Ce récit, je l’ai commencé pour les enfants.
Puis je me suis prise au jeu et je me suis aussi mise à écrire pour moi.
Et finalement, en le terminant, je me suis vraiment posé la question de savoir à qui j’avais envie de le faire lire.
Mes premières lectrices ont été deux personnes atteintes par un cancer du sein. Un peu à la vite, un bout de texte non finalisé mais pour donner rapidement accès aux infos « pratiques ».
J’étais partagée. A quel point le récit de mon histoire pouvait-il vraiment les aider ? Est-ce qu’au contraire, je ne devais pas leur laisser le peu d’insouciance que la maladie ne leur avait pas encore volée ? Avancer à l’aveugle peut avoir du bon. On progresse, étape par étape, avec ce que notre esprit peut accepter et tolérer comme informations. A son rythme.
Alors je les ai invitées à prendre le temps, à aller piocher uniquement ce dont elles avaient besoin, et seulement si elles en ressentaient le besoin. J’ai insisté sur le fait que chaque malade et chaque pathologie est différente. Je livre ici un témoignage parmi des milliers d’autres. Un témoignage empreint de ma propre perception, mes émotions, mon histoire, mon âge…
Mais je ne suis toujours pas convaincue de l’effet bénéfique que ça peut avoir sur les malades.
Une fois le texte un peu plus abouti, je l’ai confié avec une appréhension toute particulière à Vincent. Un mélange fascinant d’excitation et d’angoisse de voir la personne que l’on aime, lire le récit d’une histoire que nous avons ensemble partagée. Ce que je décris ici c’est un point de vue très centré sur la manière dont j’ai pu traverser ces épreuves, sans filtre et sans pudeur. J’appréhendais maintenant l’effet que ça pourrait avoir sur mes proches. La peur d’être maladroite, de mal m’exprimer, de les replonger dans une période qu’ils préféreraient oublier ou tout simplement d’être passée à côté de leurs propres sentiments.
Et pourtant, je ressens le besoin profond de partager cette histoire, de trouver un sens à tout ça. Trouver le moyen de se dire que tout ça n’aura pas juste été une succession d’épreuves vaines.
Je me souviens d’un moment particulièrement marquant avec la Professeur chargée de la supervision de mon dossier médical au sein du service du pôle de chirurgie et de cancérologie gynécologique et mammaire de la Pitié Salpêtrière.
Nous étions en octobre 2019, je venais de terminer mes traitements. L’équipe médicale de la Pitié Salpetrière recherchait des patients pour témoigner à l’occasion d’une conférence organisée dans le cadre d’Octobre Rose.
J’acceptais avec enthousiasme la proposition dans l’espoir de pouvoir aider d’autres malades.
Nous étions quelques patientes ou anciennes patientes ; le Professeur nous a réunies pour préparer nos interventions. A tour de rôle nous partagions des moments ou des retours d’expériences sur nos différents parcours. Nous étions trois et nous étions chacune chargée d’un moment bien défini dans les étapes des traitements : chirurgie, chimiothérapie et radiothérapie. L’occasion pour nous d’aborder avec elle et avec l’équipe médicale présente, des aspects des traitements et de notre quotidien que nous n’abordions pas en consultation.
J’évoquais alors le souvenir particulièrement marquant du moment où, le Professeur, qui m’avait opérée, m’avait donné la force d’affronter l’un des moments les plus difficile de la mastectomie : le retrait du pansement. Avec beaucoup de sérénité et de détermination, elle m’avait aidée par un seul regard à surmonter cet instant tant redouté. Sans laisser place ni au doute, ni à l’hésitation. En pleine confiance. Pas de discours, pas d’argumentation. Uniquement ses yeux noirs et profonds plongés dans les miens.
Je lui livrais cet épisode avec une intense émotion. Telle une confession intime d’un moment de profonde gratitude qui n’avait pas pu s’exprimer jusqu’alors, par réserve ou par inhibition.
Elle rebondit immédiatement sur cet aveu : c’était cet éclairage qu’elle voulait donner.
La conférence était à destination des patients mais aussi des étudiants en médecine : infirmières, aides-soignantes, futurs médecins,… Donner un retour d’expérience par des patients à ces futurs pratiquants, c’était venir crédibiliser et incarner des formations bien trop souvent théoriques. C’était les sensibiliser sur l’importance de la dimension humaine des relations interpersonnelles entre les patients et le corps médical, sur les impacts psychologiques de la communication verbale et non verbale au cours des consultations.
La vérité sort de la bouche des patients.
Et si c’était ça ma mission ? Faire comprendre la nécessité profonde d’être entendus en tant que patients et défendre la nécessité criante d’être acteur.trice de notre guérison.
Si jamais j’arrivais à réveiller ne serait-ce qu’une conscience, j’aurais le sentiment salutaire d’avoir accompli ce défi, et d’avoir aidé quelqu’un.
* Les noms et prénoms du personnes du corps médical ne figurent volontairement pas dans ce texte de manière à respecter leur anonymat.
Un exercice d'"anonymisation" difficile pour moi tant certaines personnes qui m'ont accompagnées, ont jouées un rôle central dans mon parcours et mériteraient d'être reconnue publiquement. Mais à la demande, plus que respectable, de certaines d'entre elles de ne pas apparaître publiquement, et ce pour des raisons personnelles ou déontologiques, j'ai finalement fait le choix de ne nommer personne. Quant au recoupement des lieux et des services qui pourraient être fait, méfiez-vous des apparences, certaines pistes peuvent avoir été brouillées ;)