"C'est un accident de la vie, mais vous avez de la chance, celui-là on en guérit"
On m'a diagnostiqué un cancer du sein en Janvier 2019. A ce moment là, j'ai 34 ans, je suis maman de deux adorables enfants Tymeo, 6 ans et Charlotte 2 ans.
Voici mon parcours.
Au début du mois, Charlotte, 16 mois, a eu le doigt sectionné dans une porte de la crèche où elle était gardée. Un épisode assez traumatisant qui marqua le 1er évènement d'une succession d'épreuves à surmonter.
On enchaîna quelques jours plus tard avec la disparition de mon grand-père, le 19 juillet.
Début du mois d'août. On a chargé la voiture, pris la route vers le sud, à l'aventure.
Le doigt de Charlotte est toujours en convalescence, on fait l'impasse sur la plage et la mer...direction le Verdon. Vincent, mon conjoint, conduit au hasard des paysages. Quand la fatigue nous guette, je trouve un hôtel. On s'arrête, on transvase les enfants dans un lit confortable et ils découvrent au petit matin le plaisir de picorer le buffet du petit déjeuner.
Au bout de quelques jours, on atteint le lac du Verdon, une pure merveille. Nous sommes hypnotisés par cet endroit.
Nous choisissions ensuite de nous enfoncer un peu plus loin, vers le Luberon et nous découvrons une région marquée par une terre ocre, chaude et mystérieuse.
Nous décidons de passer la nuit dans une yourte, au milieu de nulle part, dans des paysages sauvages et incroyables.
Depuis plusieurs jours, je suis tiraillée par une tendinite à la main gauche. Diagnostic qui ne sera établi que quelques semaines plus tard. Pour l'heure, la main et le poignet sont gonflés, impossible d'en faire usage. Les nuits sont courtes, la douleur ne me quitte pas.
Et puis elle est apparue, sous mes doigts, à l'heure de la douche. Petite et sournoise, cette petite boule nichée sur le haut de mon sein gauche.
Charlotte est toujours allaitée mais les tétées s'espacent. Je me raccroche à l'idée que le dérèglement hormonal, les montées de lait sont à l'origine de ce nouvel intrus dans mon corps.
En Bretagne, ma mère, Isa, s'est à priori faite piquée par un insecte. Un abcès s'est formé, il a fallu opéré. Evénement anodin qui a pris une bien mauvaise tournure. Quel drôle d'été.
On est maintenant fin août, Vincent et moi avons repris le travail depuis quelques jours. Mes parents, Bernard et Isa, sont venus garder les enfants chez nous à Paris avant de repartir tous ensemble passer quelques jours chez eux à St Malo.
Depuis hier, une petite fièvre s'installe et n'a de cesse d'augmenter. Nous partons ce soir en voiture, pas question de traîner ça ! Un coup de doctolib, 1er toubib de dispo, antibios et roulez jeunesse.
Aucun diagnostic posé, médecin de passage, disponible en moins d'une heure...je ne m'attends pas à guère mieux.
Ça fait désormais 10 ans que nous habitons à Paris, nous n'avons jamais trouvé jusqu'à maintenant de médecin fiable, compétent, de confiance... Nous allons de déconvenue en déconvenue, à croire que leurs compétences plafonnent aux classiques rhino-pharyngite / gastro. Et encore, on leur prémâche le travail en répondant du diagnostics à leur sentinelle question : "Alors qu'est-ce qui vous amène ?". Le patient avance son auto-diagnostique "J'ai la nausée, la diarrhée, je pense que j'ai une gastro". Et 2 coups de stéthoscope plus tard : "Bon, et bien vous avez une gastro".
10 ans d'études, 3 min dans le cabinet, 35€...
Nous sommes à St Malo depuis plusieurs jours, la fièvre augmente, inefficacité redoutable des antibios.
Direction le médecin de famille cette fois. La prise en charge est différente et j'ai affaire à quelqu'un de beaucoup plus rigoureux, c'est parti pour une batterie d’examen : analyse de sang, radio des poumons (une petite toux s'est invitée aux symptômes) …
24h plus tard, verdict : mononucléose. A confirmer par des examens complémentaires.
Quelle plaie…Rien à faire à part attendre, Doliprane toutes les 4 à 6h. Patience.
Nous quittons St Malo, Tymeo fait sa rentrée scolaire en CP ! Un grand moment sauf que j'ai toujours des pics de fièvre à 40/41°, la nausée…Je n'arrive plus à me lever, à manger et encore moins à l'accompagner dans cette étape. Ça peut paraître futile, mais c'est inconcevable pour moi de ne pas être présente. Je me bourre de doliprane et je me traîne jusqu'à l'école. Maman entière et dévouée, rien ne me fera renoncer. Avec le recul, je me dis que tout ça est bien ridicule. Je pense qu'il n'a aucun souvenir de cette journée…
Les jours se succèdent, la fièvre ne baisse pas. Les nouvelles analyses ne confirment pas la mononucléose. Zut. Nouveaux moments d'inquiétudes. J'arrive de moins à moins à manger, j'ai déjà perdu quelques kilos (rien de bien grave, j'avais un peu de reste de ma dernière grossesse…).
J'ai toujours cette petite boule dans mon sein. Une petite boule qui devient de plus en plus proéminente. Elle grossit, je maigris ; elle se voit à l'œil nu maintenant.
Nouveau médecin, toujours doctolib last minute, toujours catastrophique. Il s'agirait maintenant d'un CMV : "CythoMégaloVirus". Hummm jamais entendu parler, ça paraît ch…mais pas dangereux ! Ouf.
La boule dans le sein ? Non rien, probablement un kyste. Pas de lien possible ; je suis rassurée.
Par contre, les résultats hépatiques sont mauvais, on m'envoie maintenant vers un spécialiste, un gastro-entérologue. Je tombe sur un médecin d'une ancienne génération, très méticuleux et attentif. Enfin quelqu'un à qui je peux, me semble-t-il, me fier.
La fièvre continue de me tarauder ; on est maintenant mi-septembre et toujours pas vraiment d'amélioration.
C’était la première fois que je suis en arrêt maladie. J’ai toujours vu mon père travailler. Beaucoup. Ma mère s’est occupée de nous jusqu’à mes 9 ans puis elle s’est à son tour immergée dans le monde de travail. J’ai été élevée avec une considération sociale de valeur la travail placée en haut de la pyramide de Maslow. Dans la famille, on se plonge dans la vie professionnelle avec dévotion.
Plus qu’une nécessité, le travail représente pour moi une véritable vocation qui fait partie intégrante de mon équilibre. Après quelques années ingrates et dépourvues d’intérêt profond chez Deloitte, comme auditrice financière, j’ai enfin trouvé mon épanouissement chez medici.tv, plateforme de streaming de musique classique. Plus qu’une simple offre de VOD, medici.tv est une plateforme au service de la culture et des artistes qui s’engage à faire rayonner dans le monde entier le meilleur de la musique classique dans toute sa diversité et sa richesse. Une mission qui fait écho à des convictions intimes et personnelles. Vincent étant musicien, nous évoluions depuis plusieurs années dans la sphère du spectacle vivant. J’alliais ainsi mes aspirations professionnelles avec mes intérêts personnels, j’adhérais à un projet d’envergure internationale et je participais à un projet de démocratisation de la musique classique… Embauchée quasiment à l’origine du projet comme directrice financière, j’ai ensuite évolué comme directrice des opérations. Je gère et coordonne désormais l’ensemble des activités de la société et je suis garante de sa bonne gestion. Un champ assez large de responsabilités qui occupe une grande part de mon esprit et de mon temps.
Et pour la première fois de vie, mon corps ne répondait plus. J’étais à l’arrêt total. Incapable de réfléchir. J’avais atteint un tel niveau de fatigue, que je me sentais démunis de toute forme de culpabilité ou de frustration. Un sentiment bien étrange. De quoi ébranler considérablement la structure de mes schémas de valeurs sociales relatives au travail...et de prendre un peu de recul!
Après un scanner et une écho abdominale et des nouvelles analyses de sang, la piste du CMV est maintenant remise en question. Les antigènes retrouvés seraient relatifs à une infection ancienne, qui serait passée inaperçue… En revanche, le foie a doublé de volume, on conclut à une hépatite médicamenteuse. Après 3 semaines de doliprane non-stop, rien de très étonnant.
Bref, je n'y comprends rien, je suis dans le flou total. Je continue à perdre du poids, ça qui ne m'amuse plus du tout. J'arrive à m'assoupir entre 2 prises de médicament. Mais dès que l'heure approche, la fièvre s'empare de moi, je frissonne, je transpire, je me sens au plus mal…je me dis à chaque fois que le prochain coup je ne tiendrai pas, sans vraiment savoir ce que ça pourrait signifier. Puis l'action du paracétamol vient apaiser la douleur et permet un sursis supplémentaire, jusqu'à la prochaine prise de médicaments.
Il faut que je trouve ce qui m'arrive.
Toujours un peu inquiète de cette boule dans le sein. L'examen du scanner est semblerait-il rassurant. Le médecin qui analyse les clichés est formel : kyste liquide et ce n'est d'ailleurs pas le seul.
On me recommande un docteur généraliste mais aux pratiques assez ouvertes sur les médecines douces ; un bon point pour elle.
Je prends rendez-vous avec elle même si je reste, pour l'heure, encore assez sceptique et désabusée.
Mon dossier médical sous le bras et mon tube de doliprane dans la poche, je me rends à son cabinet sans trop d'espoir, fatiguée d'avoir à retracer une fois encore l'enchaînement de ces dernières semaines.
A ma grande surprise, je découvre, sous un visage un peu froid de prime abord, une femme d'une douceur et d’une empathie incroyable. Je ne reste pas moins de 1h30 avec elle, tout est analysé, questionné, remis en question… C'est la première fois que j'ai le sentiment d'avoir enfin quelqu'un qui cherche avec moi, qui n'a pas peur d'émettre des hypothèses, de reconnaître qu'elle ne sait pas et qui ne se cache pas derrière des phrases toutes faites pour vous rassurer (enfumer ?). "Allez passer vos examens et on se revoit dans quelques jours."
J'aborde avec elle aussi la question du kyste mammaire. "Lorsque que vous aurez un peu récupéré, on confirmera quand même le diagnostic avec une écho/mamo".
Nouveaux résultats : on revient sur le CMV, manifestement il y a eu une erreur dans le labo. Je suis atterrée : à qui se fier?
En revanche le diagnostic est complété, on parle maintenant d'un CVM et d'une pneumopathie à mycoplasme avec atteinte hépatique. Rien que la succession de ces termes barbares me filent la nausée.
C'est la version qu'on considéra comme la version officielle et définitive. On est fin septembre, les crises de fièvre sont maintenant moins violentes et plus ponctuelles. Le virus, celui-ci ou un autre, semble battre en retraite et finalement c'est le principal. Je suis éreintée, il faut que je me refasse une petite santé !
Ce docteur, devenue officiellement mon médecin traitant et avec qui nous échangeons toujours longuement, m’avertit : "les populations sont de moins en moins résistantes" : vaccinations à outrance, aseptisation de nos modes de vies. Là où avant on se forgeait une immunité à force d'être mis en contact avec des virus et des bactéries, le corps humain est maintenant de plus en plus démuni à l'arrivée de nouveau virus. "Je vois de plus en plus de cas inexpliqués" me dit-elle, de nouveaux virus, non-identifiés. Elle me confie s'inquiéter de ce double constat et craindre des pandémies…On est début octobre 2019, la Covid fera son apparition un an plus tard. Visionnaire.
La fièvre a désormais disparu, le foie met un peu de temps à se remettre. J'ai perdu 14 kilos en 5 semaines. Je suis fatiguée mais j'ai pris plein de nouvelles résolutions alimentaires. Je booste mon immunité à coup de jus de fruits et jus végétaux, je fais le plein d'anti-oxydants et je soigne mon foie.
Ma mère, par contre, est confronté à un problème de taille, depuis la mi-septembre elle a du mal à déglutir. Elle a de l'appétit mais "ça ne passe pas".
Les premières analyses sont positives, le médecin généraliste n'arrive pas à déceler de problème. On se demande même si ce n'est pas psychologique, un blocage qu'elle n'arrive pas à surmonter.
Début des examens pour elle. On attaque un nouveau parcours du combattant entre médecins incompétents, délais démentiels dans les prises de rendez-vous avec des spécialistes, manque de réactivité des interlocuteurs...
Petit retour en arrière. En mai dernière, elle avait déjà présenté des symptômes inexpliqués : des douleurs dans le ventre, du sang dans les selles. En juin, alors qu'on n'arrivait pas à poser de diagnostic, elle avait fini par passer une coloscopie. Rien. Puis les choses s'étaient plus ou moins tassées. A ce moment-là, nous ne faisons pas le lien avec son état actuel. On le fera un peu plus tard, quand on se repassera le film à l'envers.
Son médecin généraliste, étaye différentes hypothèses et l'envoie consulter un ORL, supposant un problème au niveau de la gorge. Il faudra attendre un mois pour avoir une échographie. Désespérément long.
La vie a repris son cours presque normalement, le foie est toujours fragile mais je me tiens à mes bonnes habitudes alimentaires. Mon corps rejette de tout façon ce qui est gras, sucré, caféiné.
Toujours cette boule dans le sein qui m'interroge mais qui ne semble plus grossir. Je vais consulter Billy, mon maïeuticien (sage-femme). Il a suivi mes 2 grossesses, en suivi global et en haptonomie. Nous sommes proches, ça fait maintenant 7 ans qu'il me suit également pour le suivi gynécologique, en dehors de mes grossesses.
A la fin de ma 2ème grossesse, 1 mois 1/2 avant la naissance de Charlotte, j'avais déjà senti une petite boule dans ce sein. Plutôt dans le dessous du sein. A l'époque l'échographiste avait conclu à un kyste liquide. Tout risque avait été écarté et j'avais accouché sereinement.
Aujourd'hui, malgré un scanner rassurant, il m'invite lui aussi à un contrôle par échographie.
Rdv pris pour le 19 décembre.
L'état de ma mère ne cesse d'empirer. La quantité de ce qu'elle peut avaler se réduit drastiquement. Elle fait le tri dans les aliments qui passent (les chips (!), les œufs, les avocats) et ce qui ne passent pas (le reste).
Les batteries d'examens se succèdent, toujours avec une lenteur inconsidérable... et sans trop savoir ce qu'on cherche vraiment...
L'échographie de la gorge n'aura rien donné. Retour au point zéro.
Elle est désormais adressée à une gastro-entérologue qui fait le lien avec les saignements qu'elle a pu avoir en mai et décide de planifier une fibroscopie.
Notre inquiétude grandit mais à ce moment-là, je suis très très loin d'imaginer ce qu'elle peut avoir.
Le 3 décembre, la fibroscopie aura permis de déceler une forte irritation et des saignements importants, ne facilitant pas l'examen. La gastro-entérologue a fait plusieurs prélèvements qu'elle envoie au labo. Dans le même temps, elle demande à ma mère de passer une IRM pour compléter l'imagerie, rdv le 12 décembre.
Le 11 décembre, anniversaire de Jules, ma sœur Julie. Le cœur n'est pas à la fête.
Le 13 décembre, la gastro-entérologue reçoit mes parents pour leur faire état des résultats. Cancer de l'œsophage.
Dans la matinée, ma mère m'appelle pour m'annoncer la nouvelle. Je suis au bureau, je l'écoute, complètement abasourdie. Je n'arrive pas à y croire. Je pense que cette possibilité ne m'avait absolument pas effleuré l'esprit. Je suis anéantie. Elle me demande de ne pas pleurer. Impossible. Je finis par me calmer, on raccroche. Je descends les escaliers 4 à 4, j'ai besoin d'air ! Je marche, je fais le tour du quartier, j'essaye de me calmer. Les pires scénarios me passent par la tête. J'appelle Vincent, il est aussi ébranlé que moi. Je remonte dans mon bureau. Je fais acte de présence jusqu'à la fin de la journée. Mon corps ici, mon esprit avec ma mère.
Les jours qui ont suivi ont été très difficiles. Alternance d'insomnies, de pleurs. Être là pour elle, l'appeler tous les jours, la soutenir, lui donner le courage d'affronter les événements. Chercher des solutions, apprendre à connaître la maladie, les traitements. Toutes mes recherches google sont axées là-dessus, comme si c'était la clé pour trouver la porte de sortie.
La date du 19 décembre est arrivée, je l'avais presque oublié. Envahie par le chagrin et l'inquiétude, rien d'autre n'avait de place. Et puis j'étais sereine. Le scanner était positif, on n'allait "que" confirmer ce diagnostic.
