Paradoxalement, je suis sortie de l'hôpital très vite. Le mercredi 10 février, les drains ne donnaient plus. Le chirurgien validait la sortie. Le lendemain matin, l'interne de service m'annonçait à contrario que je ne sortirai que le vendredi. Hors de question de passer une nuit de plus, je relançais les négociations. Il rappela le chirurgien qui confirma finalement une sortie en fin de matinée. Un petit passage en force mais indispensable à ma santé mentale !
Vincent était autorisé à venir me chercher pour m'aider à prendre mes affaires et à me déplacer. Je me souviens très distinctement du trajet entre la chambre et le taxi. Un pied après l'autre, je convoitais chaque banc ou chaque chaise sur mon passage. Le moindre pas était douloureux, ma tête tournait. Le chemin me paraissait interminable. Mais ce soir je dormirai dans mon lit, sans passage d'infirmière, sans prise de sang à 6h du mat'. Le repos allait enfin pouvoir commencer. Voilà qui me donnait la force d'avancer.
On était alors le 11 février 2021, exactement un an jour pour jour à l'heure où j'écris ces quelques lignes. 365 jours, si peu à l'échelle d'une vie et pourtant, j'ai l'impression que c'était il y a une éternité. J'ai déjà subi quatre autres interventions depuis et mon corps a fait preuve d'une incroyable résilience et d'une capacité de récupération insoupçonnable. J'ai retrouvé une certaine forme physique. Et même si j'ai encore des progrès à faire, j'ai repris l'escalade.
Ma reconstruction n'est pas terminée mais j'ai retrouvé, notamment à gauche, la forme de mes seins.
On n'a pas idée de la complexité de recréer intégralement la forme d'un sein. Après une mastectomie et des rayons, la poitrine est devenue ni plus ni moins une terre brulée. Il n'y a plus l'ombre d'une forme, la peau adhère à la poitrine laissant uniquement la trace d'une cicatrice longiligne. Il faut alors reformer le sein, recréer un sillon mammaire sans parler ensuite de redessiner le mamelon et l'aréole.
Le retour à la maison allait être calme. Les enfants partaient chez leurs grands parents pour les vacances. Anita était venue à Paris pour les récupérer. Je faisais le plein de câlins avant qu'ils ne partent le dimanche.
Je passais mes journées allongées sur la canapé ou dans mon lit avec une nouvelle tâche à laquelle m'atteler : écrire pour la mémoire familiale! L'objectif de départ était modeste : quelques dates avec les événements marquants. Le projet s'est finalement étoffé avec le temps et le goût à la rédaction ! Une appétence partagée avec Stéphanie, certainement la plus littéraire de mes amies. Elle avait le don de me communiquer sa fibre pour l'écriture et elle me poussait dans ce travail introspectif. Nous venions de passer l'une et l'autre une année compliquée mais les retrouvailles n'en étaient que meilleures.
Le rétablissement prenait du temps, je commençais à m'impatienter de retrouver un peu de mobilité. Chaque jour ma super équipe d'infirmièr.es passaient pour les soins. Ils prenaient le relais de la surveillance hospitalière.
Au bout d'une dizaine de jours, la plaie n'était toujours pas cicatrisée et la peau nécrosée n'était pas très jolie à voir. Le mercredi 24 février, je retournais donc à l'hôpital pour consulter. Après avoir nettoyé la plaie, la nécrose a été retirée et le chirurgien décida le suturer la palette qui avait été conservée pour l'enfouir définitivement. En gros, il rapprocha les bords du lambeau et cousu comme on referait ses lacets. Bien évidemment, le tout sans anesthésie. J'étais pétrifiée et je commençais doucement à vaciller. Heureusement comme la zone avait perdu toute sa sensibilité, je n'ai rien senti...
Je rentrai finalement soulagée, me pensant sur la bonne voie. Mais le lendemain, une légère fièvre a commencé à s'installer progressivement.
Le vendredi 26 février, la fièvre était maintenant bien installée, la plaie suppurait. Tout ça ne me disait rien qui vaille. Je retournai à l'hôpital mais cette fois avec une petite valise et l'intuition d'un nouveau séjour de surveillance.
