Le vendredi 5 juillet, dernier jour d'école avant les grandes vacances. Départ direction le Gault où l'on ouvre cette période par l'organisation d'un stage de musique animé par the Khu. 4 jours de stage, 12 élèves, 4 profs. Julie nous rejoint pour l'occasion. On est chargées des repas du soir. La semaine s'annonce donc festive même si l'avant dernière séance de chimio me vaudra un aller/retour à Paris le mardi.
Les événements prendront malheureusement une autre tournure.
Le dimanche 7 juillet, Julie passe la journée avec Bernard et Isa sur le bateau avant de prendre le train en fin d'après-midi pour le Gault. Depuis plusieurs jours, ma mère présente de légers troubles cognitifs, elle a des sortes d'absences qui peuvent durer de quelques secondes à quelques minutes. Au même moment, elle a de nouveaux médicaments et on soupçonne des effets indésirables. Cet après-midi sur le bateau, ces troubles s'accentuent : absences, paralysie d'un côté, difficultés d'élocution. Inquiets, ils écourtent la balade et rentrent à la maison. De retour chez eux, elle semble reprendre doucement ses esprits.
Mais en toute fin de soirée, Bernard nous appelle. Après de le départ de Jules, elle a fait une crise d'épilepsie. A ce moment là, l'infirmière est de passage, elle aide Bernard le temps que les secours arrivent. Arrivée à l'hôpital, elle passe un scanner en urgences. Ils ont découvert une tumeur au cerveau.
On est sidérées, accablées. Dans l'incompréhension la plus totale. Depuis plusieurs semaines, on parle de rémission, de sécurisation du protocole pour renforcer les résultats observés. Mi-avril, son tep scan révélait une régression spectaculaire de la tumeur à l'œsophage. Comment n'a-t-on pas pu déceler des métastases au cerveau ? Face à notre désarroi, je cherche à nous rassurer et à me convaincre par la même occasion. J'ai dans mon entourage le cas d'une femme en pleine rémission après un cancer au cerveau, un ami dont la mère a un cancer généralisé depuis plusieurs années,... Mais au fond de moi, je commence tout doucement à intégrer que les choses se compliquent, que la vie ne reprendra pas tout à fait son cours comme avant.
Et à la fois, je refuse catégoriquement de voir une autre issue, moins positive. Je suis convaincue qu'elle réagit excessivement bien à la chimio et qu'elle va pouvoir éradiquer cette tumeur-ci aussi. La maladie prend une forme d'affection chronique ; il va falloir intégrer et accepter ces rechutes.
Tout d'un coup, les doutes se multiplient et les questions restent sans réponses : comment peut-on développer des tumeurs alors qu'on est sous chimio ? Comment une tumeur peut autant évoluer et ce, en aussi peu de temps ? Le tep scan est-il réellement un examen fiable ? Ces questions viennent inévitablement raisonner quant à ma propre situation. Alors que la fin de la chimio approche, comment être sûre de son efficacité? qui me dit que des métastases ne sont pas également développer chez moi ?
Cette nuit-là aura été courte, rongée par l'inquiétude.
Ma mère est hospitalisée pour quelques jours. On est prêtes à la rejoindre mais Bernard arrive à nous convaincre du contraire. Elle doit se reposer, notre présence ne changera rien à la situation. On la rejoindra après ma chimio, à la fin du stage.
Lundi 08 juillet, anniversaire de Tymeo. Malgré les événements, on souffle les bougies et on trouve l'énergie de lui préparer un beau gâteau. Ce jour-là aura été aussi, il y a quelques années, l'un des plus beau jour de ma vie. La maison est toujours pleine de monde ; ça permet de s'occuper l'esprit.
