La seconde injection de Taxol qui aurait dû avoir lieu le mercredi 1er mai a été décalée au lendemain: la fête du travail est aussi célébrée pour le corps ! Répit !
Le jeudi 2 mai, à mon arrivée à l'hôpital, le laboratoire n'a pas encore sorti mes résultats d'analyse, un retard certainement pris avec le jour férié.
Généralement, nous recevons conjointement les comptes rendus : par fax pour l'hôpital / par mail pour moi. Parfois le fax n'arrive jamais mais c'est la première fois que je ne reçois rien de mon côté. On appelle le labo, il est encore tôt, on me fait patienter. J'attends, je relance le laboratoire plusieurs fois dans la journée ; les heures passent. Je commence à comprendre pourquoi on nous appelle les "patients".... Arrivée vers 9h, je ne pourrais être prise en charge que vers 16h, juste à temps pour pouvoir faire la séance. Au-delà, la durée de soins aurait été trop longue pour pouvoir recevoir le traitement aujourd'hui.
Tandis que l'infirmière prépare son arsenal de combat, l'interne passe rapidement, mes analyses à la main. "C'est bon, on a reçu le bilan, on y va". C'est la première et la seule fois que je ne verrai pas mes résultats avant l'injection. A regret, j'aurais dû demander. La confiance n'exclut pas le contrôle.
En arrivant le soir à la maison, je finis par recevoir le mail du laboratoire. Je m'aperçois avec stupéfaction que je n'aurais pas dû recevoir cette chimio. Les conditions requises n'étaient pas remplies, les neutrophiles étaient retombés à 30 mm3 pour un minimum de 1000 mm3.
J'essaye de ne pas m'inquiéter, je me sens bien. Je retourne demain à l'hôpital pour rencontrer le radiothérapeute : je ferai le point avec lui.
Le vendredi 3 mai, je fais donc la connaissance le radiothérapeute qui m'est attitré. Il est mon troisième référent. Son bureau est situé dans le sous-sol du bâtiment Antonin Gosset (Bâtiment Antonin Gosset à retrouver ici).
Ma première rencontre avec lui m'a laissé un souvenir assez mitigé.
C'est un jeune docteur, la trentaine je dirais. Plutôt du genre conventionnel.
Bizarrement, il me met presque mal à l'aise. Au moment de m'ausculter, je retire mon pull et là, mon turban part avec. L'alopécie devant être courante chez ses patients, je ne m'attends pas à sa réaction. Il semble porter sur moi ce que j'appelle "le regard des curieux empathiques". Ce même regard que les gens peuvent avoir lorsqu'ils croisent quelqu'un avec un handicap ou une malformation. Un regard du coin de l'œil, priant de ne pas être pris en flagrant délit de voyeurisme, mais ne pouvant s'empêcher de regarder. Suivi d'une expression de pitié. Je suis assez atterrée de cette réaction mais je me dis que, peut-être, ai-je mal interprété la situation ? Quoi qu'il en soit, je reste tête nue jusqu'à la fin de la consultation. Peut-être pour vérifier cette impression ou simplement par pure provocation ?
Il se veut vaguement rassurant sur le fait d'avoir reçu cette chimiothérapie en dépit des résultats du bilan sanguin mais sans vraiment prendre position. La seule chose à faire : bien suivre la remontée des globules blancs et continuer les injections de Zarzio (entre les deux types de chimo, je suis passée des injections de Neulasta aux injections de Zarzio).
Allopathe résolu, il ne montre pas beaucoup d'ouverture aux thérapies alternatives. Sans m'aventurer très loin, je lui demande quand même s'il connait des magnétiseurs, coupeurs de feu.
La radiothérapie agit comme une brulure des tissus. Les coupeurs de feu sont réputés pour atténuer les effets secondaires des traitements. J'avais lu et entendu beaucoup de témoignages dans ce sens-là et je pensais, à tort, que cette pratique était désormais (re)connue.
J'ai donc été rapidement déboutée. Une réponse qui a été assortie par une comparaison tout à fait étonnante : "c'est comme si je vous disais que j'avais une Ferrari sur le parking. Vous iriez voir ou vous me croiriez ?". J'ai souris poliment (bêtement ?) en pensant très fort "alors déjà j'en aurai absolument rien à f### et d'autre part, je ne vois pas le rapport ?" J'imagine qu'il essayait de me dire poliment que cette pratique non scientifiquement prouvée n'avait aucune valeur à ses yeux...
