Le 02 janvier, mon téléphone sonne. L'assistante de la Professeur m'appelle et me demande de venir faire une IRM au CSE le lendemain.
Je suis seule, en bas dans le salon, à nouveau mes jambes qui se dérobent, je vacille. J'arrive à balbutier un "oui d'accord" et un "mais du coup vous avez mes résultats, qu'en est-il ?" La secrétaire me dit qu'elle n'a aucune information, que ce n'est pas de son ressort. Je demande à être rappelée par la Professeur. Je n'en saurais pas plus. Personne ne me rappellera.
C'est l'effet d'une bombe atomique. Je me mets à pleurer, encore. Cette fois, je fais face à la certitude que le diagnostic ne peut être positif. Si les analyses étaient bonnes à quoi bon ce complément d'image ?
J'essaye de me calmer, j'ai du mal à respirer. Je suis comme étouffée par la peur. Je ne veux pas que les enfants me voient comme ça. Je ne veux rien avancer ou annoncer tant que les choses ne sont pas officielles. Les protéger de mes doutes et de mes inquiétudes. Vincent a perçu la situation, il les éloigne et revient me soutenir.
Je suis aussi en colère face à une telle lâcheté. Une annonce par omission. Il faut arrêter de prendre les gens pour des c...
Et à la fois, tant que ce n'est pas officiel, je n'arrive pas à me résoudre à la nouvelle. Je cherche des réponses, des espoirs. J'appelle Billy, il aura peut-être eu des résultats ? Il aura peut-être un éclairage médical à m'apporter ? Je me dis surtout que lui ne va pas me mentir ou passer des informations sous silence. Ce n'est pas le genre.
J'aurai finalement droit à des réponses très politiquement correctes. Lui, le révolutionnaire, antisystème, qui prêche pour la transparence et la vérité. La déception est immense. Je comprends qu'il ne veuille pas se mouiller mais je m'attendais à plus de courage de sa part.
Cancer, le mot est encore tabou. Même dans le corps médical.
Après cet épisode, j'ai tenté de lui donner des nouvelles, du moins les premiers mois. Je l'ai informé du diagnostic quand il est officiellement tombé. Je lui ai demandé conseil sur les spécialistes à consulter. Il m'a donné le nom d'un chirurgien à la clinique du sein. Et à partir de ce moment-là, je n'ai jamais eu de retour de sa part. Il avait passé le relais. Je ne demandais pas grand-chose, simplement de ne pas être abandonnée. Je n'ai jamais compris. Je pensais notre relation plus entière. Et surtout, je ne le pensais pas enclin à une telle lâcheté lui aussi.
Le 03 janvier, je vais passer l'IRM. Pas beaucoup d'informations de ce côté là non plus. Tout le monde s'accorde à ne pas me délivrer les résultats des biopsies. Tout le monde continue de me mentir effrontément en me disant qu'ils n'en savent rien, que ça ne veut rien dire. Foutaises.
Les images ? Toujours des masses suspectes. Pas d'autres informations.
En savoir + sur l'IRM ici
Le 04 janvier, on dépose les enfants à l'école et à la crèche. On marche jusqu'à la Gare du Nord pour récupérer la ligne 5. Arrêt St Marcel. Hôpital la Pitié Salpêtrière. Je n'étais pas revenue là depuis les années. A l'époque où je travaillais chez Deloitte, je venais régulièrement chez un de mes clients : l'ICM (Institut du Cerveau et la moelle épinière). Cet endroit me donnait la chair de poule. Une ville dans la ville, des anciens bâtiments gris/marron. J'ai toujours eu le sentiment de me retrouver dans un décor de camps de guerre, austère et empreint d'une atmosphère morbide.
Ce n'était pas gagné côté positivité ! Mais malgré tout, on rigole, on parle de choses et d'autres. On s'essaye à la légèreté.
Plan de l'Hôpital la Pitié - Salpêtrière ici
Le rendez-vous est à 11h, l'horaire est globalement respecté. On sent que tout est minutieusement orchestré, dans une certaine rigueur.
Bâtiment Layani à retrouver ici
La salle d'attente est moderne, les sièges colorés amènent une certaine gaîté. Le plafonnier est une sorte de panneau lumineux représentant une forêt. L'image contraste avec le reste de la pièce, très urbaine, très médicale. Ça va que l'ensemble est neuf, sinon on pourrait se croire dans un mauvais restaurant chinois. Je m'interroge sur les intentions du décorateur d'intérieur. Qu'est ce qui a pu l'amener à faire un tel choix ? Est-ce qu'il s'est dit "tiens, on va mettre une photo de forêt, pour créer l'apaisement et puis ça sera moins glauque pour accueillir les mauvaises nouvelles !"
C'est mon tour, il était temps, j'allais finir par disséquer chaque morceau du plafond...
Je me retrouve face à une armée de blouses blanches, la Professeur, deux internes, une fille et un garçon, et l'infirmière d'annonce. Avant même qu'on m'annonce quoique ce soit je suis impressionnée par l'assemblée. Finalement j'étais plus à l'aise avec la forêt à côté !
L'entretien démarre fort, elle va directement à l'essentiel : "on a procédé à l'analyse de prélèvement de plusieurs masses suspectes. On a trouvé du cancer partout".
A partir de là, très difficile de savoir ce qu'elle m'a raconté. Tout s'est brouillé d'un coup, j'entends encore des voix lointaines, des bribes de phrases. Je suis interdite. Ça y est le verdict est tombé et il est sans équivoque. Je pense à mes enfants, je pense à Vincent. Il est à côté, il a l'air encore plus pétrifié que moi. Je pense à la mort, au fait que je vais disparaître, que mes enfants sont trop jeunes, que je suis au début de ma vie et que tout va s'arrêter là, maintenant. Que je ne suis pas malade. Comment peut-on vous annoncer une telle chose alors que vous n'avez aucun symptôme? Que vous vous sentez en pleine forme ? Il doit y avoir une erreur...
"Ce que vous êtes en train de vivre là, c'est le moment le plus difficile. Après on va vous soigner et vous allez guérir".
Cette phrase me sort de ma torpeur. Je ne suis pas sûre de comprendre sur le moment. Avec le recul, elle a pris tout son sens. L'étape de l'annonce est un véritable séisme, un moment où tout s'arrête, tout bascule. Un moment où on a envie de hurler de peur.
Elle m'examine, me pose tout un tas de question sur ma santé, mon mode de vie. J'y répond tant bien que mal. Je commence à chercher moi aussi des réponses. Pourquoi moi ? Pourquoi maintenant ? Quelle est son origine ? Aujourd'hui ces questions restent toujours sans réponses.