Le matin même, sous la douche, je sens néanmoins une nouvelle boule, dans le creux axillaire. J'imagine qu'il s'agit d'un ganglion, je croise les doigts pour qu'il ne s'agisse pas à nouveau d'une réaction à un virus sous-jacent.
Je me rends donc au CSE, centre d'imagerie situé dans le 10ème arrondissement.
A l'écho, les premières images viennent corroborer l'hypothèse initiale. La boule est liquide, l'échographe n'est pas inquiète.
Elle poursuit l'examen.
Et là elle s'arrête sur une autre masse. Plus petite. Mais qui présente des microcalcifications.
Je n'avais jamais entendu ce mot mais je comprends dans son regard et dans le ton de sa voix que ce terme n'augure rien de très bon. En savoir + sur les microcalcification ici
J'en profite pour mentionner la petite boule dans le creux axillaire : tant que j'y suis, autant réaliser un examen complet.
En savoir + sur l'échographie ici
"On va passer à la mammographie" m'annonce-t-elle. Merde, ce n'était pas dans le cahier des charges initial.
Elle se veut rassurante, ça ne veut rien dire. Vous êtes jeune. Simple précaution.
Je passe à la deuxième salle d'examen. "Je suis jeune. J'ai allaité presque 4 ans en cumulé. Je ne fume pas. J'ai toujours été sportive". Ces 4 phrases tournent en bouclent dans ma tête alors que la chaleur du stress commence progressivement à envahir tout mon corps.
Résultat de la mammo: masses suspectes à contrôler par biopsie - dans le sein et dans le creux axillaire.
En savoir + sur la mammographie ici
J'ai les jambes qui flanchent, les larmes qui montent d'un coup et je m'effondre auprès du médecin qui réalise l'examen. Je lui raconte tout : ma mère, le scanner, le CMV, je suffoque, tout se mélange, je lui dis que ce n'est pas possible, qu'il y a forcément une explication. "Je suis jeune. J'ai allaité presque 4 ans en cumulé. Je ne fume pas. J'ai toujours été sportive" Rien n'y fait, elle est formelle : il faut aller plus loin, elle ne peut pas s'avancer. Mais ça peut aussi ne rien être. Ne pas s'inquiéter tant qu'on a pas les résultats.
Et justement, c'est tant qu'on n'a pas de diagnostics qu'on s'inquiète. C'est l'attente des résultats qui fait grandir l'inquiétude. Une fois que le résultat est donné, on passe à l'action. A ce moment-là, l'inquiétude, bien que toujours présente, est alors reléguée au second plan.
Mais ça, pour l'instant, je n'en ai pas encore conscience...
La biopsie est programmée le lendemain matin. La "macrobiopsie". J'apprends en effet il y a 2 types de biopsies à réaliser : une macro et une micro biopsie. La microbiopsie est programmée la semaine suivante.
En savoir + sur la biopsie ici
Inquiète de voir la rapidité à laquelle ils mettent ces rendez-vous en place, j'essaye de me rassurer en me disant que leur empressement est relatif à l'approche de Noël ; comme partout on boucle les dossiers avant les vacances... Naïveté ou politique de l'autruche? Disons, surcroît de positivité !
Je sors du centre d'imagerie, j'appelle Vincent. J'essaye de paraître sereine même si je ne lui cache pas mon inquiétude. De son côté, il tente d'être rassurant, confiant.
Le lendemain, retour au CSE, le médecin, une belle femme d'une quarantaine d'année, un brin autoritaire, pratique l'examen. Sans douceur, sans empathie.
Elle propose de "vider" le kyste liquide avant de procéder aux prélèvements sur les 2 masses suspectes. A son grand étonnement, le kyste est rempli de sang. Elle n'est pas sereine, manifeste son inquiétude et m'indique que le prélèvement va lui aussi partir pour analyse.
Elle s'agite, me fait mal. Elle m'interroge sur mes antécédents, sur mes antécédents familiaux. L'examen est particulièrement désagréable, je pense à ma mère mais j'ai peur pour moi aussi maintenant.
Elle finit par me convoquer l'après-midi même pour réaliser le 2ème examen ; la fameuse microbiopsie qui était initialement prévue la semaine suivante. Cet empressement ne me dit rien qui vaille.
Elle me demande les références de mon/ma gynécologue. Je n'ai que Billy. Je lui fais confiance, il m'a toujours suivi. Il a toujours su être beaucoup plus fiable et délicat que tous les gynécologues croisés auparavant. J'ai fini par abandonner cette spécialisation il y a déjà pas mal d'années. Elle, en revanche, n'est décidément pas en phase par ma prise de position. Une sage-femme n'est pas en mesure de suivre mon dossier. Il me faut un gynécologue spécialisé et compétent. Elle propose de m'adresser à une Professeur du service du pôle chirurgie et cancérologie gynécologique et mammaire de la Pitié Salpêtrière. Ca y est le mot est lâché pour la 1ère fois : "cancer". Je reste interdite, je me dis que je vais me réveiller, que tout ceci est un mauvais rêve.
"Si je vous envoie auprès de la Professeur, il faudra me suivre et aller la voir. Pas question de la déranger si vous ne jouez pas le jeu" me dit-elle. Ça ne risque pas, je ne suis pas d'humeur à jouer. Je devrais être soulagée d'être adressée à un ponte de la cancérologie mais c'est tout l'effet inverse à ce stade. Ça ne fait que rendre les choses plus concrètes et sans espoir.
Elle continue dans le même temps de me répéter que ça ne veut rien dire, qu'il faut rester confiant, que je suis jeune, blablabla... Et que même si c'était ça, le cancer du sein, on le soigne très bien maintenant.
Je n'arrive pas à démêler le vrai du faux : excès de prudence ou véritable risque, elle semble faire partie de ces femmes charismatiques qui en font parfois trop. Avec le recul, je crois que j'essayais de me raccrocher à tout ce que je pouvais pour ne pas voir la vérité en face...
Je rentre chez moi en trottinette électrique ; début des lime à Paris, véritable révolution dans le transport de proximité.
Mon sein est particulièrement douloureux, marqué par quelques petits coups de bistouris.
J'essaye de faire le calme dans ma tête et de ne pas penser à la suite.
Je prends des nouvelles de ma mère, je ne lui dis pas un mot de ce qui est en train de se passer. Je ne veux pas la surcharger.
L'après-midi, je retourne me faire charcuter le sein et l'aisselle. J'appréhende, j'ai toujours mal à l'issue du premier examen. La boule, gorgée de sang, qui a été ponctionnée ce matin, s'est de nouveau remplie.
Toujours le même médecin, toujours le même empressement et précipitation dans les gestes. La douleur n'a pas sa place.
L'examen est un carnage. Elle n'arrive pas à faire le prélèvement. L'aiguille n'a de cesse de "rouler" sur les masses à prélever qui sont trop dures pour être percées. Elle replacera à plusieurs reprises l'appareil pour tenter de nouveaux "carottages". Au final, elle semble avoir pu faire quelques prélèvements.
Elle finit par se confondre d'excuses, regrettant que ça se soit si mal passé.
Je repars le moral dans les chaussettes, des points de sutures et des ecchymoses sur le sein.
Les résultats ne seront pas disponibles avant 15 jours, transmis à l'hôpital Le rendez-vous est déjà fixé au 4 janvier.
15 jours, le bout du monde. On est le 20 décembre, Joyeux Noël.
Nous arrivons à St Malo. Noël a un goût amer cette année. Heureusement, il faut jouer le jeu pour les enfants.
Je ne sais pas comment qualifier la peur et l'inquiétude face à la maladie de ma mère. Je la vois, je m'effondre. On ne connaît rien à sa maladie, on s'interroge, on essaye de s'informer. On regarde sur le web. La pire chose à faire dira-t-on. Oui et non. Il faut faire le tri, rationnaliser, vérifier les sources, ne pas se laisser aller aux pathos des forums qui décrivent les situations les plus pessimistes. L'exercice est délicat mais salutaire. Il faut que je puisse me raccrocher à des éléments tangents, rationnels pour me construire un abri de positivité. Un refuge d'arguments optimistes qui me permettent de garder confiance. Et surtout lui transmettre cette confiance.
"C'est probablement le dernier Noël que nous passons ensemble" me dit-elle. Je ne veux pas entendre ces mots, ils sont d'une violence inouïe. Comment peut-elle baisser les bras alors que les traitements n'ont pas commencé ? Comment peut-elle imaginer nous abandonner sans avoir essayé ?
Je me réfugie dans mon fameux abri de positivité et dégaine mes meilleurs arguments. Elle ne lutte pas avec les mots. Je ne la sens pas convaincue mais fataliste. Je ne lâcherai pas l'affaire. J'y retournerai demain.
Compliqué de faire preuve de sérénité et de confiance au moment même où je suis plongée dans un brouillard d'inquiétude face à ma propre situation. Mon sein douloureux me rappelle à chaque instant la longue attente à laquelle je fais face.
Murée dans le silence pour ne pas inquiéter ma mère, j'échange à demi-mots sur le sujet avec mon père et ma sœur. J'ai aussi besoin d'être rassurée, consolée. Partagée entre la nécessité d'être épaulée et de ne pas les surcharger. Les préserver d'inquiétudes qui pourraient ne pas être justifiées.
Deux ans après, je n'ai quasi aucun souvenir de ce Noël. Hormis la peur, les larmes et l'attente.
On repart de St Malo au bout de quelques jours et on s'arrête dans le Perche se ressourcer dans notre maison de campagne. On a acheté cette petite maison il y a maintenant presque 4 ans. Le Gault du perche, bourgade de 300 habitants perdue en pleine campagne. Un contraste abyssal avec notre quartier de château rouge à Paris. Ni l'un ni l'autre ne sommes citadins. Vincent encore moins que moi. Après notre arrivée à Paris, le besoin d'espace, d'air, de vert s'est rapidement fait ressentir. Cette maison, c'est notre refuge. Notre bouffée d'oxygène. Impossible pour moi d'enchaîner plus de deux week-ends parisiens. J'étouffe.
J'ai dit aux enfants la vérité. Véritables éponges, ils sentent tout ce qui se passe. Ils perçoivent la peur, la tristesse. Pour moi, il est indispensable d'être transparente avec eux. Je pars du principe que l'inconnu accroît la peur. Je ne veux pas l'entretenir. Parler nous permet de dédramatiser.
Pour Isa, on a parlé d'une longue maladie, très grave. Qu'il fallait prendre soin d'elle et que la guérison allait nécessiter des traitements lourds, qu'elle allait être très fatiguée. Quand ils l'ont vu, ils ont perçu sa fragilité et nos inquiétudes. Ils ont été très délicats, presque pudiques avec elle.
Pour moi, on a parlé d'une boule dans le sein, que cette boule pourrait-être "gentille" ou "méchante" et que pour la soigner il fallait l'analyser. D'où les bobos sur le sein. Charlotte, qui est toujours allaitée à ce moment-là, est aux premières loges. Mais elle ne semble pas être perturbée par le fait que je ne lui donne quasiment que le sein droit.
Le 27 décembre, ma mère rencontre pour la première fois son oncologue. Le plan de bataille est lancé, au programme : chimiothérapie.
Le 02 janvier, mon téléphone sonne. L'assistante de la Professeur m'appelle et me demande de venir faire une IRM au CSE le lendemain.
Je suis seule, en bas dans le salon, à nouveau mes jambes qui se dérobent, je vacille. J'arrive à balbutier un "oui d'accord" et un "mais du coup vous avez mes résultats, qu'en est-il ?" La secrétaire me dit qu'elle n'a aucune information, que ce n'est pas de son ressort. Je demande à être rappelée par la Professeur. Je n'en saurais pas plus. Personne ne me rappellera.
C'est l'effet d'une bombe atomique. Je me mets à pleurer, encore. Cette fois, je fais face à la certitude que le diagnostic ne peut être positif. Si les analyses étaient bonnes à quoi bon ce complément d'image ?
J'essaye de me calmer, j'ai du mal à respirer. Je suis comme étouffée par la peur. Je ne veux pas que les enfants me voient comme ça. Je ne veux rien avancer ou annoncer tant que les choses ne sont pas officielles. Les protéger de mes doutes et de mes inquiétudes. Vincent a perçu la situation, il les éloigne et revient me soutenir.
Je suis aussi en colère face à une telle lâcheté. Une annonce par omission. Il faut arrêter de prendre les gens pour des c...
Et à la fois, tant que ce n'est pas officiel, je n'arrive pas à me résoudre à la nouvelle. Je cherche des réponses, des espoirs. J'appelle Billy, il aura peut-être eu des résultats ? Il aura peut-être un éclairage médical à m'apporter ? Je me dis surtout que lui ne va pas me mentir ou passer des informations sous silence. Ce n'est pas le genre.
J'aurai finalement droit à des réponses très politiquement correctes. Lui, le révolutionnaire, antisystème, qui prêche pour la transparence et la vérité. La déception est immense. Je comprends qu'il ne veuille pas se mouiller mais je m'attendais à plus de courage de sa part.
Cancer, le mot est encore tabou. Même dans le corps médical.
Après cet épisode, j'ai tenté de lui donner des nouvelles, du moins les premiers mois. Je l'ai informé du diagnostic quand il est officiellement tombé. Je lui ai demandé conseil sur les spécialistes à consulter. Il m'a donné le nom d'un chirurgien à la clinique du sein. Et à partir de ce moment-là, je n'ai jamais eu de retour de sa part. Il avait passé le relais. Je ne demandais pas grand-chose, simplement de ne pas être abandonnée. Je n'ai jamais compris. Je pensais notre relation plus entière. Et surtout, je ne le pensais pas enclin à une telle lâcheté lui aussi.
Le 03 janvier, je vais passer l'IRM. Pas beaucoup d'informations de ce côté là non plus. Tout le monde s'accorde à ne pas me délivrer les résultats des biopsies. Tout le monde continue de me mentir effrontément en me disant qu'ils n'en savent rien, que ça ne veut rien dire. Foutaises.
Les images ? Toujours des masses suspectes. Pas d'autres informations.
En savoir + sur l'IRM ici
Le 04 janvier, on dépose les enfants à l'école et à la crèche. On marche jusqu'à la Gare du Nord pour récupérer la ligne 5. Arrêt St Marcel. Hôpital la Pitié Salpêtrière. Je n'étais pas revenue là depuis les années. A l'époque où je travaillais chez Deloitte, je venais régulièrement chez un de mes clients : l'ICM (Institut du Cerveau et la moelle épinière). Cet endroit me donnait la chair de poule. Une ville dans la ville, des anciens bâtiments gris/marron. J'ai toujours eu le sentiment de me retrouver dans un décor de camps de guerre, austère et empreint d'une atmosphère morbide.
Ce n'était pas gagné côté positivité ! Mais malgré tout, on rigole, on parle de choses et d'autres. On s'essaye à la légèreté.
Plan de l'Hôpital la Pitié - Salpêtrière ici
Le rendez-vous est à 11h, l'horaire est globalement respecté. On sent que tout est minutieusement orchestré, dans une certaine rigueur.
Bâtiment Layani à retrouver ici
La salle d'attente est moderne, les sièges colorés amènent une certaine gaîté. Le plafonnier est une sorte de panneau lumineux représentant une forêt. L'image contraste avec le reste de la pièce, très urbaine, très médicale. Ça va que l'ensemble est neuf, sinon on pourrait se croire dans un mauvais restaurant chinois. Je m'interroge sur les intentions du décorateur d'intérieur. Qu'est ce qui a pu l'amener à faire un tel choix ? Est-ce qu'il s'est dit "tiens, on va mettre une photo de forêt, pour créer l'apaisement et puis ça sera moins glauque pour accueillir les mauvaises nouvelles !"
C'est mon tour, il était temps, j'allais finir par disséquer chaque morceau du plafond...
Je me retrouve face à une armée de blouses blanches, la Professeur, deux internes, une fille et un garçon, et l'infirmière d'annonce. Avant même qu'on m'annonce quoique ce soit je suis impressionnée par l'assemblée. Finalement j'étais plus à l'aise avec la forêt à côté !
L'entretien démarre fort, elle va directement à l'essentiel : "on a procédé à l'analyse de prélèvement de plusieurs masses suspectes. On a trouvé du cancer partout".
A partir de là, très difficile de savoir ce qu'elle m'a raconté. Tout s'est brouillé d'un coup, j'entends encore des voix lointaines, des bribes de phrases. Je suis interdite. Ça y est le verdict est tombé et il est sans équivoque. Je pense à mes enfants, je pense à Vincent. Il est à côté, il a l'air encore plus pétrifié que moi. Je pense à la mort, au fait que je vais disparaître, que mes enfants sont trop jeunes, que je suis au début de ma vie et que tout va s'arrêter là, maintenant. Que je ne suis pas malade. Comment peut-on vous annoncer une telle chose alors que vous n'avez aucun symptôme? Que vous vous sentez en pleine forme ? Il doit y avoir une erreur...