Le Mardi 9 juillet, je profite de cette nouvelle cure de chimio pour trouver des réponses à mes questions auprès des oncologues du service. J'apprends alors que oui, il est tout à fait possible de développer des métastases au cerveau pendant une chimio. Le cerveau fonctionne un peu comme un sanctuaire dans lequel les cellules cancéreuses attaquées par les produits de chimio viennent trouver refuge. C'est un phénomène que l'on peut observer. Quant à la question du Tep scan, il est en effet moins fiable sur le cerveau que d'autres examens mais aussi il est possible que la tumeur ait pu se développer aussi rapidement. Des réponses qui ne me rassurent pas vraiment...
Le vendredi 12 juillet, on retrouve ma mère à l'hôpital. Elle est un peu plus en forme, mais les temps de visites sont courts. La cortisone a réduit la taille de la tumeur. L'objectif étant de faire en sorte qu'elle ne vienne plus exercer de pression sur le cerveau, par un œdème résultant d’une accumulation de liquide. C'est cet œdème qui entraine les maux de tête et les troubles cognitifs.
Pour la suite, l'oncologue propose des radiations intenses par radiothérapie. Pas de chimiothérapie pour le moment. Elle restera à l'hôpital jusqu'au 30 juillet, tout en commençant les séances de rayons. Elle se prépare à perdre ses cheveux. Elle y avait échappé jusque là. Nouveau coup au moral mais elle est résiliente, et solidaire ;)
A ce moment-là précis, je n'envisage pas du tout la suite. Elle va guérir. Je ne veux rien voir d'autre. On plaisante, on rit. Elle s'apprête à regarder le feu d'artifice du 14 juillet de sa fenêtre. Je n'imagine pas une seule seconde que ça puisse être le dernier.
Le 16 juillet, je suis de retour à Paris pour la dernière et l'ultime cure de chimio. Je devrais être soulagée et déborder de joie. L'émotion est partagée. Je ne suis pas dans l'état de sérénité que j'avais imaginé.
Avant d'enchaîner avec la radiothérapie, j'ai le droit à 3 semaines de répits, 3 semaines pour souffler, 3 semaines pour m'éloigner de l'hôpital. Une occasion que nous avions saisi pour organiser des vacances en Corse. En général, l'anticipation n'est pas notre fort, on est plutôt habitués à sauter dans la voiture ou dans un avion et à aviser sur place. Cette fois, c'était différent. Le timing nous était imposé et nous avions cruellement besoin de nous projeter justement.
Mais avant de pouvoir profiter de cette pause, il fallait que je prépare mes séances de radiothérapie et que je fasse un scanner de repérage.
Le mardi 16 juillet, je faisais ainsi connaissance avec l'équipe de radiothérapie qui procéda aux marquages. En gros, ils repèrent la cible sur laquelle les rayons vont être dirigés et les organes à risque à protéger. Et ils procèdent alors à un marquage sur la peau avec un feutre indélébile qu'ils protègent avec des sortes de patchs.
Cruelle déception pour les vacances au bord de l'eau : baignade interdite. J'avais tellement espéré une petite parenthèse de liberté mais la maladie, sournoise, me rappelle qu'elle est toujours là et que pour elle, il n'est pas encore question de nager dans l'insouciance...
D'un côté, j'hésitais. Ma mère était toujours à l'hôpital. Est-ce qu'on ne ferait pas mieux d'annuler ? Rester au près d'elle ? Avec le recul je regrette de ne pas avoir passer ce temps-là avec elle... Mais à ce moment-là, j'étais loin d'imaginer l'issue de son état.
Et d'un autre côté, il y avait les enfants, la vie, le mouvement.
« La vie, ce n'est pas d'attendre que l'orage passe, c'est d'apprendre à danser sous la pluie. »
Sénèque
Cette citation, je l'ai découverte pendant cette période, où en tout cas elle a fait écho en moi à ce moment-là !
Quand on est face à une telle maladie, on touche ses peurs les plus profondes. L'esprit peut se paralyser et tout peut paraître insurmontable. On peut alors vite trouver refuge dans l'isolement, attendre que les choses passent, passivement.