J'apprends alors que j'ai 2 tumeurs (celle avec les microcalcifications, la petite sournoise que je n'avais pas sentie, et celle liquide qui a donné l'alerte). A ce moment-là, elle m'annonce que les tumeurs sont hormonodépendantes et que c'est, en toute relativité, plutôt une bonne nouvelle. On dispose d'armes médicales supplémentaires et, généralement, ce sont des tumeurs moins agressives. (J'apprendrai malheureusement quelques semaines plus tard qu'il y en avait une de nature triple négative, c'est à dire pas hormonodépendante).
Ensuite, le cancer a commencé à se propager vers les ganglions et le ganglion sentinelle (le premier de la chaîne ganglionnaire) est atteint. Reste à savoir jusqu'où il s'est propagé... S'annonce alors la seconde partie la plus angoissante des examens : la réalisation du TEP SCAN. L'idée étant d'avoir une imagerie globale et complète qui permette de vérifier l'éventuelle existence de métastases. S'il y' a un mois je n'avais jamais entendu parler de cet examen, je devais maintenant m'y soumettre comme l'avait fait ma mère quelques jours avant. Je connaissais les implications de l'examens et la douloureuse attente des résultats. Avoir une tumeur localisée et avoir des métastases sont deux choses bien différentes. Et les chances de guérisons s'amoindrissent considérablement dans le second cas.
"On est armé pour vous guérir et même s'il y a des métastases, on vous guérira". Cette phrase aussi ressort du flot de mots qui est déversé. Je m'y raccroche comme à une bouée.
Vient ensuite le moment où elle m'explique ce qui va se passer et quelles sont les étapes qui m'attendent. Le discours est fluide et bien rodé. J'observe les deux étudiants qui sont en train d'apprendre à annoncer des mauvaises nouvelles. Je n'ai même plus la force de m'indigner de ce manque d'intimité.
"On va devoir procéder à l'ablation de votre sein gauche et réaliser un curage axillaire, c'est à dire qu'on va vous enlever tout ou partie de la chaîne ganglionnaire". Elle me donne un dessin sur lequel il y a un sein avant et après l'opération. Elle m'indique où sera la cicatrice. Et c'est seulement en fin d'entretien, en regardant encore et encore ce minuscule croquis, que je comprends que tout va être enlevé; mamelon inclus. Je suis sidérée. J'étais persuadée qu'ils allaient uniquement retirer les tumeurs. Je lui fais répéter encore une fois, interdite par l'idée de ce geste radical qui s'annonce.
L'opération aura lieu le 23 janvier. On doit agir rapidement car le cancer est un cancer de grade 3, il est particulièrement agressif. Comme souvent chez les jeunes patients.
Elle me soumet alors le planning des mois à venir, une sorte de feuille de route schématique: le PPS (Protocole Personnalisé de Soin), qui me suivra tout au long de mon parcours. Les prochains mois commencent à se dessiner: opération, 6 mois de chimio, 2 mois de radio... 10 ans d'hormonothérapie. Rien que ça.
Ce PPS est décidé en réunion de concertation pluridisciplinaire (RCP) . Toute prise en charge de cancer relève de plusieurs spécialités médicales. Chaque situation est donc discutée au cours d’une RCP rassemblant des médecins d’au moins trois spécialités différentes: chirurgien, oncologue médical, oncologue radiothérapeute, spécialiste de l’organe concerné, pathologiste…. Compte tenu de la situation et en s’appuyant sur des outils d’aide à la décision appelés "recommandations pour les professionnels de santé", ils émettent un avis, qui comprend une proposition de traitements.
Elle continue le déroulé de sa longue liste de mauvaises nouvelles...
Le cancer étant hormonodépendant, il faut arrêter l'allaitement dès aujourd'hui ; sans plus attendre. Autre coup de massue. Charlotte n'est pas très loin du sevrage mais ça n'est pas du tout la fin d'allaitement que j'avais imaginé. Je panique à l'idée de sa réaction. Pour moi, il n'y a rien de plus important que de communiquer, prévenir, préparer son enfant. Je trouve la nouvelle radicalement injuste, pour toute les deux.
Plus tard, on m'a souvent interrogé sur la perte de mon sein, sur ma féminité, l'atteinte de mon image corporelle. Pour moi, et pour reprendre l'expression de ma mère et de ma grand-mère, "le sein, c'est le garde-manger du bébé". Me priver d'un sein, c'était priver mon enfant de ce qui avait de mieux pour lui. Et me priver de ces doux moments que représentent l'allaitement.
Ensuite, elle a encore enchainé. Le temps de recharger l'arme, une autre balle était tirée. "On vous propose donc de procéder à un prélèvement et à la congélation de vos ovaires". Pardon ? Elle s'explique : la chimiothérapie a pour effet d'attaquer également les ovaires. Il se peut que ma fertilité soit mise à mal et que je sois dans l'incapacité d'avoir d'autres enfants. "Est-ce que vous souhaitez avoir d'autres enfants ? Est-ce qu'on prévoit une consultation pour la préservation des ovaires ?". Je tangue à nouveau. Je me retourne vers Vincent, muette. On n'a jamais eu cette discussion et on se retrouve face à 4 paires d'yeux qui manifestement attendent une réponse maintenant, et vite si possible. Il y a quelques minutes j'imaginais ma mort et là, on me demande si je veux encore donner la vie. Ascenseur émotionnel. Je balbutie quelques mots "je ne sais pas, oui peut-être..." Vincent vole à mon secours, il me regarde, me rassure et je finis par trouver la réponse qui nous correspond le mieux: "non, je ne souhaite pas la préservation des ovaires. Nos deux enfants sont arrivés comme des bonheurs inattendus. Je ne veux pas qu'il en soit autrement. Si ça doit arriver plus tard, ça arrivera naturellement. Pour l'heure je suis comblée avec eux". En vrai, je pense ces mots sont sortis de ma bouche de manière beaucoup plus chaotique ; mais l'idée était là.
L'entretien se poursuit, on prend rendez-vous pour le TEP SCAN, puis avec l'infirmière d'annonce qui doit reprendre l'ensemble de ce qu'on s'est dit aujourd'hui pour le rendre plus digeste. "Vous pouvez également bénéficier d'un soutien psychologique". En effet, je sens que je vais en avoir besoin.
Je passe une partie de l'entretien à observer cette femme, elle doit avoir autour de 40 ans. C'est une très belle femme, déterminée, sûre d'elle. Je me demande comment lui faire confiance. Je lui remets ma vie entre ses mains. Comment m'assurer que c'est la bonne personne ? Je cherche des indices. Je pose des questions, inconsciemment je la teste. Pendant l'entretien, elle s'adresse régulièrement à ses étudiants, à l'infirmière, à du personnel au téléphone. Je suis toujours sensible à la nature des relations hiérarchiques, elles en disent long sur la personnalité des gens. J'apprécie particulièrement le ton qu'elle emploie: juste, cordial, direct mais surtout respectueux. Elle fait preuve de sensibilité et d'écoute malgré l'objectif bien défini de ce qu'elle a à me dire. Je me sens rassurée, prête à avancer avec elle.