"Ce que vous êtes en train de vivre là, c'est le moment le plus difficile. Après on va vous soigner et vous allez guérir".
Cette phrase me sort de ma torpeur. Je ne suis pas sûre de comprendre sur le moment. Avec le recul, elle a pris tout son sens. L'étape de l'annonce est un véritable séisme, un moment où tout s'arrête, tout bascule. Un moment où on a envie de hurler de peur.
Elle m'examine, me pose tout un tas de question sur ma santé, mon mode de vie. J'y répond tant bien que mal. Je commence à chercher moi aussi des réponses. Pourquoi moi ? Pourquoi maintenant ? Quelle est son origine ? Aujourd'hui ces questions restent toujours sans réponses.
J'apprends alors que j'ai 2 tumeurs (celle avec les microcalcifications, la petite sournoise que je n'avais pas sentie, et celle liquide qui a donné l'alerte). A ce moment-là, elle m'annonce que les tumeurs sont hormonodépendantes et que c'est, en toute relativité, plutôt une bonne nouvelle. On dispose d'armes médicales supplémentaires et, généralement, ce sont des tumeurs moins agressives. (J'apprendrai malheureusement quelques semaines plus tard qu'il y en avait une de nature triple négative, c'est à dire pas hormonodépendante).
Ensuite, le cancer a commencé à se propager vers les ganglions et le ganglion sentinelle (le premier de la chaîne ganglionnaire) est atteint. Reste à savoir jusqu'où il s'est propagé... S'annonce alors la seconde partie la plus angoissante des examens : la réalisation du TEP SCAN. L'idée étant d'avoir une imagerie globale et complète qui permette de vérifier l'éventuelle existence de métastases. S'il y' a un mois je n'avais jamais entendu parler de cet examen, je devais maintenant m'y soumettre comme l'avait fait ma mère quelques jours avant. Je connaissais les implications de l'examens et la douloureuse attente des résultats. Avoir une tumeur localisée et avoir des métastases sont deux choses bien différentes. Et les chances de guérisons s'amoindrissent considérablement dans le second cas.
"On est armé pour vous guérir et même s'il y a des métastases, on vous guérira". Cette phrase aussi ressort du flot de mots qui est déversé. Je m'y raccroche comme à une bouée.
Vient ensuite le moment où elle m'explique ce qui va se passer et quelles sont les étapes qui m'attendent. Le discours est fluide et bien rodé. J'observe les deux étudiants qui sont en train d'apprendre à annoncer des mauvaises nouvelles. Je n'ai même plus la force de m'indigner de ce manque d'intimité.
"On va devoir procéder à l'ablation de votre sein gauche et réaliser un curage axillaire, c'est à dire qu'on va vous enlever tout ou partie de la chaîne ganglionnaire". Elle me donne un dessin sur lequel il y a un sein avant et après l'opération. Elle m'indique où sera la cicatrice. Et c'est seulement en fin d'entretien, en regardant encore et encore ce minuscule croquis, que je comprends que tout va être enlevé; mamelon inclus. Je suis sidérée. J'étais persuadée qu'ils allaient uniquement retirer les tumeurs. Je lui fais répéter encore une fois, interdite par l'idée de ce geste radical qui s'annonce.
L'opération aura lieu le 23 janvier. On doit agir rapidement car le cancer est un cancer de grade 3, il est particulièrement agressif. Comme souvent chez les jeunes patients.
Elle me soumet alors le planning des mois à venir, une sorte de feuille de route schématique: le PPS (Protocole Personnalisé de Soin), qui me suivra tout au long de mon parcours. Les prochains mois commencent à se dessiner: opération, 6 mois de chimio, 2 mois de radio... 10 ans d'hormonothérapie. Rien que ça.
Ce PPS est décidé en réunion de concertation pluridisciplinaire (RCP) . Toute prise en charge de cancer relève de plusieurs spécialités médicales. Chaque situation est donc discutée au cours d’une RCP rassemblant des médecins d’au moins trois spécialités différentes: chirurgien, oncologue médical, oncologue radiothérapeute, spécialiste de l’organe concerné, pathologiste…. Compte tenu de la situation et en s’appuyant sur des outils d’aide à la décision appelés "recommandations pour les professionnels de santé", ils émettent un avis, qui comprend une proposition de traitements.
Elle continue le déroulé de sa longue liste de mauvaises nouvelles...
Le cancer étant hormonodépendant, il faut arrêter l'allaitement dès aujourd'hui ; sans plus attendre. Autre coup de massue. Charlotte n'est pas très loin du sevrage mais ça n'est pas du tout la fin d'allaitement que j'avais imaginé. Je panique à l'idée de sa réaction. Pour moi, il n'y a rien de plus important que de communiquer, prévenir, préparer son enfant. Je trouve la nouvelle radicalement injuste, pour toute les deux.
Plus tard, on m'a souvent interrogé sur la perte de mon sein, sur ma féminité, l'atteinte de mon image corporelle. Pour moi, et pour reprendre l'expression de ma mère et de ma grand-mère, "le sein, c'est le garde-manger du bébé". Me priver d'un sein, c'était priver mon enfant de ce qui avait de mieux pour lui. Et me priver de ces doux moments que représentent l'allaitement.
Ensuite, elle a encore enchainé. Le temps de recharger l'arme, une autre balle était tirée. "On vous propose donc de procéder à un prélèvement et à la congélation de vos ovaires". Pardon ? Elle s'explique : la chimiothérapie a pour effet d'attaquer également les ovaires. Il se peut que ma fertilité soit mise à mal et que je sois dans l'incapacité d'avoir d'autres enfants. "Est-ce que vous souhaitez avoir d'autres enfants ? Est-ce qu'on prévoit une consultation pour la préservation des ovaires ?". Je tangue à nouveau. Je me retourne vers Vincent, muette. On n'a jamais eu cette discussion et on se retrouve face à 4 paires d'yeux qui manifestement attendent une réponse maintenant, et vite si possible. Il y a quelques minutes j'imaginais ma mort et là, on me demande si je veux encore donner la vie. Ascenseur émotionnel. Je balbutie quelques mots "je ne sais pas, oui peut-être..." Vincent vole à mon secours, il me regarde, me rassure et je finis par trouver la réponse qui nous correspond le mieux: "non, je ne souhaite pas la préservation des ovaires. Nos deux enfants sont arrivés comme des bonheurs inattendus. Je ne veux pas qu'il en soit autrement. Si ça doit arriver plus tard, ça arrivera naturellement. Pour l'heure je suis comblée avec eux". En vrai, je pense ces mots sont sortis de ma bouche de manière beaucoup plus chaotique ; mais l'idée était là.
L'entretien se poursuit, on prend rendez-vous pour le TEP SCAN, puis avec l'infirmière d'annonce qui doit reprendre l'ensemble de ce qu'on s'est dit aujourd'hui pour le rendre plus digeste. "Vous pouvez également bénéficier d'un soutien psychologique". En effet, je sens que je vais en avoir besoin.
Je passe une partie de l'entretien à observer cette femme, elle doit avoir autour de 40 ans. C'est une très belle femme, déterminée, sûre d'elle. Je me demande comment lui faire confiance. Je lui remets ma vie entre ses mains. Comment m'assurer que c'est la bonne personne ? Je cherche des indices. Je pose des questions, inconsciemment je la teste. Pendant l'entretien, elle s'adresse régulièrement à ses étudiants, à l'infirmière, à du personnel au téléphone. Je suis toujours sensible à la nature des relations hiérarchiques, elles en disent long sur la personnalité des gens. J'apprécie particulièrement le ton qu'elle emploie: juste, cordial, direct mais surtout respectueux. Elle fait preuve de sensibilité et d'écoute malgré l'objectif bien défini de ce qu'elle a à me dire. Je me sens rassurée, prête à avancer avec elle.
On sort de la salle de consultation, retour sous le toit végétal factice. Vincent me serre plus fort que jamais dans ses bras, on pleure encore cette bien triste nouvelle, perdus, déboussolés. On doit attendre qu'on vienne nous chercher pour régler encore quelques détails administratifs pour l'opération. On se rassied, je suis comme en dehors de mon corps.
J'observe les gens dans la salle d'attente dernière mes larmes. Qui sont-ils ? Ou plutôt qui sont-elles ? Est-ce qu'elles viennent elle aussi recevoir d'accablantes nouvelles ? Combien d'entre-elles sont là aussi pour un cancer. Toutes ? Personne n'a l'air malade. Comme moi. Pourquoi vient on de m'annoncer tout ça ? Je ne me sens pas malade.
Une femme, la soixantaine passée, blonde, les cheveux courts, avec l'embonpoint d'une femme ménopausée, s'approche de moi. Elle tente de me rassurer. Tout ira bien. Elle a eu un premier cancer il y a 15 ans. Elle a récidivé il y a quelques années. On ne lui avait pas tout enlevé. "C'est une très bonne chose la mastectomie" me dit-elle. Je revois le croquis, je refais les associations d'idées : mastectomie = on enlève tout, tumorectomie = on retire uniquement la tumeur. "On s'en sors vous verrez" continue t-elle. "J'en suis la preuve vivante. Profitez de ce temps pour prendre soin de vous". Je l'écoute tant bien que mal, partagée entre l'idée de me laisser rassurer et par le besoin d'être seule. Elle poursuit "surtout dès que vos cheveux commencent à tomber, n'attendez pas et rasez-vous la tête. C'est traumatisant que de les retrouver tous les matins sur l'oreiller." Nouvelle claque. Bien sûr que je sais que la chimio fait perdre ses cheveux. Mais à ce moment-là, mon esprit n'avait pas encore assimilé cette information. Je ne m'étais pas encore représenté la chose. J'ai les cheveux longs, bouclés, jusqu'au milieu du dos. Très très loin de la boule à zéro. J'ai encore envie de pleurer. J'ai l'impression d'être dans un cauchemar.
L'infirmière d'annonce, fait preuve d'une belle sérénité. Elle trouve les mots justes, sans déborder. Elle nous raccompagne jusqu'à la sortie.
Vient le temps de la digestion.
On a commencé à marcher, le long de l'hôpital, vers la gare d'Austerlitz. L'air frais nous fait du bien, sèche les larmes, nous ressaisit.
Je parle, je refais l'entretien, à la recherche d'éléments positifs qui ont pu ressortir ce matin. L'angoisse de la métastase plane sur nos têtes mais on essaye de ne pas y penser. On parle des enfants, beaucoup. Comment leur annoncer, à quel moment ? Être suffisamment forte pour ne pas ne pas craquer devant eux.
Il n'est pas loin de 14 heures, ma sœur a déjà appelé. Elle s'inquiète. Comment lui annoncer ?
Je choisis d'en parler d'abord à mon père. Il a toujours été toujours le pilier central de la famille. Depuis le début, on a choisi d'épargner ma mère, ne rien lui dire pour ne pas l'inquiéter inutilement. On ne pourra pas garder le silence encore bien longtemps.
Malgré la force de mon père, je sens que l'onde de choc est violente. Sa femme, puis sa fille. Ça fait beaucoup d'un coup pour un seul homme.
On a passé la gare d'Austerlitz, on se dirige vers la place de la Bastille. J'appelle ma sœur. Pour elle aussi c'est un coup de massue. Elle prend sur elle, énormément. Elle s'interdit de craquer. C'est l'aînée de 7 ans de plus que moi, elle vit maintenant près de chez mes parents à Dinard après avoir sillonné le monde. Elle vient de rentrer en France il y a quelques mois, un retour éprouvant.
Arrivés à Bastille, ma mère me rappelle. Mon père lui a annoncé la nouvelle. Paradoxalement, je sens comme une force renaître en elle. Comme si cette annonce lui faisait renoncer au fatalisme dont elle était empreinte ces dernières semaines. Affronter ça à 2, ne pas baisser les bras pour que sa fille puisse se battre aussi. Ne pas flancher car j'avais moi aussi besoin de toutes les forces vives.
Je me suis longtemps interrogée par la singularité de la situation. Un cancer en même temps ? La probabilité devait être marginale. En tout cas c'est le genre de hasard auquel je ne crois pas. J'ai donc cherché un sens.
A ce moment-là de nos parcours respectifs, j'ai eu le sentiment que ce cancer s'était développé en moi pour pouvoir l'aider. Faire face ensemble, se soutenir mutuellement, ne pas se laisser aller, se montrer forte l'une pour l'autre. J'étais persuadée que la guérison passait par la foi en la vie que nous pouvions avoir. Plus nous sommes confiantes et positives, moins la maladie n'a de chance de prendre le dessus. Ainsi je pensais pouvoir la sauver...
On s'est arrêté déjeuner au Street Bangkok à Bastille : un restaurant Thaï délicieux, une ambiance très proche de celle qu'on a pu connaître à Bangkok. Ça m'évoque de bons souvenirs, une époque d'insouciance et de légèreté. L'appétit n'est pas au rendez-vous mais ça fait du bien de se poser un peu. Il est tard, les clients se font rares. Il y a seulement un homme et une femme qui planchent sur un projet. L'un à côté de l'autre, les ordinateurs chauffent. Ils ne sont pas d'accord, s'agacent sur des détails. Je ne peux pas m'empêcher de les trouver futiles. A quoi bon dépenser tant d'énergie négative ? J'ai envie de me lever et de leur dire "soyez heureux d'être en bonne santé, ne vous prenez pas la tête pas pour du travail, ça n'en vaut pas la peine".
Rien ne sera jamais plus comme avant. La vie prend un tout autre sens.
On reprend notre marche à travers la ville. Direction République puis les grands boulevards, j'ai rendez-vous avec mon osthéo. Le rendez-vous était prévu de longue date, je n'ai pas voulu l'annuler. Je sais que ça me fera du bien.
J'appelle maintenant mon médecin traitant. Elle prend comme toujours le soin de m'écouter, de me rassurer. Elle est d'une extrême bienveillance une fois encore. Elle me dira à ce moment une phrase qui n'a cessé de raisonner en moi. "C'est un accident de la vie, mais vous avez de la chance, celui-là on en guérit" A la fois rassurante et pragmatique, une phrase qui m'a fait aller de l'avant.
On marche, on marche encore jusqu'à la rue de Maubeuge. Le téléphone sonne souvent, les amis, la famille qui viennent aux nouvelles. C'est à chaque fois un peu moins dur à annoncer. En quelques heures, on est déjà plus fort.
On en a parlé aux enfants le soir même. On ne voulait pas de cachoteries, on ne voulait pas qu'ils puissent se faire leurs propres films. L'ignorance alimente la peur.
Pour Tymeo, l'annonce a été brève et directe. A six ans, il ne réalise pas vraiment ce qu'il se passe. Il prend conscience quand même que c'est sérieux, il m'interroge sur comment on va enlever le sein. Je réponds naturellement et sans détour, ça semble répondre au besoin du moment. L'instant d'après, il est reparti à jouer ! Pour le reste des festivités : perte de cheveux, etc., on le fera dans un deuxième temps.
Pour Charlotte, l'exercice est de lui expliquer que le sein de maman est malade et que je ne vais plus pouvoir l'allaiter. Je la rassure en lui promettant d'énormes câlins, juste un peu différents. Et surtout je lui explique que tout ça n'est pas de notre faute, qu'on a simplement pas de chance.
Au final, l'annonce faite aux enfants aura été beaucoup moins difficile que prévue. Pour les adultes, le mot "cancer" est lourd de sens, empreint de connotations morbides. On est encore une génération qui associe cette maladie à la mort. Or la médecine fait chaque année des progrès incroyables. Les pronostics ne sont plus fatalement négatifs, surtout pour le cancer du sein. Je suis intimement convaincue qu'on a un rôle essentiel à jouer pour changer les mentalités, aller contre cette idée.
On leur a donc parlé d'une grosse maladie, très contraignante. Mais juste une grosse maladie dont on guérit. C'était important pour moi qu'ils grandissent avec cette idée-là. L'avenir nous dira comment ils auront perçu cette période.
A l'hôpital, au moment de l'entretien d'annonce, on a été submergé de dates, de rendez-vous, d'examens à passer. Je réalise que le cancer est une activité à temps plein et qu'il va falloir me trouver un agenda pour m'organiser !
Le soir même Vincent me ramène "It's times for a new Adventure", un petit agenda qui finira par me suivre partout. Tout est dit !
