Le 15 juin, le gouvernement annonçait la reprise obligatoire en présentiel des élèves. On n'avait plus le choix. D'un autre côté, le télétravail restait préconisé et il ne restait moins de trois semaines avant le début des vacances scolaires. On décida de faire des équipes : Vincent et Tymeo rentraient à Paris la semaine et Charlotte et moi restions à la campagne.
Cette étrange période, bien que difficile dans un premier temps, restera un très beau souvenir. Passé les premiers jours d'adaptations et de réglages, nous avions trouvé un équilibre dans notre petite bulle tous les quatre. Il fallait à la fois organiser le temps de travail de Tymeo, occuper Charlotte et accomplir nos boulots respectifs. On définissait des temps propres à chacun, des temps de collectivités... un nouvel équilibre. On s'inventait mille métiers en plus des nôtres : puéricultrices, enseignants, cuistots, auxquels se rajoutaient nos lubies du moment : peintres en bâtiments, pisciniers, jardiniers,... Les nuits étaient studieuses et les journées bien remplies. Les jours de la semaine et du week-end se mélangeaient un peu. On rattrapait des heures de boulot le dimanche matin. En semaine, on profitait de nos rondes de "temps de garde" des enfants pour entreprendre avec eux des petits travaux de bricolage. La maison n'avait jamais été aussi bien entretenue.
Le temps prenait une autre dimension. On continuait de travailler autant mais différemment. Le rapport aux choses, aux autres, à la nature prenait une nouvelle place. Commençait à se dessiner un nouveau monde auquel je n'étais pas prête de renoncer.
Le cancer avait déjà ébranlé tout ça. Mes convictions, mes priorités. Quand j'ai repris à travailler, je n'arrivais pas à concilier cette nouvelle façon de voir les choses et le rythme effréné de nos vies. Je ne voulais pas reprendre les choses "comme avant". Je ne pouvais pas. Je n'étais plus la même. Les perspectives avaient changé. Et c'est comme si cette pandémie venait renforcer cette position. Je réclamais une autre organisation. Travailler de 9h à 18h dans un bureau n'avait plus sens. Je voulais pouvoir m'organiser en fonction de la charge de travail et non rentrer dans des plannings vides de sens. Prendre du temps pour moi, pour ma famille. Travailler aux heures qui me semblaient les plus efficaces. Avant la COVID, jamais je n'aurais pu évoquer ça. On m'aurait targuer d'anarchiste, voire de fainéante. Je ne découvrais pas cette organisation. Je ne découvrais pas le télétravail. Voilà plus d'un an que je m'organisais comme ça. A un rythme ralenti, certes mais avec des habitudes qui étaient déjà bien ancrées en moi. La pandémie aura eu cette vertu. Montrer aux entreprises, au système, que cette nouvelle façon de travailler fonctionne. Que la productivité n'est pas réduite à 8h de présence par jour assis devant un bureau. Bien au contraire. Sans quoi, je pense que j'aurais changé d'orientation ou en tout cas de mode de travail.
Quelques jours avant la fin officielle du confinement, nos tours de vélo s'élargissaient progressivement. On dépassait souvent le kilomètre qui nous était autorisé. C'est comme ça que je fis la connaissance hautement improbable de Christian et Nelly, un couple d'une génération presqu'au-dessus de nous. Le vélo de Tymeo faisait des siennes et Christian nous proposa son aide. La conversation s'engagea rapidement et il proposa de la poursuivre le lendemain chez eux autour d'un café. Le type de rencontre qu'on ne fait plus car les gens ont perdu l'habitude de communiquer simplement ou de se faire confiance. Pour ma part, j'étais enchantée. J'avais cruellement besoin de relations sociales.
Christian est un médecin généraliste, psychothérapeute, praticien en hypnose, aujourd'hui à la retraite. Il a transmis le flambeau à Nelly qui est également thérapeute avec comme corde à son arc : l'hypnose mais aussi l'EFT, la musicothérapie,... Elle est également musicienne en baroque : chanteuse et claveciniste.
On trouva très rapidement pleins de sujets de conversation. S'en est suivi d'autres cafés, puis des repas. Une rencontre fortuite qui se transforma rapidement en une jolie amitié et bien plus encore.