On sort de la salle de consultation, retour sous le toit végétal factice. Vincent me serre plus fort que jamais dans ses bras, on pleure encore cette bien triste nouvelle, perdus, déboussolés. On doit attendre qu'on vienne nous chercher pour régler encore quelques détails administratifs pour l'opération. On se rassied, je suis comme en dehors de mon corps.
J'observe les gens dans la salle d'attente dernière mes larmes. Qui sont-ils ? Ou plutôt qui sont-elles ? Est-ce qu'elles viennent elle aussi recevoir d'accablantes nouvelles ? Combien d'entre-elles sont là aussi pour un cancer. Toutes ? Personne n'a l'air malade. Comme moi. Pourquoi vient on de m'annoncer tout ça ? Je ne me sens pas malade.
Une femme, la soixantaine passée, blonde, les cheveux courts, avec l'embonpoint d'une femme ménopausée, s'approche de moi. Elle tente de me rassurer. Tout ira bien. Elle a eu un premier cancer il y a 15 ans. Elle a récidivé il y a quelques années. On ne lui avait pas tout enlevé. "C'est une très bonne chose la mastectomie" me dit-elle. Je revois le croquis, je refais les associations d'idées : mastectomie = on enlève tout, tumorectomie = on retire uniquement la tumeur. "On s'en sors vous verrez" continue t-elle. "J'en suis la preuve vivante. Profitez de ce temps pour prendre soin de vous". Je l'écoute tant bien que mal, partagée entre l'idée de me laisser rassurer et par le besoin d'être seule. Elle poursuit "surtout dès que vos cheveux commencent à tomber, n'attendez pas et rasez-vous la tête. C'est traumatisant que de les retrouver tous les matins sur l'oreiller." Nouvelle claque. Bien sûr que je sais que la chimio fait perdre ses cheveux. Mais à ce moment-là, mon esprit n'avait pas encore assimilé cette information. Je ne m'étais pas encore représenté la chose. J'ai les cheveux longs, bouclés, jusqu'au milieu du dos. Très très loin de la boule à zéro. J'ai encore envie de pleurer. J'ai l'impression d'être dans un cauchemar.
L'infirmière d'annonce, fait preuve d'une belle sérénité. Elle trouve les mots justes, sans déborder. Elle nous raccompagne jusqu'à la sortie.
Vient le temps de la digestion.
On a commencé à marcher, le long de l'hôpital, vers la gare d'Austerlitz. L'air frais nous fait du bien, sèche les larmes, nous ressaisit.
Je parle, je refais l'entretien, à la recherche d'éléments positifs qui ont pu ressortir ce matin. L'angoisse de la métastase plane sur nos têtes mais on essaye de ne pas y penser. On parle des enfants, beaucoup. Comment leur annoncer, à quel moment ? Être suffisamment forte pour ne pas ne pas craquer devant eux.
Il n'est pas loin de 14 heures, ma sœur a déjà appelé. Elle s'inquiète. Comment lui annoncer ?
Je choisis d'en parler d'abord à mon père. Il a toujours été toujours le pilier central de la famille. Depuis le début, on a choisi d'épargner ma mère, ne rien lui dire pour ne pas l'inquiéter inutilement. On ne pourra pas garder le silence encore bien longtemps.
Malgré la force de mon père, je sens que l'onde de choc est violente. Sa femme, puis sa fille. Ça fait beaucoup d'un coup pour un seul homme.
On a passé la gare d'Austerlitz, on se dirige vers la place de la Bastille. J'appelle ma sœur. Pour elle aussi c'est un coup de massue. Elle prend sur elle, énormément. Elle s'interdit de craquer. C'est l'aînée de 7 ans de plus que moi, elle vit maintenant près de chez mes parents à Dinard après avoir sillonné le monde. Elle vient de rentrer en France il y a quelques mois, un retour éprouvant.
Arrivés à Bastille, ma mère me rappelle. Mon père lui a annoncé la nouvelle. Paradoxalement, je sens comme une force renaître en elle. Comme si cette annonce lui faisait renoncer au fatalisme dont elle était empreinte ces dernières semaines. Affronter ça à 2, ne pas baisser les bras pour que sa fille puisse se battre aussi. Ne pas flancher car j'avais moi aussi besoin de toutes les forces vives.
Je me suis longtemps interrogée par la singularité de la situation. Un cancer en même temps ? La probabilité devait être marginale. En tout cas c'est le genre de hasard auquel je ne crois pas. J'ai donc cherché un sens.
A ce moment-là de nos parcours respectifs, j'ai eu le sentiment que ce cancer s'était développé en moi pour pouvoir l'aider. Faire face ensemble, se soutenir mutuellement, ne pas se laisser aller, se montrer forte l'une pour l'autre. J'étais persuadée que la guérison passait par la foi en la vie que nous pouvions avoir. Plus nous sommes confiantes et positives, moins la maladie n'a de chance de prendre le dessus. Ainsi je pensais pouvoir la sauver...
On s'est arrêté déjeuner au Street Bangkok à Bastille : un restaurant Thaï délicieux, une ambiance très proche de celle qu'on a pu connaître à Bangkok. Ça m'évoque de bons souvenirs, une époque d'insouciance et de légèreté. L'appétit n'est pas au rendez-vous mais ça fait du bien de se poser un peu. Il est tard, les clients se font rares. Il y a seulement un homme et une femme qui planchent sur un projet. L'un à côté de l'autre, les ordinateurs chauffent. Ils ne sont pas d'accord, s'agacent sur des détails. Je ne peux pas m'empêcher de les trouver futiles. A quoi bon dépenser tant d'énergie négative ? J'ai envie de me lever et de leur dire "soyez heureux d'être en bonne santé, ne vous prenez pas la tête pas pour du travail, ça n'en vaut pas la peine".
Rien ne sera jamais plus comme avant. La vie prend un tout autre sens.
On reprend notre marche à travers la ville. Direction République puis les grands boulevards, j'ai rendez-vous avec mon osthéo. Le rendez-vous était prévu de longue date, je n'ai pas voulu l'annuler. Je sais que ça me fera du bien.