Pendant les jours qui ont suivi, nos journées ont été rythmées par ces annonces. Une période qui me laisse un souvenir assez désagréable. La nouvelle est tellement difficile à digérer que j'ai plus que jamais besoin qu'on me témoigne un soutien inconditionnel. J'ai envie d'être rassurée, mise en confiance. Et au lieu de ça, j'ai le sentiment d'être le miroir des peurs des autres. A chaque fois que je prononce le mot "cancer", mes interlocuteurs me renvoient inconsciemment leurs propres craintes. En fonction des gens, la réaction est plus ou moins marquée. Mais globalement j'arrive à déceler dans leurs voix, ou dans leurs regards, toujours la même inquiétude "et si ça m'arrivait à moi ?". Suivi d'une sorte de malaise.
Bien souvent les gens sont démunis. Ils ne savent pas comment réagir. Et c'est bien compréhensible. Comment faire autrement ?
Plus le temps passait, plus j'intégrais cette réalité. C'est comme ça que j'ai commencé à prendre les devants. Être actrice de ma guérison et ne pas simplement subir les protocoles. L'acceptation de la maladie me permettait de faire face à ces situations inconfortables. C'est à ce moment-là que j'ai compris que c'était à moi de mettre à l'aise les gens, de les rassurer et de dédramatiser la situation. Un moyen de contourner les peurs qu'ils pouvaient projeter sur moi. Un moyen de me protéger.
Cette stratégie m'a beaucoup aidée. Et quand j'étais trop fatiguée de me répéter, je passais le relais à Vincent. Lui aussi s'est souvent trouvé en première ligne. Lui aussi a dû batailler avec ses propres angoisses.
Le 9 janvier, je fais connaissance avec une psychologue du service à la Pitié, qui m'accompagnera tout au long des traitements. Pourtant au moment de notre rencontre, ce n'était pas gagné.
Je n'avais jamais vu de psy. Psychologue, Psychiatre... Je n'étais pas très familière de ces termes et du modus operenti. En revanche, j'étais persuadée de la nécessité d'un tel accompagnement au vu de la situation ! Mais j'avoue avoir été quelque peu surprise par son approche. J'attendais de ce premier rendez-vous qu'elle puisse commencer à me guider dans ce parcours. Au lieu de ça, je fais face à cette jeune femme qui me regarde avec une mine effarée et qui ponctue mon récit de "Oh ma pauvre", "c'est terrible", "un tsunami" et j'en passe. Bref, tout sauf ce dont j'ai besoin d'entendre à ce moment-là. J'entends à travers ses phrases un discours qui manque de sincérité, une empathie surjouée de la part d'une une inconnue.
Longtemps, elle a cherché à me faire exprimer de la colère, de l'injustice face à la maladie. A croire que je ne cochais pas suffisamment cette case. Je ne suis pas, et je n'étais pas, habitée par ces sentiments. A quoi bon ? Qu'est-ce que ça changerait ? A part crafougner inutilement. J'avais juste besoin d'être épaulée, d'être aidée à rationnaliser et rester calme. Et surtout trouver des réponses face à l'incompréhension de ce qui m'arrivait, de ce qui nous arrivait.
Fort heureusement, nous avons appris à nous connaître et aujourd'hui je lui suis extrêmement reconnaissante pour tout le chemin parcouru ensemble. Elle a une connaissance et une expérience dans la maladie qui lui donne l'avantage de pouvoir préparer ses patientes aux différentes étapes qui nous attendent. Chaque personne est certes différente, chaque maladie singulière mais il y a des points d'ancrages assez similaires. Peu à peu, elle incarnait pour moi un véritable coach du cancer. Elle me préparait à assimiler progressivement chaque étape des traitements.
Le 10 janvier: TEP SCAN (tomoscintigraphie par émission de positons) ou PET SCAN à l'anglophone (positron emission tomography). En savoir + sur le TEP Scan ici
Quelques jours seulement après l'annonce, le TEP SCAN est programmé. L'examen est réalisé au sein du service de médecine nucléaire, bâtiment Husson Mourier (Bâtiment H.Mourier à retrouver ici); de quoi faire flipper.
Finalement, c'est la charge émotionnelle de l'examen qui est la plus difficile à surmonter. L'examen à l'issu duquel tout peut basculer.
Deux jours avant, il faut arrêter toute absorbation de sucre, limiter les activités physiques et le jour même être à jeun.
L'examen se déroule en 2 étapes : une étape préparatoire durant laquelle un produit radioactif traceur (un isoptope) est injecté. Puis le scanner en lui-même.
La première étape est la plus impressionnante. L’injection du traceur est effectuée par une manipulatrice en médecine nucléaire. Pour cela, elle doit prendre toutes les protections nécessaires : combinaison, gants, masque. Je suis placée dans une salle d'attente radioprotégée et elle vient faire l'injection derrière une sorte de panneau vitré amovible. Rien de très rassurant...à se demander si je ne suis pas en train d'aggraver mon cas. Elle tente de modérer mes inquiétudes en m'assurant que l'injection à faible dose est sans risque pour le corps humain et qu'elle, en revanche, est exposée tous les jours au produit, d'où les précautions indispensables à prendre.
Elle s'en va ensuite en me laissant au repos pour une heure. J'essaye d'observer des effets secondaires. Est-ce que le produit va me rendre fluorescente ? Je n'arrête pas de penser aux Simpson...il faut bien continuer à se marrer !
Elle revient me chercher et m'amène sur une table d’examen sur laquelle je m'allonge et qui va progressivement pénétrer dans un anneau où se trouvent les capteurs (similaire à celui d’un scanner). C'est parti pour 30 min d'intense cogitation !
Le 11 janvier : l'avantage d'être maintenant suivie à la Pitié c'est que les choses s'enchaînent à une vitesse incroyable. Le parcours du cancéreux est fluide et bien rodé, triste à dire mais à la fois c'est extrêmement rassurant pour les patients. Les délais d'attente sont ultra raccourcis et moralement c'est une bonne chose. Après j'imagine que la prise en charge dépend également de la gravité et de l'avancé de la maladie, mais ça j'évite de trop y penser.
C'est ainsi que moins de 24 heures après le TEP Scan je me retrouve de nouveau face à la Professeur. Et qu'avec la même efficacité qu'au précédent rendez-vous, elle m'annonce cette fois une excellente nouvelle : aucune métastase. Le soulagement est immense, un poids de moins sur mes épaules ! Enfin une bonne nouvelle !!
Par contre ils ont repéré des petites tâches sur foie. A priori rien qui ressemble à une tumeur mais elle préfère faire un scanner supplémentaire pour vérifier. Rdv le 14, ça ne traîne pas !
Le même jour j'enchaîne le rendez-vous avec l'anesthésiste pour l'opération et avec l'onco-généticienne.
Dès le premier rendez-vous avec la Professeur, la question d'une prédisposition génétique a été abordée. Les cancers c'est un peu un fléau du côté des sœurs de ma mère; mais aucun cancer du sein. Par précaution, elle me propose une consultation en oncogénétique.
C'est ainsi que j'ai fait la connaissance d'une médecin onco-généticienne. Lors de ce premier rendez-vous nous avons dressé l'arbre généalogique familial et on a noté l'ensemble des cancers connus.
Ce qui en gros a donné: ça.
Selon elle, les prédispositions ne semblent pas du tout évidentes. Les cancers de ma mère et de mes tantes sont tous des cancers "liés au tabac" ; il n'y a pas de lien spécifique avec le cancer du sein. En revanche, ça ne veut pas dire qu'il n'y a pas de prédispositions génétiques. Il se peut qu'il existe au sein de la famille des gènes prédisposants mais que personne n'ait encore développé ce type de cancer. Autre possibilité si on trouve quelque chose : je suis le point zéro. La mutation s'est faite à mon niveau.
Ensuite, elle a réalisé une prise de sang pour lancer la recherche génétique. Plusieurs gènes peuvent donner des prédispositions. Compte tenu du profil familial, elle propose de lancer une recherche assez large.
Résultats dans 8 mois ! Ça me parait infini. Mais je suis confiante, s'il y avait une prédisposition génétique, je me dis qu'il y aurait forcément d'autres cas. Nous sommes quasiment que des filles et je suis la plus jeune, la maladie se serait manifestée avant...
Le 13 janvier: Magali, une amie que j'avais perdu un peu de vue depuis ces deux dernières années a repris contact avec nous courant novembre. Elle a donc suivi les événements des dernières semaines et propose de me mettre en contact avec une de ses amies, Audrey, qui est malheureusement passée par là l'année précédente.
Le début de notre relation aura été exclusivement "épistolaire", façon temps modernes, sur whatsapp! Une relation qui me faisait du bien. Je posais toutes les questions possibles et inimaginables et elle y répondait sans détour. Et surtout, elle avait le même parcours que moi, le même type de tumeur et elle s'en était sortie. Elle nourrissait en moi les meilleurs espoirs et représentait à elle seule : la vie et la guérison !
Le 14 janvier : on a beau se sentir en confiance avec l'équipe médicale, on ne peut s'empêcher d'être assailli de doutes: est-ce le bon protocole de soin? est-ce le bon hôpital? est-ce les bons médecins? Jusque-là, je m'étais complètement laissée portée, prise dans le tourbillon des événements. J'avais besoin maintenant de prendre un peu de recul. De me faire confirmer les choses. D'être confortée dans mes choix.
C'est ainsi que j'ai pris rendez-vous avec un chirurgien, cancérologue et plasticien à la clinique du Sein, avenue Mac-Mahon. Médecin de renom, il ne manque pas de références et d'expériences.
On se rend donc au rendez-vous avec Vincent. L'ambiance n'est pas du tout la même. Les locaux sont luxueux, un brin tape à l'œil. Au regard des plastiques que l'on croise, on repère vite les habituées : visages liftés, lèvres gonflées,... ça ressemble plus à un centre d'esthétique qu'à une clinique médicale.
Le docteur nous reçoit, il est attentif, à l'écoute. Il prend le temps de me réexpliquer sensiblement les mêmes choses que la Professeur. C'est rassurant. Il m'examine, épluche les rapports de biopsie et les différents clichés que j'ai pu ramener. Son avis est sans équivoque : mastectomie au plus vite, chimio, radio, hormono. Après deux ans d'immersion totale dans le sujet, je m'aperçois en fait que ce parcours est archi-fléché. Les seules variations qu'il peut y avoir c'est chimio avant ou après chirurgie. Dans mon cas le temps presse trop.
Il me confirme que la Professeur est "l'une des meilleure" et il me conseille vivement de continuer avec elle. La date opératoire est proche, il faut aller vite, il ne peut pas me proposer mieux. La seule chose sur laquelle ils ne sont pas d'accord c'est la possibilité de reconstruire le sein en même temps. La Professeur refuse en arguant que la radiothérapie pourrait endommager le résultat. Lui dément.
Pour moi, c'est devenu un détail. Ce que je veux c'est sauver ma peau, l'esthétique on verra plus tard !
Je sors du rendez-vous avec les réponses que je cherchais et surtout je suis maintenant confortée dans mes choix. Un vrai soulagement...pour le porte-monnaie également !! Ces 30 petites minutes m'auront coûté la modique somme de 200€...
J'enchaîne l'après-midi avec le scanner du foie. Bizarrement je ne suis pas inquiète. J'ai eu tellement de problèmes hépatiques ces derniers mois que je n'imagine pas que ça puisse être autre chose que ça.
C'est la deuxième fois que je passe un scanner. Je sais qu'un produit de contraste (type iomeron) va m'être injecté par perfusion au moment de l'examen, quand je serai dans "le tube". Et qu'à ce moment-là une chaleur va m'envahir d'un coup et j'aurai alors la sensation très désagréable d'être en train de me faire pipi dessus !! L'effet est pour le moins...étrange.
Je me rhabille après l'examen, tout s'est bien passé. Mais rapidement, le regard du manipulateur change. Je suis couverte de plaques rouges. Je me souviens maintenant d'une légère réaction cutanée également la première fois. Je ne suis pas très inquiète mais il insiste pour me garde en observation. Le bien heureux ! Au bout de quelques minutes, je commence à avoir des difficultés à respirer. Le médecin arrive au pas de course et ils me font une injection d'antihistaminique. Allergie au produit de contraste.
Globalement rien de bien grave et surtout quelques jours après j'ai reçu les résultats de l'examen : RAS! Encore une bonne nouvelle :)
De son côté, ma mère prépare aussi la mise en place de ses traitements. Le 16 janvier, elle est hospitalisée pour une jéjunostomie et la pose du Port à Cathéter (PAC), sous anesthésie générale.
Les médecins sont formels, ses problèmes de déglutition ne vont qu'empirer avec les traitements, et notamment avec la radiothérapie.
La jéjunostomie est une opération qui vise à poser une sonde dans le jéjunum, c'est à dire dans la 2ème partie de l'intestin grêle qui se situe donc dans l'abdomen, en-dessous de l'estomac. L'idée étant de pouvoir continuer à alimenter directement le patient par une sonde alimentaire, reliée directement à l'appareil digestif. La sonde permet d'apporter de l'eau, des éléments nutritifs ainsi que des médicaments si nécessaire.
L'opération ne la réjouit pas mais elle a déjà beaucoup maigri et perd des forces à vue d'œil. Cette intervention devrait pouvoir lui permettre d'ingérer des calories de manière très mécanique.
Les médecins profitent de cette opération pour placer également le Port à Cathéter, chambre implantable placée sous la clavicule et directement reliée à la veine cave supérieure (grosse veine reliée au cœur). Cet appareil permet ensuite de faciliter les injections de produits de chimiothérapie.
En savoir + sur le PAC ici
La semaine avant l'intervention aura été plus calme mais je m'habitue à prendre quotidiennement le chemin de l'hôpital. Ligne 4, Gare du Nord, Ligne 5, St Marcel. Les yeux fermés.
Je suis retournée voir l'infirmière d'annonce. Comme prévu, on a refait le point sur le premier rendez-vous. Elle a pris le temps de me briefer sur la chirurgie, sur les prothèses à acheter, les soutiens gorges, les crèmes, les perruques...
On prend ce temps de mise en place des traitements pour intégrer les étapes à venir, pour s'organiser. On continue aussi de chercher des issues, des bouées de secours...Mettre en place un plan d'action exhaustif pour terrasser la maladie.
Très vite Serge et Anita, les parents de Vincent, ont pris contact avec une druide en Bretagne. Je n'arrive pas à utiliser le terme "beaux-parents" ; froide, à la limite péjorative, cette tournure ne reflète pas la nature de nos relations. Serge et Anita m'ont accueilli dans leur famille, il y a plus de 20 ans, comme leur propre fille. Aujourd'hui, plus que jamais, ils sont là pour moi, ils m'entourent et me portent eux aussi face à l'adversité.
Il y a plusieurs années, Michel, un ami de de Serge, a développé un sarcome au niveau du dos. D'après les médecins qui le suivent à ce moment-là, cette tumeur, particulièrement mal placée, n'est pas opérable et ne lui laisse que très peu de chance. Il rencontre alors Martine, une druide vivant près de Scaër, un petit village du Finistère, situé au-dessus de Rosporden. A la suite de sa visite chez elle, alors même qu'il est encore en Bretagne, les médecins l'appellent. Ils ont changé d'avis, ils estiment qu'il y a une chance d'opérer. Cette intervention lui sauvera la vie.
D'ordinaire plutôt pragmatique et rationnelle, je suis aussi de celles qui laissent place aux phénomènes inexpliqués. Je pense qu'il y a des énergies qui nous dépassent et qu'on n'a pas encore réussi à expliquer, à modéliser. Alors une druide pourquoi pas ? Je n'ai rien à perdre à tenter.
Serge l'a immédiatement contactée et elle a accepté de nous prendre en charge, ma mère et moi. Pour commencer le travail, elle nous a demandé à chacune des photos, de pleins pieds. Je me suis prise au jeu et j'ai profité d'une balade au jardin des plantes, au milieu des arbres, pour prendre quelques photos, à la recherche d'une infime connexion avec la nature engloutie par la ville !
Ensuite, nous devions lui porter des pierres énergétiques : des labradorites. Véritable bouclier contre les énergies négatives, la pierre Labradorite est incontournable en lithothérapie.
En savoir + sur la Labradorite : ici.
Serge et Anita, qui vivent dans le Périgord, ont alors été nous chercher deux magnifiques pierres du côté de Sarlat, pour qu'elle puisse les charger en énergie. Et pour établir ce premier contact avec elle, Serge et Michel, se sont portés volontaires pour lui porter eux-mêmes les pierres et les photos en Bretagne.
C'est comme ça qu'un dimanche, nous nous sommes retrouvés à Nantes, à mi-chemin entre la Bretagne, le Périgord et le Perche, Serge, Michel, Bernard et moi pour faire la passation de nos pierres chargées.