Le chirurgien a évalué la situation avec plus de pessimisme cette fois. Soit l'infection était maîtrisée et éradiquée dans les 48h, soit il faudrait opérer à nouveau et déposer le lambeau. Si la greffe échouait, il faudrait donc remplacer le DIEP par le grand dorsal.
Ma première réaction a été de refuser en bloc l'opération. On avait déjà évoqué cette éventualité et je m'y étais déjà opposée. L'escalade avait été une vraie révélation après les traitements du cancer, une alternative parfaite à la thérapie sportive. La pratique régulière d'une activité permettait concrètement d'améliorer mes chances de rémission et diminuer les risques de rechute.
Quand on avait discuté des options possibles de reconstruction, le grand dorsal avait été toute suite écarté. Le retrait de ce muscle, même partiel, avait peu d'incidence dans la vie quotidienne ou dans les activités sportives, sauf pour l'escalade. Appelé également "muscle du grimpeur", le grand dorsal joue un rôle majeur dans la pratique de ce sport.
Pour moi, l'échec du DIEP n'était pas envisageable. Il fallait que ça fonctionne. Je ne voulais pas voir les choses autrement. Pourtant à ce moment-là, le chirugien était clairement en train de m'y préparer.
Pour ça, il ne manquait pas d'argument : l'opération était sans risque, beaucoup plus rapide que le DIEP. Contrairement à la précédente opération, le lambeau gardait sa vascularisation. Le muscle du dos était "tout simplement transféré" en lieu et place du lambeau actuel. Et puis la cicatrice du dos ne serait pas plus grande que 5 à 10 cm, dissimulée sous le soutien-gorge. Pas de nouvelles cicatrices sur le sein, il reprendrait les coutures existantes... Et puis, il irait peut-être simplement nettoyer l'infection et si le lambeau était en bon état, il refermerait. Ni vu, ni connu.
Et puis, et puis, et puis...rien ne me convainquait vraiment.
J'étais épuisée, fiévreuse, je réalisais que j'allais passer le week-end en observation à l'hôpital alors que les enfants rentraient de vacances le lendemain. Panique à bord. Je ne voulais pas y retourner. J'avais l'impression de ne pas avoir l'énergie et le recul pour prendre les bonnes décisions. Et à la fois, j'avais bien conscience que je n'avais pas non plus vraiment le choix.
Toujours à cause de ce foutu Covid, j'ai fait la consultation seule avec le chirurgien. Vincent m'attendait à l'accueil de l'hôpital. J'étais désemparée. J'allais me retrouver de nouveau isolée dans une chambre d'hôpital, avec une fièvre carabinée, envahie des doutes, happée par la peur d'une nouvelle intervention... et sans avoir revu les enfants depuis maintenant quinze jours.
Je me raccrochais à l'idée qu'il y avait une infime chance pour que la fièvre tombe d'elle-même et que je puisse rentrer au plus tard le lundi, pour l'anniversaire de Charlotte. Telle une petite musique d'enfant : si tu le veux très fort, ton souhait va se réaliser...
Arrivée dans le service, c'était reparti : pose du cathéter, évaluation des constantes, prises de sang,... On effectua tout une batterie d'analyse, Covid inclus. On écartait aucune hypothèse, même s'il y avait peu de doute sur l'origine de l'infection. Contrairement à ce que je pensais (et ce que j'espérais), je n'ai pas eu droit tout de suite aux antibiotiques. Le chirurgien ne voulait pas prendre le risque de masquer l'infection et passer à côté d'un rejet de greffe. Si c'était bien avéré, il voulait pouvoir agir vite de manière à conserver un maximum de tissus et de graisse dans le sein. En revanche, le service infectieux passa tout de suite faire des prélèvements sur la plaie. Les résultats prendraient plusieurs jours à arriver.
Je passais donc tout le week-end à lutter contre la fièvre. Toutes les 6 heures, la baisse du doliprane, la température qui remontait. Les infirmières trouvaient que je ne supportais pas trop mal la fièvre. Dès que je dépassais les 39°, elles m'amenaient des poches de glaces. Elles avaient parfois l'air plus préoccupée que moi. J'étais restée dans cet état plusieurs semaines de suite avec le CMV. Pour le moment, je ne tolérais pas trop mal la situation. J'avais par contre le moral dans les chaussettes avec ce retour à l'hôpital...