J'appelle maintenant mon médecin traitant. Elle prend comme toujours le soin de m'écouter, de me rassurer. Elle est d'une extrême bienveillance une fois encore. Elle me dira à ce moment une phrase qui n'a cessé de raisonner en moi. "C'est un accident de la vie, mais vous avez de la chance, celui-là on en guérit" A la fois rassurante et pragmatique, une phrase qui m'a fait aller de l'avant.
On marche, on marche encore jusqu'à la rue de Maubeuge. Le téléphone sonne souvent, les amis, la famille qui viennent aux nouvelles. C'est à chaque fois un peu moins dur à annoncer. En quelques heures, on est déjà plus fort.
On en a parlé aux enfants le soir même. On ne voulait pas de cachoteries, on ne voulait pas qu'ils puissent se faire leurs propres films. L'ignorance alimente la peur.
Pour Tymeo, l'annonce a été brève et directe. A six ans, il ne réalise pas vraiment ce qu'il se passe. Il prend conscience quand même que c'est sérieux, il m'interroge sur comment on va enlever le sein. Je réponds naturellement et sans détour, ça semble répondre au besoin du moment. L'instant d'après, il est reparti à jouer ! Pour le reste des festivités : perte de cheveux, etc., on le fera dans un deuxième temps.
Pour Charlotte, l'exercice est de lui expliquer que le sein de maman est malade et que je ne vais plus pouvoir l'allaiter. Je la rassure en lui promettant d'énormes câlins, juste un peu différents. Et surtout je lui explique que tout ça n'est pas de notre faute, qu'on a simplement pas de chance.
Au final, l'annonce faite aux enfants aura été beaucoup moins difficile que prévue. Pour les adultes, le mot "cancer" est lourd de sens, empreint de connotations morbides. On est encore une génération qui associe cette maladie à la mort. Or la médecine fait chaque année des progrès incroyables. Les pronostics ne sont plus fatalement négatifs, surtout pour le cancer du sein. Je suis intimement convaincue qu'on a un rôle essentiel à jouer pour changer les mentalités, aller contre cette idée.
On leur a donc parlé d'une grosse maladie, très contraignante. Mais juste une grosse maladie dont on guérit. C'était important pour moi qu'ils grandissent avec cette idée-là. L'avenir nous dira comment ils auront perçu cette période.
A l'hôpital, au moment de l'entretien d'annonce, on a été submergé de dates, de rendez-vous, d'examens à passer. Je réalise que le cancer est une activité à temps plein et qu'il va falloir me trouver un agenda pour m'organiser !
Le soir même Vincent me ramène "It's times for a new Adventure", un petit agenda qui finira par me suivre partout. Tout est dit !
Pendant les jours qui ont suivi, nos journées ont été rythmées par ces annonces. Une période qui me laisse un souvenir assez désagréable. La nouvelle est tellement difficile à digérer que j'ai plus que jamais besoin qu'on me témoigne un soutien inconditionnel. J'ai envie d'être rassurée, mise en confiance. Et au lieu de ça, j'ai le sentiment d'être le miroir des peurs des autres. A chaque fois que je prononce le mot "cancer", mes interlocuteurs me renvoient inconsciemment leurs propres craintes. En fonction des gens, la réaction est plus ou moins marquée. Mais globalement j'arrive à déceler dans leurs voix, ou dans leurs regards, toujours la même inquiétude "et si ça m'arrivait à moi ?". Suivi d'une sorte de malaise.
Bien souvent les gens sont démunis. Ils ne savent pas comment réagir. Et c'est bien compréhensible. Comment faire autrement ?
Plus le temps passait, plus j'intégrais cette réalité. C'est comme ça que j'ai commencé à prendre les devants. Être actrice de ma guérison et ne pas simplement subir les protocoles. L'acceptation de la maladie me permettait de faire face à ces situations inconfortables. C'est à ce moment-là que j'ai compris que c'était à moi de mettre à l'aise les gens, de les rassurer et de dédramatiser la situation. Un moyen de contourner les peurs qu'ils pouvaient projeter sur moi. Un moyen de me protéger.
Cette stratégie m'a beaucoup aidée. Et quand j'étais trop fatiguée de me répéter, je passais le relais à Vincent. Lui aussi s'est souvent trouvé en première ligne. Lui aussi a dû batailler avec ses propres angoisses.
Le 9 janvier, je fais connaissance avec une psychologue du service à la Pitié, qui m'accompagnera tout au long des traitements. Pourtant au moment de notre rencontre, ce n'était pas gagné.
Je n'avais jamais vu de psy. Psychologue, Psychiatre... Je n'étais pas très familière de ces termes et du modus operenti. En revanche, j'étais persuadée de la nécessité d'un tel accompagnement au vu de la situation ! Mais j'avoue avoir été quelque peu surprise par son approche. J'attendais de ce premier rendez-vous qu'elle puisse commencer à me guider dans ce parcours. Au lieu de ça, je fais face à cette jeune femme qui me regarde avec une mine effarée et qui ponctue mon récit de "Oh ma pauvre", "c'est terrible", "un tsunami" et j'en passe. Bref, tout sauf ce dont j'ai besoin d'entendre à ce moment-là. J'entends à travers ses phrases un discours qui manque de sincérité, une empathie surjouée de la part d'une une inconnue.
Longtemps, elle a cherché à me faire exprimer de la colère, de l'injustice face à la maladie. A croire que je ne cochais pas suffisamment cette case. Je ne suis pas, et je n'étais pas, habitée par ces sentiments. A quoi bon ? Qu'est-ce que ça changerait ? A part crafougner inutilement. J'avais juste besoin d'être épaulée, d'être aidée à rationnaliser et rester calme. Et surtout trouver des réponses face à l'incompréhension de ce qui m'arrivait, de ce qui nous arrivait.
Fort heureusement, nous avons appris à nous connaître et aujourd'hui je lui suis extrêmement reconnaissante pour tout le chemin parcouru ensemble. Elle a une connaissance et une expérience dans la maladie qui lui donne l'avantage de pouvoir préparer ses patientes aux différentes étapes qui nous attendent. Chaque personne est certes différente, chaque maladie singulière mais il y a des points d'ancrages assez similaires. Peu à peu, elle incarnait pour moi un véritable coach du cancer. Elle me préparait à assimiler progressivement chaque étape des traitements.
Le 10 janvier: TEP SCAN (tomoscintigraphie par émission de positons) ou PET SCAN à l'anglophone (positron emission tomography). En savoir + sur le TEP Scan ici
Quelques jours seulement après l'annonce, le TEP SCAN est programmé. L'examen est réalisé au sein du service de médecine nucléaire, bâtiment Husson Mourier (Bâtiment H.Mourier à retrouver ici); de quoi faire flipper.
Finalement, c'est la charge émotionnelle de l'examen qui est la plus difficile à surmonter. L'examen à l'issu duquel tout peut basculer.