Cette rencontre fugace, le temps d'un repas, m'a particulièrement marquée. C'est la première fois que je revoyais mon père depuis l'annonce du cancer. J'avais besoin de sentir physiquement sa force et son soutien sous son étreinte. Je redevenais quelques instants cette petite fille protégée à qui rien ne pouvait arriver...
J'ai également particulièrement été touchée par cette mobilisation générale, sentir les énergies de chacun dans cette entreprise. Comme si une armée était en train de se monter pour combattre l'ennemi. On dit souvent que l'union fait la force. L'adage s'applique aussi ici. On dit toujours que les patients bien entourés s'en sorte le mieux. J'en suis intimement persuadée, même si parfois malheureusement ça ne suffit pas.
Le 22 janvier, Isa sort l'hôpital avec son Joly Jumper ! C'est comme ça qu'elle appellera son nouveau compagnon : la perche et le moteur de la jéjuno. Un fil à la patte bien encombrant dont elle va devoir s'accommoder jour et nuit, du moins dans un premier temps.
De mon côté, je suis à la veille de l'intervention. Une petite fièvre s'invite à la fête (somatisation ?) et me vaut deux petits allers/retours à l'hôpital en l'espace de quelques heures...on n'est jamais trop prudent !
Le 23 janvier, l'ironie du sort a voulu que ma mère commence sa première cure de chimio le jour de mon intervention pour la mastectomie.
Etrangeté de nos deux histoires croisées. Nous traversions des situations analogues. Nous ne pouvions pas être mieux placées pour nous soutenir mutuellement. Et paradoxalement, nous n'étions pas vraiment disponibles l'une pour l'autre.
On a beau grandir, devenir parent à son tour, on reste l'enfant de nos parents. Avec toute la complexité que ça peut avoir. Ma mère qui avait toujours été là dans les coups durs, ne pouvait pas rassurer mon petit enfant intérieur...
Depuis plusieurs jours, je suis pétrifiée. L'idée de l'opération, l'anesthésie, le sang, m'angoissent au plus haut point. Je n'ai jamais été très téméraire à la vue du sang ; plus d'une fois je me suis évanouie, comme pour échapper à une réalité insoutenable. Je serai endormie, ça devrait me rassurer. Au lieu de ça, les pires scénarios se déroulent dans ma tête.
Souvent la même pensée revient : " comment faire confiance à ces inconnus ?". On fait face tous les jours à des gens incompétents dans nos milieux professionnels. J'imagine que la proportion est relativement similaire dans le domaine médical...
Adapte de l'adage "la confiance n'exclut pas le contrôle", difficile pour moi de lâcher prise. De me savoir endormie, perdre le contrôle de la situation et de mon libre arbitre, ne fait qu'accentuer cette angoisse.
L'intervention est prévue à 9h. On me laisse le choix entre rentrer à l'hôpital la veille ou venir le matin même. Vincent est en déplacement pour le théâtre à Béthune, le genre de date prévue des mois à l'avance et pour laquelle il est compliqué de se faire remplacer. Je décide donc de rester avec les enfants jusqu'au dernier moment et je m'organise simplement pour que quelqu'un les amène à l'école.
Tym aura finalement été dormir chez Joséphine, sa copine de toujours, inséparables. Une bonne occasion de pyjama party. Pour Charlotte, c'est Marion, une amie, qui viendra me prêter main forte.
Marion, c'est un petit rayon de soleil qui a le don de vous réchauffer le cœur même dans les moments les plus difficiles. Elle m'aide à remplir ma valise de douceurs et de BD. Elle me raconte pleins d'histoires, me fait rire. J'en oublierai presque pourquoi elle est là ! Et surtout, je sais qu'elle prendra grand soin de ma Charlotte.
J'arrive à l'hôpital vers 7h30, bâtiment Gaston Cordier (Bâtiment G.Cordier à retrouver ici).
La ville semble encore endormie, le service est calme. Les visiteurs ne sont pas admis. Mais tout le monde m'accompagne avec des petits messages de soutien. Je cache ma peur derrière des pitreries, je leur envoie des photos dans ma tenue dernier cri !
L'heure d'affronter le bloc opératoire approche. Je rends mon téléphone. Je retrouve ma solitude.
Mais j'ai le droit de conserver un livre. La seule contrainte c'est qu'il faut qu'il rentre dans une sorte de petite pochette en plastique. (c'est d'ailleurs le seul service où j'ai pu voir ça !)
Depuis quelques années, je me passionne pour les romans graphiques. Avec les enfants, j'ai pris un peu de retard dans mes lectures. J'en ai glissé quelques-uns dans ma valise sans vraiment avoir pris le soin de savoir de quoi ils parlaient. Je prends donc le seul qui rentre dans la pochette, ça sera la surprise!
Il s'agit d'un livre d'Elodie Durand "La parenthèse" qui m'a été offert, il y a déjà un an ou peut-être deux.
Au bout de quelques pages, je commence à regretter amèrement mon choix !! C'est l'histoire d'une très jeune femme atteinte d'une tumeur au cerveau quasi inopérable. Gloups. Je me tâte à poursuivre. Je comprends très vite que c'est autobiographique, ce qui laisse bonne espoir pour l'issue de l'histoire...
Je suis la deuxième dans l'ordre de passage. La première opération semble avoir pris pas mal de retard. Ce qui finalement me laisse le temps d'aller jusqu'au bout de mon livre. Pas de regret, la fin est très positive et pleine d'espoir.
Pour la petite histoire, j'ai fini par oublier ma petite pochette plastique avec mon livre à l'intérieur en salle d'attente. On me le rapportera le lendemain dans ma chambre. Je me suis toujours demandée si quelqu'un était tombé dessus ? S'il ou elle en avait commencé la lecture ? Et surtout s'il ou elle avait pu aller au bout...
Ma dernière opération remontait à mes 7 ans, une éternité.
On n'imagine pas d'endroit plus froid, plus sordide. Au sous-sol, lumière artificielle, atmosphère glaciale. Tout est gris, en inox. La table d'opération est droite, dure, inconfortable. Je me demande comment je vais pouvoir rester allongée sans avoir mal au dos. Décidément, l'anesthésie fait des miracles.
L'équipe médicale est adorable, aux petits soins : couverture chauffante, petit oreiller, paroles réconfortantes... Mais la peur m'envahie progressivement. Je me vois 1000 fois me lever de la table et sortir en courant. Et pourtant, je reste. Tétanisée.
La Professeur arrive, je ne pensais pas la voir avant d'être endormie. Je pense que rare sont les chirurgiens qui prennent le temps d'être avec leur patients avant une opération. Je suis heureuse de la voir. J'arrête d'échafauder des plans d'évasions. Elle m'accompagne pendant l'endormissement, me demandant si les enfants étaient allés à l'école malgré la neige, si...
Plus rien.
J'émerge doucement en salle de réveil. J'ai le sentiment de dormir si profondément. J'entends la voix de l'anesthésiste qui cherche à me réveiller.
Je veux encore dormir. Laissez-moi tranquille.
Je finis par émerger complètement. Je suis surprise, je n'ai absolument aucune douleur. Le premier sentiment qui me vient c'est la délivrance. Je suis tellement soulagée de m'être débarrassée de ces tumeurs. Le deuil du sein perdu en est relégué au second plan.
Ils me remontent en chambre un peu plus tard. Vincent m'attend, je suis tellement heureuse de le retrouver. Il a couru depuis Béthune pour être là avec moi au réveil. Je renoue avec un sentiment de sécurité et d'apaisement.
Les premiers jours, je suis surprise, je m'attendais à plus de douleur, plus de fatigue.
La Professeur vient me rendre visite le lendemain matin. L'opération s'est bien passée mais a été un peu longue que prévue. Elle a découvert un muscle aviaire situé grosso modo entre le muscle pectoral et le creux axillaire. C'est une surprise pour moi aussi. Elle a du coupé dedans et me prévient donc que la récupération pourrait être plus longue et plus douloureuse. J'apprends également qu'elle a dû retirer par précaution toute la chaîne ganglionnaire et pas seulement le/les premiers ganglions.
J'ai un espèce d'énorme pansement compressif d'environ 20 cm. Elle m'annonce qu'on va l'enlever et qu'on va regarder. Ou du moins que je vais regarder. Je blêmis de panique. Je ne m'attendais pas à ça. Je pensais que cette étape se ferait plus tard, que j'aurais le temps de m'accoutumer à l'idée. J'essaye de manifester un refus. Elle ne me laisse pas le choix. "Il vaut mieux que nous regardions ensemble, que je puisse répondre à vos questions, plutôt que vous regardiez seule chez vous".
Elle me regarde profondément. Un regard d'une intensité que je n'oublierai jamais. Le geste est sûr, rapide, efficace. Encore une fois cette femme me transmet une force et un courage que je ne soupçonnais pas.
Un, deux, trois j'ouvre les yeux. C'est très propre, peu de sang. En revanche je trouve ça très "moche". C'est exactement le mot qui m'est venu en tête à ce moment-là. Je m'attendais à une cicatrice plaquée contre la paroi. Il n'en ait rien, il reste de la chair qui pendouille. Elle m'explique qu'elle a essayé de garder le maximum de peau pour la reconstruction. Je suis contente qu'elle soit là en effet.
Avec le recul, je ne sais pas si ça a servi à grand-chose. Avec la chimio, j'ai rapidement perdu du poids et en peu de temps, la peau a fini par se lisser complètement contre la paroi. Au bout de quelques semaines, j'ai même fini par trouver ma cicatrice jolie. Je n'ai jamais été perturbée par la dysmétrie, il faut dire qu'au vu de mon volume mammaire, la différence n'était pas fulgurante non plus. Je dirais qu'au bout d'un mois, je m'étais approprié ce nouveau corps. Le fait de savoir cette période est transitoire aide aussi j'imagine.
Je n'ai jamais caché mon corps à mon entourage, même aux enfants. Charlotte était intriguée par mes bobos, elle a toute suite voulu m'inspecter. Elle a gardé un regard tendre et ne s'est pas vraiment attardée dessus. Tymeo a mis un peu plus temps. Il est entré dans la salle de bain à un moment où je prenais ma douche. J'ai pris le temps de lui montrer et de regarder avec lui. Il m'a dit "ah ouais quand même c'est impressionnant". Je lui ai dit que je n'avais pas mal et que je n'avais pas eu mal. "Mais c'est quand même impressionnant" m'a-t-il répondu ! Et à partir de là, c'est devenu naturel. Il ne semblait même plus voir la cicatrice.
Je suis finalement restée jusqu'au dimanche à l'hôpital (5 jours en tout).
Bernard et Vincent se sont relayés toute la semaine pour me rendre des petites visites, m'apporter de la vraie nourriture ou de nouveaux bouquins, bref égayer mes journées ! Les enfants me manquaient mais leur visite était interdite.
Ma sortie était conditionnée au retrait du redon. Le fameux redon! Ou plutôt "le drain de redon".
En savoir + sur les redons ici.
Je dois avouer que ce truc était et reste toujours ma hantise. Outre le fait que ce soit lui qui décide de ma sortie, je devais me trimballer cette petite poche de liquide sanguinolant tout la journée. J'ai fini par le glisser dans une pochette/sac à main, hors de ma vue !
Si le sein fantôme n'était pas douloureux, j'avais par contre énormément de mal à lever le bras gauche. Je ne m'étais pas du tout préparée à ça. J'étais certainement passée à côté de l'information. Il faut dire qu'en terme d'informations les dernières semaines avaient été denses.
Bref, j'ai découvert que je ne pouvais plus lever le bras gauche du fait du curage axillaire.
On me donna quelques exercices à faire mais surtout on m'a prescrit de la kiné à haute dose pour éviter le lymphœdème ou le phénomène du "gros bras", conséquence possible de l'ablation de la chaîne ganglionnaire. Un lymphœdème est l’accumulation de liquide lymphatique dans les tissus se traduisant par le gonflement d’une partie du corps, en l'occurrence ici du bras. Le rôle des ganglions lymphatiques est de traiter les déchets. Ils les filtrent, les nettoient et une fois épurés, ils renvoient la lymphe dans la circulation veineuse.
En l'absence de ganglion, il est important que le système lymphatique soit bien irrigué. A compter de maintenant, et ce le restant de ma vie, toute compression du bras gauche est interdite, incluant notamment les prises de sang ou les prises de tension.
La bonne nouvelle c'est que ces séances de kiné je vais les faire avec Magali ! A la fois kiné et ostéopathe, elle exerce à quelques stations de la maison dans le 2ème arrondissement.
Magali a fait partie de ces amis incroyables qui m'ont aidée à traverser cette période. Ce n'est pas facile pour l'entourage de trouver le bon ton, les bons mots aux bons moments. Elle a cette force en elle d'être toujours juste. Je la voyais chaque semaine au cabinet, un peu de rééducation et beaucoup de massages. Elle me disait "aller viens, je vais prendre soin de toi !". Je ressortais détendue, délassée. Elle me faisait un bien fou. Elle agissait autant sur mon corps que sur mon moral ! Elle ne voyait pas en moi "que" la malade. Au fil de nos discussions, j'apprends qu'elle monte un projet d'application pour la prévention TMS (Trouble MusculoSquelettiques) intitulé "Walter". Elle m'explique qu'elle avance hyper bien mais que la seule partie qui lui propose problème c'est la levée de fond, la construction des business plans,... Elle ne pouvait pas mieux tomber ! Et de fil en aiguille, on a commencé à construire des fichiers Excel, à jouer avec les chiffres...Un beau projet qui avait le mérite de me changer drôlement les idées !
Peu de répit après cette première étape, il fallait maintenant faire face la chimiothérapie.
Etrangère à tout ce monde médical, je m'intéressais maintenant de près au sujet, apprenant notamment que les chimiothérapies sont différentes d'un cancer à un autre mais que les effets secondaires sont relativement similaires.
En savoir + sur la chimothérapie ici
De son côté, ma mère s'apprête à retourner faire sa deuxième cure. Son protocole prévoit pour le moment 6 cures, à 15 jours d'intervalles. Ils lui injectent du 5-FU (5-Fluorouracile) qui est l’une des chimiothérapies les plus prescrites pour le traitement des tumeurs solides. Mais qui est aussi un produit qui peut induire des toxicités sévères voire létales. En effet, un déficit ou l’absence totale d’une enzyme du foie (la DPD), chargée d’éliminer le 5-FU, peut être fatal au moment de l'injection. Administrer du 5-FU à un patient sans savoir s’il possède ou non l’enzyme revient donc à jouer à la roulette russe. Pour cela, il existe maintenant un test qui permet d'identifier si le patient a bien cette enzyme. Mais jusqu'au 29 avril 2019, ce test n'était pas obligatoire et il était même assez cher. Un critère d'exclusion social aberrant.
Je revois mon père faire des pieds et des mains pour pouvoir obtenir les résultats à temps pour sa première chimio; impensable de faire autrement.
Fort heureusement la règlementation a changé depuis.
La première chimio aura été déjà très dure pour elle. Elle cumulera tout au long de ces différentes cures des effets secondaires assez prononcés, alternant notamment les différents types de problèmes digestifs : nausées, diarrhées, constipations... La combinaison chimio/jéjuno n'a fait qu'alourdir sa prise en charge. Après chaque séance, elle s'enfermait dans sa grotte, faisait le dos rond en attendant de refaire surface et de reprendre des forces. Malgré l'alimentation externe, elle continuait à perdre du poids. Nos efforts pour lui faire avaler quelques calories ne suffisaient pas: elle ne s'alimentait plus qu'exclusivement par voie externe.
Je devais moi aussi maintenant me préparer à traverser ces moments. Je me tournais naturellement vers les médecines douces ou médecines dite "alternatives". D'ordinaire, je ne suis pas une grande consommatrice d'allopathie. Un comble pour quelqu'un qui s'apprête à se faire injecter des produits chimiques hyper puissants à s'en faire tomber les cheveux !!
Coupeurs de feu, Naturopathes, Acuponcteurs,...me voilà en quête de tout ce qui pourrait aider mon corps à subir ces traumatismes, à lui apporter douceur et bien-être !
Grâce à Audrey, qui avait déjà étrenné un certain nombre de praticiens, je suis rapidement orientée vers des personnes fiables et compétentes.
Le 1er février, je rencontre pour la première fois son acuponcteur. Pour le voir, je dois courir jusqu'à la Madeleine. La ponctualité est un art de vivre pour lui; je ne faillirai pas à nos rendez-vous, ils me sont trop précieux.