Et à la fois, on prend également conscience de la fragilité des choses. Tout prend alors une saveur différente. Et rien ne devient plus important que de vivre. Alors pourquoi attendre ? Et attendre quoi ? La fin des traitements ? Qu'un médecin vous annonce que vous êtes guéri ? On ne guérit pas d'un cancer. En tout cas pas dans un avenir proche. On passe d'abord par la case rémission. Et ce statut peut durer un certain temps, au moins 5 ans dit-on. Alors pourquoi attendre pour vivre ? Il faut apprendre à vivre avec la maladie, même si c'est parfois difficile. Mais il ne faut surtout pas s'empêcher de vivre. Il faut profiter de tous les petits bonheurs qui s'offrent à nous. Ne pas repousser le temps d'être heureux. En tout cas, ça aura été mon parti pris.
Le 20 Juillet, j'assistais avec les enfants au mariage de Stéphanie et Xavier. Portée par ce besoin de vie, j'ai rarement autant savouré un mariage. Une fête champêtre, tendre, "bon enfant"...pleine d'amour ! J'y repense souvent comme un délicieux bonbon au goût de l'enfance.
Vincent travaille jusqu'au 22. Le temps de préparer la voiture, nous voilà en route pour Marseille le 23 Juillet, embarquement pour Bastia le 24.
On a choisi l'option voiture pour trimballer le bateau gonflable, le crocodile et les palmes et surtout pour pouvoir faire une halte en Toscane au retour où Magali, Henri et les enfants sont installés pour les vacances !
On passera des moments incroyables. L'île de beauté n'a rien perdu depuis notre dernier voyage là-bas ; la région est toujours magnifique.
J'ai finalement déjoué les tatouages de la radiothérapie. J'ai massivement investi dans des pansements waterproofs que je prenais soin de mettre sur chaque marque. Et inlassablement entre chaque baignade, je retirais les 7 pansements et je vérifiais que les marques étaient toujours visibles. Encore un pied de nez à la maladie : j'avais de la ressource !
Mais elle m'a vite rattrapée...bien décidée à ce que je ne l'oublie pas trop vite ! Le vendredi 26 juillet, nous étions installés depuis deux jours, je découvre à nouveau une petite boule sous mon aisselle. Je suis pris dans un tourbillon de panique. Je commence à imaginer de nouveau le pire. Depuis la découverte de la tumeur cérébrale de ma mère, je doute des traitements, je doute de l'efficacité de la chimio. Alors que je n'ai fait qu'une partie du chemin, je suis alors persuadée d'entamer une récidive. Je contacte tout suite l'oncologue qui me conseille de passer une échographie sur place. Pour essayer d'être fixée.
Perdus dans un village sur la côte Est, à hauteur de Folelli, j'ai la chance de trouver un rendez-vous pour le lundi. Mais rongée par l'inquiétude, ces deux jours me paraissent interminables. Je prends sur moi pour rester confiante, ne pas plomber ce début de vacances et dès que je peux, je pleure en silence. J'ai peur de ne pas avoir le courage d'affronter une autre mauvaise nouvelle.
L'échographe est plutôt rassurante même si son matériel date un peu et qu'on n'arrive pas à avoir des résultats très exploitables. Elle penche néanmoins pour une incidence cicatricielle, liée à des remaniements post-thérapeutiques de l'opération. J'envoie les résultats à l'oncologue et au radiothérapeute qui se veulent également rassurants mais qui, par prudence, planifient une nouvelle échographie à mon retour à Paris le 6 août.
Je reprends le cours de nos vacances de manière plus apaisée même si mon esprit reste en hyper vigilance. Encore une ambivalence à gérer, coincée entre la peur d'un côté et l'envie de relâchement de l'autre, difficile de profiter pleinement de ce voyage. A nouveau le sentiment d'une insouciance qui ne reviendra jamais...
Sur le chemin du retour, arrivés à Lyon, je reprends le train direction l'hôpital. Vincent et les enfants filent à Périgueux.