Deux jours avant, il faut arrêter toute absorbation de sucre, limiter les activités physiques et le jour même être à jeun.
L'examen se déroule en 2 étapes : une étape préparatoire durant laquelle un produit radioactif traceur (un isoptope) est injecté. Puis le scanner en lui-même.
La première étape est la plus impressionnante. L’injection du traceur est effectuée par une manipulatrice en médecine nucléaire. Pour cela, elle doit prendre toutes les protections nécessaires : combinaison, gants, masque. Je suis placée dans une salle d'attente radioprotégée et elle vient faire l'injection derrière une sorte de panneau vitré amovible. Rien de très rassurant...à se demander si je ne suis pas en train d'aggraver mon cas. Elle tente de modérer mes inquiétudes en m'assurant que l'injection à faible dose est sans risque pour le corps humain et qu'elle, en revanche, est exposée tous les jours au produit, d'où les précautions indispensables à prendre.
Elle s'en va ensuite en me laissant au repos pour une heure. J'essaye d'observer des effets secondaires. Est-ce que le produit va me rendre fluorescente ? Je n'arrête pas de penser aux Simpson...il faut bien continuer à se marrer !
Elle revient me chercher et m'amène sur une table d’examen sur laquelle je m'allonge et qui va progressivement pénétrer dans un anneau où se trouvent les capteurs (similaire à celui d’un scanner). C'est parti pour 30 min d'intense cogitation !
Le 11 janvier : l'avantage d'être maintenant suivie à la Pitié c'est que les choses s'enchaînent à une vitesse incroyable. Le parcours du cancéreux est fluide et bien rodé, triste à dire mais à la fois c'est extrêmement rassurant pour les patients. Les délais d'attente sont ultra raccourcis et moralement c'est une bonne chose. Après j'imagine que la prise en charge dépend également de la gravité et de l'avancé de la maladie, mais ça j'évite de trop y penser.
C'est ainsi que moins de 24 heures après le TEP Scan je me retrouve de nouveau face à la Professeur. Et qu'avec la même efficacité qu'au précédent rendez-vous, elle m'annonce cette fois une excellente nouvelle : aucune métastase. Le soulagement est immense, un poids de moins sur mes épaules ! Enfin une bonne nouvelle !!
Par contre ils ont repéré des petites tâches sur foie. A priori rien qui ressemble à une tumeur mais elle préfère faire un scanner supplémentaire pour vérifier. Rdv le 14, ça ne traîne pas !
Le même jour j'enchaîne le rendez-vous avec l'anesthésiste pour l'opération et avec l'onco-généticienne.
Dès le premier rendez-vous avec la Professeur, la question d'une prédisposition génétique a été abordée. Les cancers c'est un peu un fléau du côté des sœurs de ma mère; mais aucun cancer du sein. Par précaution, elle me propose une consultation en oncogénétique.
C'est ainsi que j'ai fait la connaissance d'une médecin onco-généticienne. Lors de ce premier rendez-vous nous avons dressé l'arbre généalogique familial et on a noté l'ensemble des cancers connus.
Ce qui en gros a donné: ça.
Selon elle, les prédispositions ne semblent pas du tout évidentes. Les cancers de ma mère et de mes tantes sont tous des cancers "liés au tabac" ; il n'y a pas de lien spécifique avec le cancer du sein. En revanche, ça ne veut pas dire qu'il n'y a pas de prédispositions génétiques. Il se peut qu'il existe au sein de la famille des gènes prédisposants mais que personne n'ait encore développé ce type de cancer. Autre possibilité si on trouve quelque chose : je suis le point zéro. La mutation s'est faite à mon niveau.
Ensuite, elle a réalisé une prise de sang pour lancer la recherche génétique. Plusieurs gènes peuvent donner des prédispositions. Compte tenu du profil familial, elle propose de lancer une recherche assez large.
Résultats dans 8 mois ! Ça me parait infini. Mais je suis confiante, s'il y avait une prédisposition génétique, je me dis qu'il y aurait forcément d'autres cas. Nous sommes quasiment que des filles et je suis la plus jeune, la maladie se serait manifestée avant...
Le 13 janvier: Magali, une amie que j'avais perdu un peu de vue depuis ces deux dernières années a repris contact avec nous courant novembre. Elle a donc suivi les événements des dernières semaines et propose de me mettre en contact avec une de ses amies, Audrey, qui est malheureusement passée par là l'année précédente.
Le début de notre relation aura été exclusivement "épistolaire", façon temps modernes, sur whatsapp! Une relation qui me faisait du bien. Je posais toutes les questions possibles et inimaginables et elle y répondait sans détour. Et surtout, elle avait le même parcours que moi, le même type de tumeur et elle s'en était sortie. Elle nourrissait en moi les meilleurs espoirs et représentait à elle seule : la vie et la guérison !
Le 14 janvier : on a beau se sentir en confiance avec l'équipe médicale, on ne peut s'empêcher d'être assailli de doutes: est-ce le bon protocole de soin? est-ce le bon hôpital? est-ce les bons médecins? Jusque-là, je m'étais complètement laissée portée, prise dans le tourbillon des événements. J'avais besoin maintenant de prendre un peu de recul. De me faire confirmer les choses. D'être confortée dans mes choix.
C'est ainsi que j'ai pris rendez-vous avec un chirurgien, cancérologue et plasticien à la clinique du Sein, avenue Mac-Mahon. Médecin de renom, il ne manque pas de références et d'expériences.
On se rend donc au rendez-vous avec Vincent. L'ambiance n'est pas du tout la même. Les locaux sont luxueux, un brin tape à l'œil. Au regard des plastiques que l'on croise, on repère vite les habituées : visages liftés, lèvres gonflées,... ça ressemble plus à un centre d'esthétique qu'à une clinique médicale.
Le docteur nous reçoit, il est attentif, à l'écoute. Il prend le temps de me réexpliquer sensiblement les mêmes choses que la Professeur. C'est rassurant. Il m'examine, épluche les rapports de biopsie et les différents clichés que j'ai pu ramener. Son avis est sans équivoque : mastectomie au plus vite, chimio, radio, hormono. Après deux ans d'immersion totale dans le sujet, je m'aperçois en fait que ce parcours est archi-fléché. Les seules variations qu'il peut y avoir c'est chimio avant ou après chirurgie. Dans mon cas le temps presse trop.
Il me confirme que la Professeur est "l'une des meilleure" et il me conseille vivement de continuer avec elle. La date opératoire est proche, il faut aller vite, il ne peut pas me proposer mieux. La seule chose sur laquelle ils ne sont pas d'accord c'est la possibilité de reconstruire le sein en même temps. La Professeur refuse en arguant que la radiothérapie pourrait endommager le résultat. Lui dément.