Si la première impression n'a pas vraiment été la bonne, j'ai appris par la suite à le connaître, à lui faire confiance, malgré ses maladresses. J'ai parfois l'impression qu'on est sur deux planètes différentes mais ça ne m'empêche pas de beaucoup l'apprécier et de savoir que je peux compter sur lui.
Il m'explique longuement les implications de la radiothérapie, ses effets secondaires et surtout son fonctionnement "logistique". Sur le moment, j'ai l'impression que c'est une véritable usine à gaz et que je ne me souviendrais jamais des process.
Je suis affectée au Clinac 2 (nom de la machine). Il me parle d'une histoire de carnet de séance à déposer devant la porte du Clinac 2 et à récupérer après la séance puis une fois par semaine, le mercredi, devant la porte du bureau des internes pour être vu par un médecin. Il m'explique les couloirs, les portes, les rendez-vous. Tout est très abstrait pour moi, je ne retiens rien. A part que ce carnet est hyper important et qu'il faut qu'il me suive tout au long de la radiothérapie! Heureusement dès la première séance, tout s'éclaire. Le fonctionnement est finalement simple et limpide; il suffit de le faire une fois.
Mais une fois encore, on ne parle pas de l'essentiel.
Spontanément, aucune explication du fonctionnement médical des rayons, de leurs mécanismes d'action sur la tumeur ou des conséquences pour le corps. On nous prépare uniquement à ce qui est visible et à ce qu'on va ressentir comme effets secondaires par exemple.
Si on ne pose pas de questions précises, le discours ne va pas plus loin. Or, étrangers au monde médical, on ne dispose souvent pas de tous les outils nécessaires pour poser les bonnes questions. Et pour autant, on est à même de comprendre. Jusqu'à preuve du contraire, le cancer ne s'est pas encore attaqué à nos neurones. On s'adresse à nous avec la condescendance d'un adulte qui sous estimerait le potentiel de compréhension de l'enfant ; comme si on ne pouvait pas appréhender ce qui se passe dans notre corps ou dans le fonctionnement des traitements.
Pendant cette année, j'ai beaucoup lu sur le cancer. Pas seulement des forums avec des retours d'expériences ou des bandes dessinées légères mais des articles scientifiques, des ouvrages d'oncologues, des études médicales,... "Le savoir, c'est le pouvoir" - Dan Abnett. Je voulais reprendre le pouvoir sur mon corps.
Au fil des rendez-vous, j'accumulais des connaissances et j'essayais de creuser un peu plus ces questions de fonds. A titre d'exemple, j'aurais aimé savoir dès ce premier rendez-vous que la radiothérapie viendrait affecter mes poumons et mon cœur. "L'irradiation provoque une diminution des capacités de quelques pourcentages des organes avoisinants" m'annoncera t'on après les 25 séances de radiothérapie. "Rien d'essentiel rapporté au bénéfice/risque". C'est le type de phrase qu'on devrait entendre avant d'être mis au pied du mur. Bien entendu qu'on comprend le principe du "bénéfice/risque", c'est d'ailleurs le motto de tous ces traitements. Mais ce fonctionnement, très propre au milieu médical et à beaucoup de praticien, est terriblement infantilisant.
On est arrivé au même constat dans le parcours de ma mère. On s'est souvent refait le film à l'envers en se disant que si on avait su plus tôt certains éléments essentiels, on les aurait gérés différemment. Je ne dis pas que ça aurait changé le dénouement mais on aurait certainement perdu moins de temps. Elle y aurait gagné en confort et en tranquillité.
En savoir + sur la radiothérapie: ici.
Le 09 Mai, je me rends à l'hôpital pour la troisième injection de Taxol. Je ne suis qu'à 90mm3 de neutrophiles, toujours bien loin des 1000 mm3 requis. Je suis cette fois déterminée à me faire entendre sur le sujet et à obtenir les réponses attendues.
A mon arrivée, l'infirmière valide là aussi mon dossier. Cette fois je réagis et je la questionne sur les taux du bilan sanguin. Ennuyée, elle se rapproche de l'oncologue de service ce jour-là, qui confirme catégoriquement que la chimio ne peut être faite et qu'il faut la reporter de quelques jours.
J'évoque avec ce médecin l'incident de la dernière fois. Elle reste dubitative et m'assure que c'est impossible. Je l'invite à vérifier dans mon dossier.
Elle blêmie et me confirme qu'il y a bien eu une erreur. Je lui demande quelles sont les conséquences et les risques encourus. "C'est une atteinte grave de votre système immunitaire qui peut être fatale. Il faut que vous restiez isolée pour éviter d'être en contact avec un virus et on va augmenter les doses de zarzio pour faire remonter au plus vite les globules blanc".