Le 4 février, je me laisse tenter par un rendez-vous avec une socio-esthéticienne de l'hôpital. C'est un service mis en place par l'hôpital à destination des patients. Le soin esthétique, en réhabilitant le corps, devient un véritable acte thérapeutique. La socio-esthéticienne ajoute à ses compétences d’esthéticienne une spécialisation qui lui permet d’exercer son métier auprès des personnes fragilisées confrontées à des maladies graves. Elle exerce dans une petite salle, à côté de la psychologue. Elle me propose un soin du visage. Une heure d'évasion. J'y retournerai !
Le 5 février, j'enchaine avec un rendez-vous avec la Naturopathe. L'idée avec elle est de dresser un bilan énergétique et de voir comment, avec l'alimentation, je vais pouvoir trouver un équilibre et mieux supporter les chimios. Elle prend mes pouls, observe le fond de mes yeux, la couleur de ma langue, de mes ongles. Véritable énergéticienne, elle me fait un bilan complet.
Je repars avec pleins d'instructions, de conseils, de compléments alimentaires...et surtout pleins de bonnes intentions,
à retrouver ici.
En tout honnêteté, je n'ai pas tout suivi à la lettre. Notamment les petits déjs, j'ai calé. Pour la viande et le sucre, j'ai fortement réduit mais pas complétement arrêté.
Pour le reste, j'ai mis en application pas mal de chose, j'ai un peu adapté. J'ai carburé au jus vert, mais souvent avec une petite pomme...pour le goût ! J'ai fait l'impasse sur le reishi, par contre j'ai longtemps pris de l'aloe arborescens, fortement recommandée pour lutter contre le cancer.
Rapidement, je me suis retrouvée face à une multitude de conseils et de préconisations. Au début, j'ai cumulé les rendez-vous auprès de praticiens différents, tous compétents mais avec des approches parfois opposées.
L'acuponcteur me disait de manger cuit, surtout pas cru - trop consommateur d'énergie. La naturopathe me disait de manger cru - pour tirer tous les bienfaits des aliments. Idem pour les épices, tandis qu'on me louait les vertus du curcuma et du gingembre, l'acuponcteur m'expliquait au contraire que c'était des aliments chauds et qu'il fallait à tout prix arrêter.
En médecine chinoise, le cancer étant la réunion de 3 éléments : les mucosités, la chaleur et la circulation de l'énergie, tout son travail est de réduire les premiers éléments et de favoriser le troisième.
Bref tous ces conseils, souvent très justes et légitimes, peuvent être parfois contradictoires et vous font perdre pied. Le seul que je donnerai finalement c'est de faire ce qui nous semble bon, en accord avec soi-même et ses possibilités. Ne pas chercher à répondre à tout et trouver sa propre vérité.
Avoir une bonne hygiène de vie et surtout (surtout !) faire du sport.
Dès le premier rendez-vous avec la Professeur, elle m'a tout suite sensibilisée sur l'importance de faire de bouger mon corps. Les bienfaits du sport sont multiples dans le cadre du traitement du cancer : diminuer les effets secondaires des traitements, améliorer les chances de rémission, diminuer les risques de rechute et améliorer la qualité de vie...
Si j'ai pu être sportive plus jeune, le seul sport que je pratique aujourd'hui c'est de m'occuper des enfants tout en travaillant à 200%...Et même si ça ressemble parfois à du sport à haut niveau, ce n'est pas reconnu comme tel !
Il est temps de prendre des bonnes résolutions et de maximiser mes chances. Je me laisse donc convaincre d'intégrer la CAMI, association sport et cancer (https://www.sportetcancer.com/). Ils interviennent à l'hôpital, ils sont formés aux thérapies sportives. Les cours sont adaptés aux différentes étapes de traitement, le programme est personnalisé en fonction des pathologies.
La première étape du programme consiste à réaliser un test d'effort physique, pour jauger nos capacités initiales. Ce test est important car il donne un repère pour la suite des entraînements. L'idée n'étant pas de rentrer dans un esprit de performance, mais de maintenir un niveau physique et de voir ses progressions. C'est toujours gratifiant et encourageant.
Je rencontre donc aujourd'hui la coach sportive. L'ambiance est simple et indulgente. Je passe les tests assez facilement, malgré l'opération récente. Je redoute un peu de me retrouver dans des cours de gym un peu en décalage avec mon âge. Le cancer n'est pas vraiment une maladie de trentenaire. Dans quoi je me suis embarquée ?
Je devrais finalement attendre un mois pour commencer les entraînements, le temps de la cicatrisation.
Bureau et salle d'entrainement à retrouver ici
Le 7 février, direction le cardiologue. Dans le marathon de la préparation à la chimio, il est également nécessaire de réaliser un électrocardiogramme pour vérifier la résistance du cœur. Perspective peu rassurante. Je me rends chez un cardiologue en face de l'hôpital. Examen simple, efficace, routinier. Encore une bonne nouvelle, tout va bien de ce côté-là. On rigole, mais à travers tout ça, chaque bonne nouvelle compte !
Le lendemain, le 8 février, j'ai rendez-vous pour la pose du PAC: le Port A Cathéter. En savoir + sur le PAC ici.
Programmée en ambulatoire, en anesthésie locale, c'est une intervention présentée comme anecdotique. En réalité, j'ai trouvé cet acte assez traumatisant.
Bâtiment de chirurgie ambulatoire à retrouver ici.
A commencer par une anesthésie qui s'est avérée peu efficace en début d'opération. Il aura fallu plusieurs injections avant d'insensibiliser la zone.
Peu douillette de nature (j'ai accouché sans péridurale) je suis par contre très vite impressionnée par la vue du sang ou l'idée même de toute opération (véritable raison de ce choix d'accouchement : plus par la crainte de l'acte - effets secondaire, peur de la paralysie ,...- que par véritable choix philosophique !)
Bref, passé ce premier moment peu agréable, je me retrouve éveillée au milieu d'une équipe médicale qui ne m'épargne aucun détail sur leur avancée ou sur leurs difficultés rencontrées. De quoi me faire tourner de l'œil. Intervention éprouvante.
A l'issue de l'opération, j'observe très rapidement une gêne, notamment au moment de l'inspiration. Je réalise des contrôles chez un radiologue de manière à vérifier que tout est bien en place. Finalement, c'est Magali qui, grâce à des manipulations des tissus autour du PAC, "l'a aidé à trouver sa place". Au bout d'une quinzaine de jours, tout ça n'est plus qu'un mauvais souvenir et il commence à faire partie de moi.
Ce n'est que le 11 février que je rencontre pour la première fois l'oncologue qui suivra mon dossier. C'est une très jolie jeune femme, châtain aux cheveux bouclés. Elle me parle d'une voix douce et posée. Son bureau est situé dans le bâtiment Jaquart. Le bâtiment est tout sauf accueillant. Il ressemble à l'image que l'on peut se faire des anciens hôpitaux. Longs couloirs étroits, succession de petites pièces, peinture défraichie. Vincent m'accompagne, on attend longtemps sur de vieilles chaises usées alignées dans ce couloir interminable.
Bâtiment Jacquart à retrouver ici.
On a souvent les qualités de ses défauts. Elle est très souvent en retard mais pour de bonnes raisons, elle a des qualités d'écoutes hors normes. Elle prend le temps d'écouter, d'expliquer. Je me sens très vite en confiance, elle a une empathie "juste". Elle compatit mais sans exagération, ni surenchère. Cette attention me fait du bien, m'apaise.
Et pourtant les nouvelles ne sont pas très bonnes. Elle a reçu les résultats des analyses des prélèvements faits au cours de l'opération. Il s'avère finalement que toutes les tumeurs ne sont pas similaires : certaines sont réactives aux hormones, d'autres non. Comme s'il y avait deux cancers en un. Sur le coup, la nouvelle est difficile à digérer. Un autre coup de massue. Et à la fois je ne réalise pas tout suite qu'il s'agit de la tant redoutée "tumeur triple négative". Parfois le cerveau prend soin de ne pas établir toutes les connexions.
Elle nous annonce alors que le protocole va être un peu modifié. Je devais avoir :
- 4 chimios d'épirubicine et cyclophosphamide (EC) à trois semaines d'intervalles
- 12 chimios de Taxol chaque semaine.
Je vais finalement recevoir les doses d'EC toutes les 2 semaines. Le but étant de faire en sorte que l'organisme n'ait pas le temps de reconstituer des cellules. Elle me prévient des effets de fatigues que ce rythme peut induire et que mon état de tolérance à ces doses denses serait ré-évalué avant chaque chimiothérapie. Néanmoins, l'équipe de concertation pluridisciplinaire a estimé que j'étais jeune et que le fameux "bénéfice/risque" penchait en la faveur de ce protocole renforcé.
A ce moment-là, j'adhère totalement à ce traitement. C'est seulement quelques semaines plus tard, en discutant avec les infirmières, que je comprends que ce n'est pas un rythme courant. Après avoir essuyer des "Toutes les 2 semaines ?", "Mais vous êtes sûre ?", "On a jamais vu ça", j'ai commencé sérieusement à douter. Ces remarques renforçaient les inquiétudes faces à la gravité de mon état de santé. Ce n'est que quelques mois plus tard, en faisant part de mes doutes aux différents médecins, que j'ai pu être rassurée sur le fait que j'étais loin d'être la seule dans ce cas-là !
Elle m'explique ensuite dans le détail toutes les étapes de la chimiothérapie, les effets secondaires, les effets indésirables... La liste est longue, pour les plus courants : nausées, vomissements, diarrhées, constipation, perte de cheveux, d'ongles, fatigue, perte d'appétit, aphtes, disparition des règles... La bonne nouvelle : à priori on ne les cumule pas tous !! Et puis en face de chacun de ces effets, elle prescrit le médicament qui va bien. A prendre selon symptômes pour les uns ou en prévention pour les autres. L'ordonnance est conséquente mais je fais le choix de tout prendre à la pharmacie. On ne sait jamais, au cas où. Grossière erreur. Je me suis retrouvée avec un carton de médicament...pour n'en utiliser qu'une petite partie.
Elle me réexplique également comment ils vont me mettre en état de "ménopause artificielle", pour au moins deux ans. Des injections chaque mois de Decapeptyl pour faire baisser l'activité hormonale et tenter de protéger les ovaires. On reparle d'une éventuelle préservation des ovaires. Je n'ai pas changé d'avis, je fais confiance à la nature, on verra bien.
On ne restera pas loin de 2 heures avec elle, elle prendra le temps de répondre à toutes nos questions.
Le même jour, j'ai rendez-vous avec un chirurgien plastique à la Pitié, spécialisé dans la reconstruction mammaire. Le rendez-vous a été pris dans la foulée de l'annonce du cancer. L'objectif étant de pouvoir donner aux patientes une projection de reconstruction après la mastectomie. Ce n'est pas un rendez-vous obligatoire mais fortement conseillé pour passer le cap "psychologique".
Pour ma part, la mastectomie n'a pas été traumatisante. Malgré tout je suis désireuse d'une reconstruction que j'envisage dès maintenant, à l'issue des traitements.
Le rendez-vous a été expéditif, il m'ausculte brièvement. Il propose la mise en place d'une prothèse à gauche et d'une reprise à droite par lipostructure. Le seul souvenir cuisant que je garde de cette consultation c'est sa remarque au sujet de mon sein droit : "on va reprendre également celui-ci : on ne va pas vous laisser avec un sein conique et tombant !" Finesse et délicatesse...Sur le coup, je suis tellement perplexe que la remarque me fait presque sourire ! Je suis plutôt fière de cet unique sein, témoin de deux beaux allaitements. Il est tout ce qu'il me reste de cette merveilleuse période. Je ne saurais le voir autrement.
La réflexion ne pouvait pas être plus déplacée. Je suis opérée depuis à peine un mois, j'ai peine à croire qu'un professionnel de santé, qui voit défiler des cas similaires à longueur de journée, puisse manquer autant de tact...
"Il faut se préparer à la chute des cheveux", voici ce que tout le monde ne cesse de me répéter. Pour le moment, ça me paraît tellement irréaliste comme situation que je n'ai pas du tout envie de m'en préoccuper.
Audrey me conseille d'acheter une perruque et des turbans, pour avoir les deux, pour ne pas être prise au dépourvue. On ne sait jamais comment on va réagir. Pour le moment, je me dis que j'ai envie d'assumer. Plus de cheveux, malade, et alors? C'est la réalité, pourquoi s'en cacher ? Mais elle a raison ; est-ce que je vais vraiment assumer ? Et si mon crâne était totalement difforme ?!
Je finis par me convaincre d'aller voir, au moins jeter un œil. Le 13 février, j'embarque Vincent avec moi et on atterrit chez Any d'Avray dans le 1er, toujours sous les conseils d'Audrey.
L'ambiance y est très intimiste. Chaque client est reçu dans une cabine privée pour procéder aux essayages. Je rentre dans un monde alors jusque-là complètement inconnu. On a le droit à un petit cours sur les différents types de perruques, cheveux naturelles, synthétiques, tressés en machine, à la main, ... Il y en a pour tous les goûts mais surtout pour toutes les bourses. Je me laisse tenter par plusieurs modèles, j'essaye pour l'expérience une perruque en cheveux naturels tressés main. Je ne suis pas déçue, la texture est incroyable, l'effet est très naturel. Par contre la coupe ce n'est pas ça et le prix exorbitant : plus de 4000€!! La prise en charge étant actuellement de 125€, je reste à charge est salé ! Mais "bonne nouvelle" me dit la vendeuse, il passe à 350€ au 1er avril ; et non, ce n'est pas une blague!
Couleurs, coupes, j'ai l'impression qu'il y a nombre infini de possibilités. Elle propose également d'ajuster les coupes.
Au bout d'une heure, on a bien ri mais on a rien trouvé de convaincant. La plupart des coupes sont quand même bien vieillottes et, même si elle peut les retoucher, difficile de se projeter. Et pour couronner le tout, la masse encore épaisse de mes cheveux long vient faire remonter les perruques...ce qui en soit est vraiment drôle mais n'aide pas du tout à faire un choix !
Au cours de l'entretien, la vendeuse ne nous cache pas d'être surprise de notre réaction. Elle nous raconte que la plupart du temps les gens s'effondrent pendant l'entretien...
Clairement, soit je ne suis pas prête et je me voile complétement la face, soit ce n'est vraiment pas pour moi !
Après je conseille vraiment de faire cette expérience inédite un jour. C'est une occasion unique de se voir avec des coupes ou des couleurs qu'on n'aurait jamais imaginé. Un retour à l'enfance, au temps des déguisements et des jeux de rôle.
Je regrette par contre de ne pas avoir pris plus de photos pour immortaliser ce moment, mais j'en ai quand même retrouvé...Je mets la moins pire (pour dire !).
L'hôpital de la Pitié Salpêtrière propose un panel de "soins de support" pour accompagner le parcours de soins médicaux: thérapie sportive, soins sociaux esthétiques, psychologues, mais aussi Art thérapie, Qi gong, danse, groupes de paroles,... J'avais envie de tout essayer. Trouver ce qui me ferait du bien. Très rapidement, j'ai quand même été rattrapée par une réalité de planning. J'allais quasiment tous les jours à l'hôpital et les trajets devenaient de plus en plus épuisant tandis que j'avançais dans les soins, et notamment dans la chimio.
L'art thérapie est un des ateliers auquel j'ai été le plus assidue durant toute la période de mes traitements. Le 14 février, je commençais ma première séance en groupe. Niché en haut du bâtiment Jacquart, l'atelier de l'art thérapeute est une grande salle remplie de trésor ! J'ai découvert ce matin-là une multitude de couleurs, de matières, de matériaux destinés intégralement à la création. J'avais l'impression d'être une enfant dans un magasin de jouets! On pouvait tout tester, tout utiliser. Sans limites, sans jugements. Une poignée de malades qui, comme moi, venaient trouver refuge quelques heures dans leur imaginaire. Guidés ou non par l'art thérapeute, nous pouvions laisser libre cours à notre imagination. Tout était possible. Et tout à coup, l'hôpital prenait une autre dimension ; les traitements, les opérations étaient tenus à distance le temps de cette courte pause!
Avant de participer aux animations collectives proposées par l'hôpital, j'étais plutôt réticente à ces activités de "groupes de cancéreux". Je n'avais pas envie de m'enfermer dans la maladie, de passer mon temps à comparer nos pathologies, de baigner dans une atmosphère que je pensais sordide. J'ai découvert bien au contraire que ces regroupements étaient tout autres et que c'était bien souvent des moments très rassurants et pleins de vie !
