s'empare de moi très rapidement et le lendemain matin, je découvrais quelques cheveux sur l'oreiller.
A la fin de semaine, ma décision était prise, je me rasais la tête. Vincent a toujours voulu me voir avec la tête rasée. Ça peut paraitre bizarre mais il était persuadé que ça m'irait bien. Je n'aurais, je pense, jamais sauté le pas si la situation avait été autre. Mais là, je me suis dit pourquoi pas tenter l'expérience ? De toute les manières, je ne me voyais pas non plus attendre de me déplumer sans rien faire. Je voulais reprendre le contrôle de la situation.
Le samedi matin, nous sommes à la campagne, Vincent attrape sa tondeuse et ni une ni deux, me voilà avec un côté rasé. On rigole, on prend des photos. Et me voilà ensuite avec une crête sur la tête. Une vrai punk ! Solidaire, Vincent se rase aussi les cheveux !!
Tymeo passe une tête dans la salle de bain. Il nous prend pour des fous !! Coup de tondeuse final, et me voilà avec un demi-centimètre sur le crâne.
Ce crâne qui était enfoui sous une masse de cheveux, se révèle finalement assez homogène. Me voilà rassurée ! Et je dirais même que je trouve la coupe assez sympa. Même si je ne sais pas si j'oserai la porter hors contexte ou si j'aurais envie, une fois les cheveux repoussés, de retenter l'expérience. En tout cas, je ne regrette absolument pas le geste de ce matin-là.
A midi, on part déjeuner dans le petit restaurant du village voisin. Au regard des quelques personnes que nous croisons, je prends la mesure de cette nouvelle apparence somme toute assez inhabituelle dans le coin !
A table, une petite fille demande discrètement à sa mère : "pourquoi elle a les cheveux comme ça la dame ?". Plus tard, quand les cheveux tomberont complètement, je serai souvent confrontée à ces remarques que seuls les enfants osent faire. Alors que les adultes n'en pensent pas moins. J'ai pris le parti là aussi, d'y répondre en expliquant la maladie, en rassurant sur le caractère temporaire de la situation. Et finalement, seuls les adultes continueront de se sentir mal à l'aise. A quoi bon ? L'enfant, lui, une fois rassuré, passe à autre chose.
Outre la chute des cheveux, cette deuxième cure de chimio, marqua également le début des premières nausées. Ou plutôt une sensation d'écœurement. Certaines odeurs, le café, la graisse d'une volaille qu'on fait rôtir, le plastique me soulèvent l'estomac.
Côté alimentation, j'évite au maximum le sucre, je me fais des jus verts le matin, je fais des cures d'aloe arborescens et bien sûr je continue les jeûnes "pré-chimios". Mon estomac et mon foie me guident de préférence vers des plats crus, sans sauces et sans matière grasse. Une sorte de diète qui s'impose d'elle-même. Le reste ne passe pas. Je force un peu, pour ne pas perdre trop de forces.
Je me fais enguirlander par l'acupuncteur ! En médecine chinoise, il est déconseillé de manger froid. Le corps a besoin de toute l'énergie possible. Manger froid et cru sollicite une mobilisation de l'énergie vitale du corps. Pas facile toutefois de lutter quand on a la nausée.
Je sens également apparaître des premières aphtes. A ce moment-là, rien de très méchant. J'arrive à gérer la sensation de gène avec des bains de bouche au bicarbonate.
Après la troisième cure de chimio, le 25 Mars, le corps montre de vrais signes de fatigue. Comme s'il manquait de ressources pour pouvoir accuser le coup une troisième fois. Les globules blancs sont en chute libre. L'appétit est petit petit.
Les cheveux commencent à se clairsemer. Un soir, Joséphine et Tymeo me disent en riant : "Derrière, tu as des trous dans la tête". C'est cette phrase qui me décide finalement à passer à l'étape suivante : le rasage à blanc.
Vincent me dit d'attendre que ça tombe complètement, mais je n'ai aucune envie d'avoir des "trous dans la tête". Je préfère de loin anticiper, de toute façon, ce n'est qu'une question de jour.
Les premiers instants sont étranges, il faut un peu de temps pour s'habituer. Là où Vincent avait trouvé la transformation plutôt drôle et réussie au premier rasage, je sens que là, on a franchi une nouvelle étape. Pendant quelques instants, son regard est plus sombre, presque inquiet. La perte des cheveux marque vraiment la maladie ; l'étiquette du cancer. Pour ma part, je suis soulagée, je préfère retrouver une uniformité et de tout façon ça repoussera !
Finalement, on se fait assez vite à cette nouvelle tête. J'ai le droit à un "Waouh ça fait bizarre" de la part de Tymeo. Et quelques minutes plus tard, c'est comme si de rien était. Charlotte, elle, ne semble même pas avoir vu la différence... Ce qui est beau chez les tout- petits, c'est qu'ils regardent avec le cœur !!
Au bout de quelques jours, le cheveu n'est plus rasé mais le bulbe est tombé, laissant une peau douce et délicate. J'ai fini par adorer la sensation de "crâne nu". Il est conseillé par contre de bien s'hydrater la tête, car en l'absence de sébum, le cuir chevelu peut vite se dessécher.
Les massages à même le crâne sont divins...
L'été, j'ai aussi gouté au plaisir de plonger la tête sous l'eau, dégagée, libre...et loin de la préoccupation du séchage !
Les premiers temps, je porte le plus souvent des foulards, turbans que je fabrique avec des coupons de Wax, dénichés dans les boutiques africaines du quartier. Au début, la nuit je porte même un petit bonnet en bambou pour ne pas attraper froid. C'est là qu'on prend conscience du rôle protecteur des cheveux !
Dès qu'il commence à faire beau, les tissus me tiennent chaud, je préfère alors sortir tête nue. L'avantage à Paris, c'est que les gens ne portent que peu d'attention à ce genre de détails. On peut parfois lire de la surprise ou de la pitié dans le regard des gens, mais pas de regard insistant ; ils passent très vite à autre chose. Ou alors, je n'y prête pas vraiment attention.
A l'école, les enfants demandent à Tymeo : "pourquoi ta mère n'a pas de cheveu?". Il se lance alors dans l'explication du cancer, de la bataille des petites cellules pendant la chimio... il est presque fier d'en connaitre autant!!
J'ai perdu mes cheveux en premier, les autres poils sont tombés quelques semaines plus tard. La perte des cils et des sourcils ont été plus difficiles à accepter. J'avais la sensation que mon visage s'effaçait. L'anémie provoquée par la chimio me donnait le teint pâle. A ce moment-là, entre malade ou excentrique, on ne se pose plus la question.
J'apprends au cours de ce mois de mars qu'Audrey, mon "coach cancer", a récidivé. Une petite tumeur dans le creux axillaire, sous sa cicatrice. Elle ne l'avait pas sentie. Elle est confiante, reprise de la chimio mais taxol uniquement cette fois-ci. Je n'ose imaginer l'effet d'une telle annonce. Alors que je viens d'entamer ce même parcours, j'ai peine à croire qu'on puisse trouver la force d'y retourner une seconde fois; ça me parait insurmontable...
On commence alors à se soutenir mutuellement et échanger sur nos chimios respectives avec des perspectives de célébrations communes de fin de traitements.