"Fatal", l'impact des mots est fort et continue aujourd'hui à résonner en moi. Encore une fois on est si peu de chose, ça ne tient parfois à rien.
Elle vacille, la situation est assez inconfortable pour elle. Passées les premières minutes de stupéfactions, elle n'arrive pas à réprimer sa colère face à ce manquement. Difficile pour autant de s'engager face à moi contre un membre de son équipe. Elle quitte poliment le box, se confondant d'excuses.
Au-delà de la peur que j'ai pu ressentir à ce moment-là, c'est un sentiment de révolte qui m'a envahi. Je ne pouvais pas laisser passer ces différents épisodes, révélateurs de véritables failles dans le système. Je voulais me protéger, protéger les suivants, d'une situation qui pouvait se réitérer.
Investie de cette responsabilité, j'écrivais le soir même à l'oncologue pour dénoncer ces fautes. Autant dire une bouteille jetée à la mer. L'information a due cependant être relayée d'une manière ou d'une autre. J'ai recroisé l'interne qui avait validé cette malencontreuse injection mais je n'ai plus jamais eu affaire à lui.
Cet épisode aura eu des répercussions sans précédent dans mon rapport au corps médical. La confiance que je pouvais lui porter a été une fois plus ébranlée. Alors que je leur remets ma vie entre leurs mains, je touche à ce qu'il y a de plus profondément humain : le droit à l'erreur. Sauf qu'en médecine, ce n'est pas permis. Or comment se prémunir de ce qu'il y a de plus naturel ? "L'erreur". J'ai souvent cette pensée. Je croise dans ma vie professionnelle tellement de gens incompétents qui arrivent pour autant à des postes importants, à responsabilités. Je m'interroge toujours à savoir comment ils ont fait pour passer entre les mailles du filet. Et je ne peux m'empêcher de faire le parallèle avec le corps médical : pourquoi eux échapperait-il à ce constat? Au fil des années, le système s'est étoffé de procédures, de points de contrôle, de vérifications pour lutter justement contre ces mégardes. Mais ce système est bien insuffisant et il ne faut pas perdre de vue que la responsabilité de notre corps nous revient. Bien souvent, on place le corps médical sur un piédestal. Considéré comme "le savant", on s'en remet à lui les yeux fermés, oubliant parfois son propre savoir. Qui d'autre que nous même est mieux placer pour savoir déceler ce qui ne va pas ? Pour moi, le "savant" c'est le patient qui consulte le "sachant" pour l'orienter. Je suis intimement persuadée de l'importance qu'il y a à rester acteur de sa santé, comprendre ce qu'il se passe, challenger les décisions, contrôler ses résultats. Ne pas s'en remettre aveuglément aux médecins sous prétexte qu'ils ont le savoir. Une fois de plus "la confiance n'exclut pas le contrôle". Pour autant, la confiance qu'on leur porte est décisive dans la guérison. Elle impacte la manière dont on va recevoir et accueillir les traitements, dont on va s'en emparer. A titre d'exemple, prendre un médicament tous les jours implique la nécessité d'être convaincu de son effet bénéfique et de son importance, sans quoi on aura vite fait d'oublier de le prendre rigoureusement. L'ambivalence et la complexité de ces rapports aux équipes médicales m'ont beaucoup fait réfléchir durant cette période...
Finalement, je recevrai cette troisième injection le mardi 14 Mai, avec une stabilisation de mon bilan sanguin.
Mon quotidien continue d'être rythmé par les allers/retours à l'hôpital, entre traitements, séances de sport, art thérapie ou psychologue, je suis là quasiment tous les jours.
Le 16 Mai, je fais le 1er bilan avec la coach sportive. Après ces premiers mois d'activité sportive, on fait le point sur la souplesse, la résistance à l'effort, le poids. Je suis heureuse de pouvoir constater que, malgré la fatigue accumulée, je réalise de meilleures performances sur tous les tests, mais surtout sur la souplesse et sur la récupération de la mobilité du bras après l'opération. Côté masse musculaire, comme sur la masse graisseuse, j'ai par contre perdu du poids, près de 8 kilos. Et ça, la coach, elle n'aime pas trop !
Heureusement, le taxol est moins difficile à supporter, que ce soit en termes de nausées ou d'aphtes, je retrouve un équilibre alimentaire et de l'appétit. Les kilos devraient suivre !