Il arrivait parfois qu'on échange sur nos parcours, souvent sans retenue et sans pudeur. Comme si ces moments partagés ouvraient les portes de nos intimités. Nous étions tous réunis par ces cancers qui avaient fait basculer nos vies, on se sentait liés. J'ai le souvenir d'une séance en particulier, où chacun allait de son anecdote la plus gênante, en lien avec les effets secondaires des traitements. Les limites fixées par la bienséance sociale étaient repoussées, sans aucune réserve. L'essentiel n'était pas là, l'essentiel était de vivre. Tout le reste importait peu, on pouvait tout partager pour se témoigner un soutien inconditionnel. On rencontre toujours quelqu'un pour qui la situation est plus difficile et finalement ça permet de ne pas s'apitoyer sur son propre sort. L'aider, l'écouter. Se sentir accompagnant et pas patient. Mettre de côté sa maladie un moment et relativiser !
Après ma tentative de mise sous perruque, je devais continuer à prendre en main le problème capillaire qui s'annonçait ! Avant de tomber malade, j'avais les cheveux très long. Bien décidée à ne pas me laisser submergée par la perte de cheveux, je voulais prendre les devants et me couper les cheveux en plusieurs étapes. Je repensais à cette femme croisée le jour de l'annonce. Je ne voulais pas me réveiller un matin avec des masses de cheveux sur l'oreiller.
Vincent me fit un premier rafraichissement fin janvier, avec un carré aux épaules. Puis le 15 février, en revenant de l'hôpital, ça m'a pris d'un coup. J'ai poussé la porte de quelques coiffeurs à Bastille, je suis allée chez le premier qui avait de la place. Je suis sortie de là avec une coupe au bol, bien courte. La même que Tymeo! La pauvre coiffeuse n'osait pas couper. J'avais beau lui répéter que de toute façon j'allais les perdre, elle a finalement dû s'y reprendre à plusieurs fois !! La pauvre était tellement mal à l'aise...
Moi, j'étais hyper contente ! Ça faisait longtemps que j'avais envie de changer de coupe. Je n'aurais jamais sauté le pas de manière si radicale dans un autre contexte !
S'il y a bien une chose que le cancer m'aura appris, c'est de trouver du positif dans chaque situation et se concentrer là-dessus. Même quand c'est douloureux. Se conforter dans le pessimisme ne sert à rien. Ça ne change rien. Chaque événement revêt plusieurs perspectives. Parmi elles, il y en a en a toujours une de positive !
Dans cette situation, on peut vite se laisser submerger par les événements et se sentir paralyser par la peur de la maladie, de la mort. Les gens s'adressent parfois à nous comme à des condamnés, avec une empathie exacerbée. Le regard des autres peut alors nous placer dans ce carcan.
La vie est en suspend quelques mois. On arrête plus ou moins de travailler ; les opérations, les traitements, la fatigue nous empêchent de mener totalement la vie qu'on menait avant... La lourdeur du planning médical peut sembler être notre unique préoccupation. On peut alors facilement s'enfermer dans la maladie et ne vivre qu'à travers ça.
Je ne sais pas si c'est pour essayer de protéger mes proches, accompagner ma mère dans sa propre maladie ou me protéger moi-même mais je voulais à tout prix que la vie continue comme avant.
Vivre avec la maladie.
Nous étions déjà tous affectés émotionnellement. Plus que tout, je voulais que mes proches continuent à vivre le plus normalement possible, que les projets continuent. Je ne voulais pas qu'on se place tous en arrêt, en situation d'attente. Je ne voulais pas être une charge mentale supplémentaire pour mon père ou ma sœur qui géraient déjà la maladie de ma mère. En restant actifs, en nous projetant dans l'avenir, je voulais embarquer ma mère dans cette dynamique, l'aider à se raccrocher elle aussi, à la vie.
Et surtout ça me donnait l'illusion de pouvoir tenir à distance la maladie. Ne pas la laisser tout prendre. Elle avait déjà pris mon sein, bientôt mes cheveux, mon énergie. Elle ne pouvait pas gagner sur tous les terrains. Je ne pouvais pas la laisser m'envahir sans réagir.
Alors dès que ça été possible, j'ai continué de travailler, j'ai encouragé Vincent à se déplacer comme il l'avait toujours fait, en me faisant aider avec les enfants quand ce n'était pas possible pour moi. Nous sommes partis en vacances, nous avons continué nos allers-retours à la campagne. J'ai profité au maximum des enfants, en allant les chercher plus tôt à l'école et à la crèche. Habitués aux horaires tardifs, ils ont vite pris goûts à nos sorties au parc à 16h30. J'ai fait toutes les sorties scolaires possibles ! Je n'en ai pas perdu une miette.
Les enfants sont de véritables sources de vie. C'est comme si la maladie n'avait pas d'emprise sur eux. Ils continuaient de jouer, de rire, de solliciter, d'exiger... Souvent fatigants, ils ont pourtant toujours été un puit d'énergie vitale, me rattachant à l'essentiel. Une véritable raison de vivre.
Et c'est comme ça que le 16 février, nous avons décidé coûte que coûte de partir au ski! On était à trois semaine de la mastectomie, à 10 jours de la pose du PAC. Je n'imaginais pas skier mais au moins prendre un grand bol d'air, me ressourcer au milieu des montagne, partager les bonheurs de la neige avec Vincent, les enfants. Le deuxième jour, l'appel de la glisse a été trop fort, j'ai pris les skis de Vincent, son forfait et j'ai filé sur les pistes... Malgré une prudence excessive pour ne pas tomber, je n'ai jamais été autant grisée sur des skis ! Je profitais de chaque instant, tout avait un goût unique. On a construit des igloos, dévalé les pistes, mangé des burgers et des frites au sommet, dévoré des fondues, imaginé des cabanes, dansé dans un appartement de 25 m² et fêté la deuxième étoile de Tymeo !!! Ces vacances ont été magiques ! Comme si s'approcher de la mort donnait à la vie une saveur inconnue jusqu'alors.
Au retour, les hostilités commencent. J'attaque ma première séance de chimio dès le lundi 25 février dans le bâtiment Jacquart de l'hôpital. (Bâtiment Jacquart à retrouver ici.)
Pour me préparer à cette bataille cellulaire et sous les conseils de la naturopathe et de l'acuponcteur, je me livre à un jeûne de 2 jours avant l'injection. Après une semaine de comté et de beaufort, c'est le grand écart alimentaire ! Mais curieusement, la motivation l'emporte.
Bien que peu reconnu en France, le jeûne pré-chimio est plébiscité par de nombreuses études et pratiqué dans d'autres pays.
Tout d'abord, il permet de détoxifier le corps avant le traitement. Notre système digestif est souvent sollicité par une alimentation trop riche, voir pas forcément très équilibrée. Jeûner permet ainsi de mettre notre organisme au repos et décharger notre foie.
Ensuite, l'idée est "d'affamer" les cellules.
Il semblerait que les cellules cancéreuses soient les plus "énergivores" et que par conséquence, elles soient les premières à se nourrir en cas de disette. Donc en gros, on les met deux jours à diète et dès que l'injection de chimio commence elles se précipitent pour le festin...et s'empoisonnent doucement !
Plus sérieusement, les cellules cancéreuses et les cellules saines réagiraient différemment au jeûne : les saines, privées notamment de glucose et d’acides aminés, développeraient une protection contre les agressions toxiques ou physiques. Les cellules atteintes auraient, en revanche, perdu cette capacité de résistance au stress, et de ce fait s’affaibliraient. Cette différence cellulaire serait le principal enjeu du jeûne, capable de « sauvegarder » les cellules saines et d’atténuer ainsi les effets secondaires de la chimiothérapie. Le stress oxydatif sensibilisant les cellules malades et préservant les cellules saines augmenterait ainsi les bénéfices des traitements oncologiques.
Aujourd'hui, les bienfaits du jeûne ne sont pas "médicalement" prouvés. Il existe énormément d'études qui convergent dans le même sens et certains pays sont plus ouverts à intégrer ces pratiques dans le parcours du patient cancéreux. En France, ce procédé est peu développé et n'est pas du tout entré dans les parcours médicaux. Je me suis souvent heurtée à des difficultés avec le personnel soignant sur ce sujet qui ne comprenait pas l'intérêt de cette pratique. J'ai eu deux fois la visite d'une diététicienne pendant les cures de chamois [mot corrigé par Tymeo qui lit par-dessus mon épaule - et qui trouve ça très drôle comme ça].
La première fois, je me suis expliquée en assumant pleinement mes choix. Pour la peine, j'ai écopé d'un discours moralisateur, quasi infantilisant, avec à la clé un recalage en cas de mauvais résultats !
La seconde, j'en étais à ma 3ème cure de chimio et j'avais déjà perdu pas mal de poids. Si l'amaigrissement se poursuivait, je devrais arrêter les jeûnes.
La perte de poids n'était pas exclusivement liée aux jeûnes. Les nausées, les aphtes étaient autant de raison de ne plus manger. Et ça c'était permanent. Pourtant le message ne passait pas !
C'est comme ça que j'ai fini par arrêter d'en parler à l'hôpital. En soi c'est assez regrettable, mais parfois on est fatigué de devoir se justifier auprès de gens qui ne cherchent finalement pas à comprendre.
Avant chaque chimio, j'ai le droit à une pré-médicamentation : cortisone et aprépitant. L'aprépitant est un antinauséeux qu'on trouve sous la forme de gélule nommée "EMEND". Ce médicament m'a particulièrement marqué. Le protocole se fait sur 3 jours, soit 3 gélules présentées dans une sorte de fascicule /livret. Une présentation qui lui donne une importance quasi religieuse.
Pour cette première chimio, Vincent vient me chercher à l'hôpital après la séance. On ne sait vraiment pas à quoi à s'attendre. Est-ce qu'il y a des effets secondaires immédiat ? Est-ce que je vais être en état de rentrer à pied ? Finalement, je ressors exactement dans le même état que dans lequel je suis entrée !
Dans notre imaginaire, la "chimiothérapie" reste assez abstraite voir fantasmagorique. On s'imagine de grandes salles blanches, stériles, aseptisées, du matériel médical pointu, hors de portée … La réalité est beaucoup plus pragmatique. A la Pitié, on est installé dans des petits box vieillissants mais intimistes, équipés d'un fauteuil/lit médical et une télé. Bien loin de nos films de science-fiction.
A chaque séance, l'infirmier.ère recueille un certain nombre d'informations (identité, analyse médical, état général,…) puis fait venir l'interne de service qui va valider le dossier pour l'administration de la chimio. Après cette étape, il.elle procède à l'installation du matériel. C'est alors un grand ballet qui commence. Tel.le un/e chef.fe d'orchestre, il.elle dirige l'installation des perfusions avec la plus grande dextérité et la plus grand rigueur qui s'impose.
Pour cette première, c'est Andrea qui s'occupera de moi, doux, calme et attentif, c'est aussi l'un des infirmiers préféré des patients.
Une heure avant mon arrivée, j'ai placé un patch anesthésiant à l'emplacement du PAC. L'aiguille de huber, qui est placée dans la chambre implantable, est particulièrement impressionnante ! Le patch permet d'être piquée sans aucune douleur, malgré la taille de l'aiguille.
La séance se déroule en plusieurs temps :
administration de "pré-médication", essentiellement des anti-nauséeux et de la cortisone
rinçage des perfusions au sérum physiologique
administration du premier produit de chimio: l'épirubicine. Ce produit rouge/orangé donne des urines colorées pendant plusieurs heures/jours. Sa couleur agressive accentue la sensation d'une intrusion de "poison" dans les veines. J'ai toujours l'image de cette poche de perfusion au-dessus de ma tête quand je repense à ces séances de chimio…et surtout son odeur.
rinçage des perfusions au sérum physiologique
administration du second produit de chimio: la cyclophosphamide. Cette fois le produit est translucide. Par contre la perfusion dure un peu plus longtemps.
rinçage des perfusions au sérum physiologique
Chaque produit administré dans la perfusion est minuté. La machine sonne dès que le produit est censé être intégralement passé. Dans la réalité, la machine n'est pas très au point et sonne un peu tout le temps… et à chaque fois l'infirmier.ère est obligé.e de venir vérifier les branchements et l'écoulement. Une course permanente pour eux qui gèrent plusieurs patients à la fois.
Généralement, des "casques réfrigérés" sont proposés le temps de la séance. L'action du froid peut permettre de ralentir ou d'empêcher la chute des cheveux. Dans mon cas, le casque a été proscrit par l'équipe pluridisciplinaire. "Je veux que le produit agisse partout" me glisse l'oncologue. J'ai enregistré cette phrase sans vraiment prendre la mesure de son poids. J'apprendrais un peu plus tard, que le cerveau est une sorte de sanctuaire dans lequel les produits accèdent plus difficilement. Quand les cellules cancéreuses sont malmenées, elles ont tendances à se réfugier dans le cerveau, créant ainsi des métastases. Mais ça bien-sûr, on se garde bien de nous le dire spontanément...
Au final, entre l'arrivée à l'hôpital et la sortie, il s'écoule environ 4 heures. Pendant tout ce temps, j'alterne entre répondre à des mails de travail, lire les infos, regarder des séries…Finalement c'est un temps pour moi, au calme. J'en profite pour le mettre à profit.
De temps en temps j'ai la visite de la socio-esthéticienne, qui vient me faire des massages ou une manicure ; de Félicia, l'art thérapeute, qui vient faire un brin de causette et me changer les idées ou encore d'une "Abeille", qui vient avec un petit café.
Les abeilles sont des personnes qui font partie de l'association "ABH Abeilles", une association de bénévoles hospitalières. L'objectif principal des abeilles est d'apporter un soutien moral et une écoute aux patients atteints du cancer ainsi qu'à leurs familles. Elles interviennent au côté du personnel hospitalier et proposent des boissons chaudes ou des collations pendant le temps de la chimio. Elles ont une oreille attentive et pleins de bons conseils !
En sortant de cette première séance, je suis plutôt rassurée. Je ne me sens pas mal, j'ai même plutôt faim. Je me réjouis de pouvoir enfin rompre le jeûne ! Je choisis un petit restaurant Coréen en face de l'hôpital qui fait de délicieux bibimbap. On se régale et surtout on s'étonne encore de mon état.
En réalité, au fil des séances de chimio, l'organisme a du plus en plus de mal à encaisser et à assimiler les produits. A partir de la deuxième séance, le foie a commencé à fatiguer et j'ai ressenti les 1ères nausées. Je n'ai jamais vomi mais j'étais tout le temps écœurée, dérangée par certaines odeurs. Petit à petit, j'ai associé différentes odeurs aux chimios. L'odeur du plastique de sac poubelle, placé juste à côté de moi pendant les séances, l'odeur de la Chlorhexidine... Aujourd'hui quand je repense à ces moments, ces odeurs réapparaissent et me laissent un goût amer.
Et c'est comme ça que le bibimbap Coréen a pris un tout autre goût dans mon esprit. Il est désormais associé à mes nausées de chimio. Je ne peux plus passer devant sans avoir des hauts le cœur. L'inconscient fait parfois des connections sensorielles bien étranges.
Les jours suivants chaque injection de chimio nécessitent une médicamentation minutieuse : Emend, cortisone,... Se rajoute également des injections de Neulasta (Pegfilgrastim) administrées par l'infirmière pendant plusieurs jours pour stimuler la production de globules blancs.
Le souvenir qu'il me reste de cette première chimio, c'est l'étonnement. Je m'étais tellement préparée à toutes les éventualités possibles en termes d'effets secondaires, que j'en étais presque décontenancée. Vincent partant pour la semaine en déplacement et ne sachant pas dans quel état je serai, j'ai demandé à Julie de venir me prêter main forte avec les enfants. Je n'observais aucun changement. Je me souviens même avoir eu des doutes sur l'efficacité du traitement. Et si ça n'avait pas d'effets sur moi ? Avec le recul, je suis assez convaincue que le jeûne m'aura permis de me prémunir de pas mal d'effets secondaires...
Mais en attendant, je suis heureuse de profiter de ma sœur ! Cette petite parenthèse à 2 nous permet de passer du temps ensemble, de nous promener, de faire des petits restos, de voir des amis...Bref de vivre ! Encore une fois de tenir la maladie à distance et ne pas la laisser nous envahir !
Le jeudi 27 Février, je commence ma première séance sportive avec la CAMI. Comme je m'y attendais, le reste du groupe est plus âgé que moi. Je dirais majoritairement plus de 60 ans. Rien de très surprenant compte tenu de la typologie des nos maladies.
J'ai beaucoup d'admiration pour eux. Ils viennent vaincre ici les effets de l'âge et de la maladie. A leur rythme certes, mais avec une belle motivation.