Pour moi, c'est devenu un détail. Ce que je veux c'est sauver ma peau, l'esthétique on verra plus tard !
Je sors du rendez-vous avec les réponses que je cherchais et surtout je suis maintenant confortée dans mes choix. Un vrai soulagement...pour le porte-monnaie également !! Ces 30 petites minutes m'auront coûté la modique somme de 200€...
J'enchaîne l'après-midi avec le scanner du foie. Bizarrement je ne suis pas inquiète. J'ai eu tellement de problèmes hépatiques ces derniers mois que je n'imagine pas que ça puisse être autre chose que ça.
C'est la deuxième fois que je passe un scanner. Je sais qu'un produit de contraste (type iomeron) va m'être injecté par perfusion au moment de l'examen, quand je serai dans "le tube". Et qu'à ce moment-là une chaleur va m'envahir d'un coup et j'aurai alors la sensation très désagréable d'être en train de me faire pipi dessus !! L'effet est pour le moins...étrange.
Je me rhabille après l'examen, tout s'est bien passé. Mais rapidement, le regard du manipulateur change. Je suis couverte de plaques rouges. Je me souviens maintenant d'une légère réaction cutanée également la première fois. Je ne suis pas très inquiète mais il insiste pour me garde en observation. Le bien heureux ! Au bout de quelques minutes, je commence à avoir des difficultés à respirer. Le médecin arrive au pas de course et ils me font une injection d'antihistaminique. Allergie au produit de contraste.
Globalement rien de bien grave et surtout quelques jours après j'ai reçu les résultats de l'examen : RAS! Encore une bonne nouvelle :)
De son côté, ma mère prépare aussi la mise en place de ses traitements. Le 16 janvier, elle est hospitalisée pour une jéjunostomie et la pose du Port à Cathéter (PAC), sous anesthésie générale.
Les médecins sont formels, ses problèmes de déglutition ne vont qu'empirer avec les traitements, et notamment avec la radiothérapie.
La jéjunostomie est une opération qui vise à poser une sonde dans le jéjunum, c'est à dire dans la 2ème partie de l'intestin grêle qui se situe donc dans l'abdomen, en-dessous de l'estomac. L'idée étant de pouvoir continuer à alimenter directement le patient par une sonde alimentaire, reliée directement à l'appareil digestif. La sonde permet d'apporter de l'eau, des éléments nutritifs ainsi que des médicaments si nécessaire.
L'opération ne la réjouit pas mais elle a déjà beaucoup maigri et perd des forces à vue d'œil. Cette intervention devrait pouvoir lui permettre d'ingérer des calories de manière très mécanique.
Les médecins profitent de cette opération pour placer également le Port à Cathéter, chambre implantable placée sous la clavicule et directement reliée à la veine cave supérieure (grosse veine reliée au cœur). Cet appareil permet ensuite de faciliter les injections de produits de chimiothérapie.
En savoir + sur le PAC ici
La semaine avant l'intervention aura été plus calme mais je m'habitue à prendre quotidiennement le chemin de l'hôpital. Ligne 4, Gare du Nord, Ligne 5, St Marcel. Les yeux fermés.
Je suis retournée voir l'infirmière d'annonce. Comme prévu, on a refait le point sur le premier rendez-vous. Elle a pris le temps de me briefer sur la chirurgie, sur les prothèses à acheter, les soutiens gorges, les crèmes, les perruques...
On prend ce temps de mise en place des traitements pour intégrer les étapes à venir, pour s'organiser. On continue aussi de chercher des issues, des bouées de secours...Mettre en place un plan d'action exhaustif pour terrasser la maladie.
Très vite Serge et Anita, les parents de Vincent, ont pris contact avec une druide en Bretagne. Je n'arrive pas à utiliser le terme "beaux-parents" ; froide, à la limite péjorative, cette tournure ne reflète pas la nature de nos relations. Serge et Anita m'ont accueilli dans leur famille, il y a plus de 20 ans, comme leur propre fille. Aujourd'hui, plus que jamais, ils sont là pour moi, ils m'entourent et me portent eux aussi face à l'adversité.
Il y a plusieurs années, Michel, un ami de de Serge, a développé un sarcome au niveau du dos. D'après les médecins qui le suivent à ce moment-là, cette tumeur, particulièrement mal placée, n'est pas opérable et ne lui laisse que très peu de chance. Il rencontre alors Martine, une druide vivant près de Scaër, un petit village du Finistère, situé au-dessus de Rosporden. A la suite de sa visite chez elle, alors même qu'il est encore en Bretagne, les médecins l'appellent. Ils ont changé d'avis, ils estiment qu'il y a une chance d'opérer. Cette intervention lui sauvera la vie.
D'ordinaire plutôt pragmatique et rationnelle, je suis aussi de celles qui laissent place aux phénomènes inexpliqués. Je pense qu'il y a des énergies qui nous dépassent et qu'on n'a pas encore réussi à expliquer, à modéliser. Alors une druide pourquoi pas ? Je n'ai rien à perdre à tenter.
Serge l'a immédiatement contactée et elle a accepté de nous prendre en charge, ma mère et moi. Pour commencer le travail, elle nous a demandé à chacune des photos, de pleins pieds. Je me suis prise au jeu et j'ai profité d'une balade au jardin des plantes, au milieu des arbres, pour prendre quelques photos, à la recherche d'une infime connexion avec la nature engloutie par la ville !
Ensuite, nous devions lui porter des pierres énergétiques : des labradorites. Véritable bouclier contre les énergies négatives, la pierre Labradorite est incontournable en lithothérapie.
En savoir + sur la Labradorite : ici.
Serge et Anita, qui vivent dans le Périgord, ont alors été nous chercher deux magnifiques pierres du côté de Sarlat, pour qu'elle puisse les charger en énergie. Et pour établir ce premier contact avec elle, Serge et Michel, se sont portés volontaires pour lui porter eux-mêmes les pierres et les photos en Bretagne.
C'est comme ça qu'un dimanche, nous nous sommes retrouvés à Nantes, à mi-chemin entre la Bretagne, le Périgord et le Perche, Serge, Michel, Bernard et moi pour faire la passation de nos pierres chargées.
Cette rencontre fugace, le temps d'un repas, m'a particulièrement marquée. C'est la première fois que je revoyais mon père depuis l'annonce du cancer. J'avais besoin de sentir physiquement sa force et son soutien sous son étreinte. Je redevenais quelques instants cette petite fille protégée à qui rien ne pouvait arriver...
J'ai également particulièrement été touchée par cette mobilisation générale, sentir les énergies de chacun dans cette entreprise. Comme si une armée était en train de se monter pour combattre l'ennemi. On dit souvent que l'union fait la force. L'adage s'applique aussi ici. On dit toujours que les patients bien entourés s'en sorte le mieux. J'en suis intimement persuadée, même si parfois malheureusement ça ne suffit pas.
Le 22 janvier, Isa sort l'hôpital avec son Joly Jumper ! C'est comme ça qu'elle appellera son nouveau compagnon : la perche et le moteur de la jéjuno. Un fil à la patte bien encombrant dont elle va devoir s'accommoder jour et nuit, du moins dans un premier temps.
De mon côté, je suis à la veille de l'intervention. Une petite fièvre s'invite à la fête (somatisation ?) et me vaut deux petits allers/retours à l'hôpital en l'espace de quelques heures...on n'est jamais trop prudent !
Le 23 janvier, l'ironie du sort a voulu que ma mère commence sa première cure de chimio le jour de mon intervention pour la mastectomie.
Etrangeté de nos deux histoires croisées. Nous traversions des situations analogues. Nous ne pouvions pas être mieux placées pour nous soutenir mutuellement. Et paradoxalement, nous n'étions pas vraiment disponibles l'une pour l'autre.
On a beau grandir, devenir parent à son tour, on reste l'enfant de nos parents. Avec toute la complexité que ça peut avoir. Ma mère qui avait toujours été là dans les coups durs, ne pouvait pas rassurer mon petit enfant intérieur...
Depuis plusieurs jours, je suis pétrifiée. L'idée de l'opération, l'anesthésie, le sang, m'angoissent au plus haut point. Je n'ai jamais été très téméraire à la vue du sang ; plus d'une fois je me suis évanouie, comme pour échapper à une réalité insoutenable. Je serai endormie, ça devrait me rassurer. Au lieu de ça, les pires scénarios se déroulent dans ma tête.
Souvent la même pensée revient : " comment faire confiance à ces inconnus ?". On fait face tous les jours à des gens incompétents dans nos milieux professionnels. J'imagine que la proportion est relativement similaire dans le domaine médical...
Adapte de l'adage "la confiance n'exclut pas le contrôle", difficile pour moi de lâcher prise. De me savoir endormie, perdre le contrôle de la situation et de mon libre arbitre, ne fait qu'accentuer cette angoisse.
L'intervention est prévue à 9h. On me laisse le choix entre rentrer à l'hôpital la veille ou venir le matin même. Vincent est en déplacement pour le théâtre à Béthune, le genre de date prévue des mois à l'avance et pour laquelle il est compliqué de se faire remplacer. Je décide donc de rester avec les enfants jusqu'au dernier moment et je m'organise simplement pour que quelqu'un les amène à l'école.
Tym aura finalement été dormir chez Joséphine, sa copine de toujours, inséparables. Une bonne occasion de pyjama party. Pour Charlotte, c'est Marion, une amie, qui viendra me prêter main forte.
Marion, c'est un petit rayon de soleil qui a le don de vous réchauffer le cœur même dans les moments les plus difficiles. Elle m'aide à remplir ma valise de douceurs et de BD. Elle me raconte pleins d'histoires, me fait rire. J'en oublierai presque pourquoi elle est là ! Et surtout, je sais qu'elle prendra grand soin de ma Charlotte.
J'arrive à l'hôpital vers 7h30, bâtiment Gaston Cordier (Bâtiment G.Cordier à retrouver ici).
La ville semble encore endormie, le service est calme. Les visiteurs ne sont pas admis. Mais tout le monde m'accompagne avec des petits messages de soutien. Je cache ma peur derrière des pitreries, je leur envoie des photos dans ma tenue dernier cri !
L'heure d'affronter le bloc opératoire approche. Je rends mon téléphone. Je retrouve ma solitude.
Mais j'ai le droit de conserver un livre. La seule contrainte c'est qu'il faut qu'il rentre dans une sorte de petite pochette en plastique. (c'est d'ailleurs le seul service où j'ai pu voir ça !)
Depuis quelques années, je me passionne pour les romans graphiques. Avec les enfants, j'ai pris un peu de retard dans mes lectures. J'en ai glissé quelques-uns dans ma valise sans vraiment avoir pris le soin de savoir de quoi ils parlaient. Je prends donc le seul qui rentre dans la pochette, ça sera la surprise!
Il s'agit d'un livre d'Elodie Durand "La parenthèse" qui m'a été offert, il y a déjà un an ou peut-être deux.
Au bout de quelques pages, je commence à regretter amèrement mon choix !! C'est l'histoire d'une très jeune femme atteinte d'une tumeur au cerveau quasi inopérable. Gloups. Je me tâte à poursuivre. Je comprends très vite que c'est autobiographique, ce qui laisse bonne espoir pour l'issue de l'histoire...
Je suis la deuxième dans l'ordre de passage. La première opération semble avoir pris pas mal de retard. Ce qui finalement me laisse le temps d'aller jusqu'au bout de mon livre. Pas de regret, la fin est très positive et pleine d'espoir.
Pour la petite histoire, j'ai fini par oublier ma petite pochette plastique avec mon livre à l'intérieur en salle d'attente. On me le rapportera le lendemain dans ma chambre. Je me suis toujours demandée si quelqu'un était tombé dessus ? S'il ou elle en avait commencé la lecture ? Et surtout s'il ou elle avait pu aller au bout...
Ma dernière opération remontait à mes 7 ans, une éternité.
On n'imagine pas d'endroit plus froid, plus sordide. Au sous-sol, lumière artificielle, atmosphère glaciale. Tout est gris, en inox. La table d'opération est droite, dure, inconfortable. Je me demande comment je vais pouvoir rester allongée sans avoir mal au dos. Décidément, l'anesthésie fait des miracles.
L'équipe médicale est adorable, aux petits soins : couverture chauffante, petit oreiller, paroles réconfortantes... Mais la peur m'envahie progressivement. Je me vois 1000 fois me lever de la table et sortir en courant. Et pourtant, je reste. Tétanisée.
La Professeur arrive, je ne pensais pas la voir avant d'être endormie. Je pense que rare sont les chirurgiens qui prennent le temps d'être avec leur patients avant une opération. Je suis heureuse de la voir. J'arrête d'échafauder des plans d'évasions. Elle m'accompagne pendant l'endormissement, me demandant si les enfants étaient allés à l'école malgré la neige, si...
Plus rien.
J'émerge doucement en salle de réveil. J'ai le sentiment de dormir si profondément. J'entends la voix de l'anesthésiste qui cherche à me réveiller.
Je veux encore dormir. Laissez-moi tranquille.
Je finis par émerger complètement. Je suis surprise, je n'ai absolument aucune douleur. Le premier sentiment qui me vient c'est la délivrance. Je suis tellement soulagée de m'être débarrassée de ces tumeurs. Le deuil du sein perdu en est relégué au second plan.
Ils me remontent en chambre un peu plus tard. Vincent m'attend, je suis tellement heureuse de le retrouver. Il a couru depuis Béthune pour être là avec moi au réveil. Je renoue avec un sentiment de sécurité et d'apaisement.
Les premiers jours, je suis surprise, je m'attendais à plus de douleur, plus de fatigue.
La Professeur vient me rendre visite le lendemain matin. L'opération s'est bien passée mais a été un peu longue que prévue. Elle a découvert un muscle aviaire situé grosso modo entre le muscle pectoral et le creux axillaire. C'est une surprise pour moi aussi. Elle a du coupé dedans et me prévient donc que la récupération pourrait être plus longue et plus douloureuse. J'apprends également qu'elle a dû retirer par précaution toute la chaîne ganglionnaire et pas seulement le/les premiers ganglions.
J'ai un espèce d'énorme pansement compressif d'environ 20 cm. Elle m'annonce qu'on va l'enlever et qu'on va regarder. Ou du moins que je vais regarder. Je blêmis de panique. Je ne m'attendais pas à ça. Je pensais que cette étape se ferait plus tard, que j'aurais le temps de m'accoutumer à l'idée. J'essaye de manifester un refus. Elle ne me laisse pas le choix. "Il vaut mieux que nous regardions ensemble, que je puisse répondre à vos questions, plutôt que vous regardiez seule chez vous".
Elle me regarde profondément. Un regard d'une intensité que je n'oublierai jamais. Le geste est sûr, rapide, efficace. Encore une fois cette femme me transmet une force et un courage que je ne soupçonnais pas.
Un, deux, trois j'ouvre les yeux. C'est très propre, peu de sang. En revanche je trouve ça très "moche". C'est exactement le mot qui m'est venu en tête à ce moment-là. Je m'attendais à une cicatrice plaquée contre la paroi. Il n'en ait rien, il reste de la chair qui pendouille. Elle m'explique qu'elle a essayé de garder le maximum de peau pour la reconstruction. Je suis contente qu'elle soit là en effet.
Avec le recul, je ne sais pas si ça a servi à grand-chose. Avec la chimio, j'ai rapidement perdu du poids et en peu de temps, la peau a fini par se lisser complètement contre la paroi. Au bout de quelques semaines, j'ai même fini par trouver ma cicatrice jolie. Je n'ai jamais été perturbée par la dysmétrie, il faut dire qu'au vu de mon volume mammaire, la différence n'était pas fulgurante non plus. Je dirais qu'au bout d'un mois, je m'étais approprié ce nouveau corps. Le fait de savoir cette période est transitoire aide aussi j'imagine.
Je n'ai jamais caché mon corps à mon entourage, même aux enfants. Charlotte était intriguée par mes bobos, elle a toute suite voulu m'inspecter. Elle a gardé un regard tendre et ne s'est pas vraiment attardée dessus. Tymeo a mis un peu plus temps. Il est entré dans la salle de bain à un moment où je prenais ma douche. J'ai pris le temps de lui montrer et de regarder avec lui. Il m'a dit "ah ouais quand même c'est impressionnant". Je lui ai dit que je n'avais pas mal et que je n'avais pas eu mal. "Mais c'est quand même impressionnant" m'a-t-il répondu ! Et à partir de là, c'est devenu naturel. Il ne semblait même plus voir la cicatrice.
Je suis finalement restée jusqu'au dimanche à l'hôpital (5 jours en tout).
Bernard et Vincent se sont relayés toute la semaine pour me rendre des petites visites, m'apporter de la vraie nourriture ou de nouveaux bouquins, bref égayer mes journées ! Les enfants me manquaient mais leur visite était interdite.
Ma sortie était conditionnée au retrait du redon. Le fameux redon! Ou plutôt "le drain de redon".
En savoir + sur les redons ici.
Je dois avouer que ce truc était et reste toujours ma hantise. Outre le fait que ce soit lui qui décide de ma sortie, je devais me trimballer cette petite poche de liquide sanguinolant tout la journée. J'ai fini par le glisser dans une pochette/sac à main, hors de ma vue !
Si le sein fantôme n'était pas douloureux, j'avais par contre énormément de mal à lever le bras gauche. Je ne m'étais pas du tout préparée à ça. J'étais certainement passée à côté de l'information. Il faut dire qu'en terme d'informations les dernières semaines avaient été denses.
Bref, j'ai découvert que je ne pouvais plus lever le bras gauche du fait du curage axillaire.
On me donna quelques exercices à faire mais surtout on m'a prescrit de la kiné à haute dose pour éviter le lymphœdème ou le phénomène du "gros bras", conséquence possible de l'ablation de la chaîne ganglionnaire. Un lymphœdème est l’accumulation de liquide lymphatique dans les tissus se traduisant par le gonflement d’une partie du corps, en l'occurrence ici du bras. Le rôle des ganglions lymphatiques est de traiter les déchets. Ils les filtrent, les nettoient et une fois épurés, ils renvoient la lymphe dans la circulation veineuse.
En l'absence de ganglion, il est important que le système lymphatique soit bien irrigué. A compter de maintenant, et ce le restant de ma vie, toute compression du bras gauche est interdite, incluant notamment les prises de sang ou les prises de tension.
La bonne nouvelle c'est que ces séances de kiné je vais les faire avec Magali ! A la fois kiné et ostéopathe, elle exerce à quelques stations de la maison dans le 2ème arrondissement.
Magali a fait partie de ces amis incroyables qui m'ont aidée à traverser cette période. Ce n'est pas facile pour l'entourage de trouver le bon ton, les bons mots aux bons moments. Elle a cette force en elle d'être toujours juste. Je la voyais chaque semaine au cabinet, un peu de rééducation et beaucoup de massages. Elle me disait "aller viens, je vais prendre soin de toi !". Je ressortais détendue, délassée. Elle me faisait un bien fou. Elle agissait autant sur mon corps que sur mon moral ! Elle ne voyait pas en moi "que" la malade. Au fil de nos discussions, j'apprends qu'elle monte un projet d'application pour la prévention TMS (Trouble MusculoSquelettiques) intitulé "Walter". Elle m'explique qu'elle avance hyper bien mais que la seule partie qui lui propose problème c'est la levée de fond, la construction des business plans,... Elle ne pouvait pas mieux tomber ! Et de fil en aiguille, on a commencé à construire des fichiers Excel, à jouer avec les chiffres...Un beau projet qui avait le mérite de me changer drôlement les idées !