Je pensais que nous serions plus nombreux. Que les place seraient chères. C'est un service "offert" à tous les patients atteints de cancers de l'hôpital. Compte tenu des vertus du sport dans la lutte contre la maladie, nous devrions être plus nombreux. La séance est limitée à 12 personnes, nous atteignons rarement les 10. On a même parfois droit à des cours (presque) particuliers, à 2 ou 3.
Chaque séance se décompose en un temps d'échauffement, d'exercices de renforcement musculaire (enchaînements, exercices au sols,...) et d'étirements.
Les premiers temps, je n'étais pas très convaincue de la formule. Je trouvais les cours trop mous, un peu trop apathiques. Avec le temps, je me suis surtout rendue compte que je n'exécutais pas nécessairement correctement les mouvements et surtout que je pouvais adapter leur intensité.
Notre coach sportive avait le don d'allier rigueur sportive et "empathie médicale". Elle arrivait toujours à doser nos efforts selon notre forme du moment mais avec suffisamment d'entrain pour qu'on puisse repousser nos limites. Son objectif était de nous faire travailler dans le plus grand respect de notre corps, en veillant à ne jamais se faire mal. Bien plus qu'une coach, sa formation médicale rendait ses cours pleinement adaptés à nos pathologies. Et surtout elle nous communiquait chaque jour sa bonne humeur, quelques soient les circonstances !
J'ai suivi ses cours 2 fois par semaine pendant un an. En revanche, je n'ai rencontré que peu de personnes en traitement. La plupart de mes compagnons sportifs étaient en rémission, sortis des protocoles de soins. Ce qui m'a valu d'être pleinement soutenues et encouragées. J'étais la petite jeune qui s'accrochait pour venir même les lendemains de chimio. Elles m'ont accompagnée avec une bienveillance maternelle, me donnant ainsi le courage de continuer même quand je n'avais pas envie de mettre un pied dehors ! De les voir en voie de guérison, avec des cancers parfois beaucoup plus intrusifs ou difficiles à soigner me donnait à chaque fois plein d'espoir et d'énergie. Je pensais à ma mère, tout était possible.
1er mars: anniversaire de Charlotte! Deux ans déjà, les joies du traditionnel gâteau au chocolat d'anniversaire, orné de fraises et de framboises. Autant de chocolat dans le ventre, qu'autour de la bouche. Un vrai moment de bonheur, qui me fait sentir plus vivante que jamais et qui me donne tellement de force pour affronter tout ça. Il n'y a pas de plus belle perspective que de voir mes enfants grandir...
Le 11 mars, deux semaines se sont écoulées après la première chimio. Quand l'oncologue m'a demandé le jour de semaine que je souhaitais choisir, j'ai privilégié le lundi, de manière à être opérationnelle le week-end pour les enfants.
Un choix que je n'ai pas regretté dès cette deuxième cure.
Dès la sortie de l'hôpital, j'ai senti un changement dans mon corps, une fatigue qui, doucement, s'installait.
Cette fois-ci j'ai pris un taxi pour rentrer. Un peu après la place de la République, en remontant le boulevard magenta, j'ai passé ma main dans mes cheveux. Quelques-uns me sont restés entre les doigts. J'ai renouvelé le geste, juste pour voir si c'était bien cela. Une deuxième poignée m'est restée dans la main.
J'ai souvent perdu mes cheveux. J'ai les cheveux bouclés, je ne les peigne qu'à la sortie de la douche. J'ai toujours quelques cheveux qui s'accrochent à mes doigts. Mais là, la sensation était différente. Il n'y avait aucune résistance, ils glissaient tout seul, sans retenue, comme s'ils s'étaient déjà détachés depuis longtemps. C'était très surprenant.
Ce soir-là, la fatigue s'empare de moi très rapidement et le lendemain matin, je découvrais quelques cheveux sur l'oreiller.
A la fin de semaine, ma décision était prise, je me rasais la tête. Vincent a toujours voulu me voir avec la tête rasée. Ça peut paraitre bizarre mais il était persuadé que ça m'irait bien. Je n'aurais, je pense, jamais sauté le pas si la situation avait été autre. Mais là, je me suis dit pourquoi pas tenter l'expérience ? De toute les manières, je ne me voyais pas non plus attendre de me déplumer sans rien faire. Je voulais reprendre le contrôle de la situation.
Le samedi matin, nous sommes à la campagne, Vincent attrape sa tondeuse et ni une ni deux, me voilà avec un côté rasé. On rigole, on prend des photos. Et me voilà ensuite avec une crête sur la tête. Une vrai punk ! Solidaire, Vincent se rase aussi les cheveux !!
Tymeo passe une tête dans la salle de bain. Il nous prend pour des fous !! Coup de tondeuse final, et me voilà avec un demi-centimètre sur le crâne.
Ce crâne qui était enfoui sous une masse de cheveux, se révèle finalement assez homogène. Me voilà rassurée ! Et je dirais même que je trouve la coupe assez sympa. Même si je ne sais pas si j'oserai la porter hors contexte ou si j'aurais envie, une fois les cheveux repoussés, de retenter l'expérience. En tout cas, je ne regrette absolument pas le geste de ce matin-là.
A midi, on part déjeuner dans le petit restaurant du village voisin. Au regard des quelques personnes que nous croisons, je prends la mesure de cette nouvelle apparence somme toute assez inhabituelle dans le coin !
A table, une petite fille demande discrètement à sa mère : "pourquoi elle a les cheveux comme ça la dame ?". Plus tard, quand les cheveux tomberont complètement, je serai souvent confrontée à ces remarques que seuls les enfants osent faire. Alors que les adultes n'en pensent pas moins. J'ai pris le parti là aussi, d'y répondre en expliquant la maladie, en rassurant sur le caractère temporaire de la situation. Et finalement, seuls les adultes continueront de se sentir mal à l'aise. A quoi bon ? L'enfant, lui, une fois rassuré, passe à autre chose.
Outre la chute des cheveux, cette deuxième cure de chimio, marqua également le début des premières nausées. Ou plutôt une sensation d'écœurement. Certaines odeurs, le café, la graisse d'une volaille qu'on fait rôtir, le plastique me soulèvent l'estomac.
Côté alimentation, j'évite au maximum le sucre, je me fais des jus verts le matin, je fais des cures d'aloe arborescens et bien sûr je continue les jeûnes "pré-chimios". Mon estomac et mon foie me guident de préférence vers des plats crus, sans sauces et sans matière grasse. Une sorte de diète qui s'impose d'elle-même. Le reste ne passe pas. Je force un peu, pour ne pas perdre trop de forces.
Je me fais enguirlander par l'acupuncteur ! En médecine chinoise, il est déconseillé de manger froid. Le corps a besoin de toute l'énergie possible. Manger froid et cru sollicite une mobilisation de l'énergie vitale du corps. Pas facile toutefois de lutter quand on a la nausée.
Je sens également apparaître des premières aphtes. A ce moment-là, rien de très méchant. J'arrive à gérer la sensation de gène avec des bains de bouche au bicarbonate.
Après la troisième cure de chimio, le 25 Mars, le corps montre de vrais signes de fatigue. Comme s'il manquait de ressources pour pouvoir accuser le coup une troisième fois. Les globules blancs sont en chute libre. L'appétit est petit petit.
Les cheveux commencent à se clairsemer. Un soir, Joséphine et Tymeo me disent en riant : "Derrière, tu as des trous dans la tête". C'est cette phrase qui me décide finalement à passer à l'étape suivante : le rasage à blanc.
Vincent me dit d'attendre que ça tombe complètement, mais je n'ai aucune envie d'avoir des "trous dans la tête". Je préfère de loin anticiper, de toute façon, ce n'est qu'une question de jour.
Les premiers instants sont étranges, il faut un peu de temps pour s'habituer. Là où Vincent avait trouvé la transformation plutôt drôle et réussie au premier rasage, je sens que là, on a franchi une nouvelle étape. Pendant quelques instants, son regard est plus sombre, presque inquiet. La perte des cheveux marque vraiment la maladie ; l'étiquette du cancer. Pour ma part, je suis soulagée, je préfère retrouver une uniformité et de tout façon ça repoussera !
Finalement, on se fait assez vite à cette nouvelle tête. J'ai le droit à un "Waouh ça fait bizarre" de la part de Tymeo. Et quelques minutes plus tard, c'est comme si de rien était. Charlotte, elle, ne semble même pas avoir vu la différence... Ce qui est beau chez les tout- petits, c'est qu'ils regardent avec le cœur !!
Au bout de quelques jours, le cheveu n'est plus rasé mais le bulbe est tombé, laissant une peau douce et délicate. J'ai fini par adorer la sensation de "crâne nu". Il est conseillé par contre de bien s'hydrater la tête, car en l'absence de sébum, le cuir chevelu peut vite se dessécher.
Les massages à même le crâne sont divins...
L'été, j'ai aussi gouté au plaisir de plonger la tête sous l'eau, dégagée, libre...et loin de la préoccupation du séchage !
Les premiers temps, je porte le plus souvent des foulards, turbans que je fabrique avec des coupons de Wax, dénichés dans les boutiques africaines du quartier. Au début, la nuit je porte même un petit bonnet en bambou pour ne pas attraper froid. C'est là qu'on prend conscience du rôle protecteur des cheveux !
Dès qu'il commence à faire beau, les tissus me tiennent chaud, je préfère alors sortir tête nue. L'avantage à Paris, c'est que les gens ne portent que peu d'attention à ce genre de détails. On peut parfois lire de la surprise ou de la pitié dans le regard des gens, mais pas de regard insistant ; ils passent très vite à autre chose. Ou alors, je n'y prête pas vraiment attention.
A l'école, les enfants demandent à Tymeo : "pourquoi ta mère n'a pas de cheveu?". Il se lance alors dans l'explication du cancer, de la bataille des petites cellules pendant la chimio... il est presque fier d'en connaitre autant!!
J'ai perdu mes cheveux en premier, les autres poils sont tombés quelques semaines plus tard. La perte des cils et des sourcils ont été plus difficiles à accepter. J'avais la sensation que mon visage s'effaçait. L'anémie provoquée par la chimio me donnait le teint pâle. A ce moment-là, entre malade ou excentrique, on ne se pose plus la question.
J'apprends au cours de ce mois de mars qu'Audrey, mon "coach cancer", a récidivé. Une petite tumeur dans le creux axillaire, sous sa cicatrice. Elle ne l'avait pas sentie. Elle est confiante, reprise de la chimio mais taxol uniquement cette fois-ci. Je n'ose imaginer l'effet d'une telle annonce. Alors que je viens d'entamer ce même parcours, j'ai peine à croire qu'on puisse trouver la force d'y retourner une seconde fois; ça me parait insurmontable...
On commence alors à se soutenir mutuellement et échanger sur nos chimios respectives avec des perspectives de célébrations communes de fin de traitements.
Depuis le premier contact établi en janvier avec la druide, je échangeais maintenant de temps en temps au téléphone. Elle prenait des nouvelles, me rassurait sur nos prises en charge "énergétiques".
On organisa finalement une rencontre le 2 avril avec elle. Serge et Anita m'accompagnait dans ce petit périple au-dessus de Quimper. Ils prenaient soin de moi, je me sentais à la fois choyée et sécurisée. Ils avaient loué un gite près de chez elle où nous avons passé la nuit avant d'aller la voir le lendemain matin.
Je me souviendrais toujours de notre voyage en voiture à travers la forêt. La route bordée de sous-bois clairsemés, laissait apparaître une multitude de camélias en fleur. Le temps est plutôt gris et maussade en ce début d'avril. On sort tout juste de l'hiver et pourtant, il y a de la lumière de partout. Les camélias illuminent le paysage et nous offrent un spectacle haut en couleur.
L'arrivée chez la druide est toute aussi magique. C'est une petite maison au bord de la route, assez basse. Dans mon souvenir, elle a un toit en chaume. Mais je ne sais pas à quel point cette idée s'inscrit dans la réalité ou dans l'image que mon esprit s'est forgée à partir de détails mystiques.
Il y a notamment cette statue étrange et imposante à l'entrée, un cadeau d'un sculpteur local qu'elle a aidé.
On est également accueilli par ce panneau : "Interdit aux cons", humour décalé mais qui donne le ton!
A l'intérieur, un ancien comptoir de bar, une immense cheminée, une multitude d'objets insolites et surtout des journaux qui tapissent intégralement les murs, du sol au plafond...Les fenêtres sont également recouvertes de papier. La lumière du jour n'entre pas. L'endroit paraît presque abandonné. En tout cas il semblerait que l'aspirateur ait pris la fuite.
Une femme, qui parait beaucoup plus âgée qu'elle ne l'est sûrement, nous accueille avec une chaleur rustique mais sincère. Elle est accompagnée par son mari. Plus âgé encore qu'elle, ou fatigué par les traitements médicaux. Atteint également d'un cancer depuis plusieurs années, il est marqué par les épreuves. Ancien militant engagé dans le front de libération de la Bretagne, il n'a pas sa langue dans la poche et a gardé une verve vigoureuse et acerbe envers nos politiques.
Le café nous est servi dans la cuisine, une pièce située à l'arrière de la pièce principal. Ici aussi c'est un véritable capharnaüm. On arrive à se faire une petite place sur un coin de table, à trouver des tasses qui ont vraisemblablement errées entre l'évier et la table. Pas sûre qu'elles aient trouvé l'éponge sur le chemin.
Martine semble appartenir à cette catégorie de femmes fortes, au caractère bien trempé, qui ont la lourde tâche de porter leur famille à bout de bras mais qui font preuve d'une extrême bonté. Un tempérament qui se situe à mi-chemin entre douceur et fermeté et qui laisse transparaître une grande générosité.
Très vite, on aborde les raisons de notre présence ici. Sur son buffet, elle me montre les photos que nous lui avons envoyé. "Je vous regarde tous les matins" me dit-elle. Elle m'interroge. Elle veut savoir où j'en suis des traitements, comment je me sens. Elle me pose les mêmes questions pour ma mère.
Je lui ai ramené nos pierres. A l'aller, j'ai fait un stop à Rennes en train pour récupérer celle d'Isa. Elle les prend dans ses mains pour les recharger. Le geste est tout à fait anodin. Rien de mystique, pas d'incantation ni de prière. Contrairement à ce qu'on pourrait penser, on est loin de Merlin l'enchanteur.
Puis elle commence à nous raconter sa vie. Elle nous parle de son fils, avec une grande fierté maternelle. Pendant ces quelques heures passées avec elle, je sens qu'elle m'observe discrètement. Et puis un moment, elle s'interrompt et elle me dit : "c'est bon, c'est fini maintenant, tout va bien se passer". J'essaye d'en savoir un peu plus et de poser quelques questions. Je n'en saurais guère plus. "C'est comme ça" me dit-elle.
Après tout, c'est ce que je suis venue chercher et entendre. J'ai le sentiment qu'une force puissante et surnaturelle veille sur moi. Une arme de plus actionnée. Un sentiment qui me fait le plus grand bien et qui, j'en suis persuadée, contribue à lutter contre la maladie.
Quand on aborde la question de ma mère, sa réaction est déconcertante : "Je ne la vois pas malade" me dit-elle. Je lui explique les examens, les diagnostics, les traitements et pourtant elle me dit ne rien voir, qu'"elle va bien" et que "ça va aller pour elle aussi".
Quelques mois plus tard, je la désavouais complètement. Déçue d'avoir pu mettre tant de conviction en ses pouvoirs. Remontée qu'elle n'ait pas réussi à voir la gravité de sa maladie. Infiniment triste qu'elle n'ait pu la sauver.
Maintenant avec le recul, je me dis qu'elle ne pouvait peut-être simplement rien faire pour elle ? Et comment aurait-elle pu me le dire ? Encore une fois, on sait combien la force des émotions agit sur la maladie et l'importance de croire en sa guérison. Dans tous les cas, elle a pris du temps pour nous. Une force vive de plus qui nous a fait parvenir son énergie et sa bienveillance. En ça, elle a toute ma reconnaissante.
On est reparti de chez elle, le cœur léger, pleins d'espoirs et d'horizons positifs. Je me sens à la fois forte et légère. La présence et le soutien de Serge et Anita me font du bien. Je me sens parée à rentrer, prête pour une nouvelle chimio.
Sur le retour, le train s'arrête quelques minutes à Rennes. Bernard négocie avec le chef de gare pour s'avancer sur le quai et récupérer la pierre (et une douzaine d'œuf qu'Anita leur fait passer !)... L'échange ne durera qu'une minute, il est escorté par le contrôleur qui nous toise comme deux trafiquants du marché noir ! Je repars un peu frustrée, j'aurais bien grapillé quelques instants de plus avec lui.
Le 4 avril, de retour à Paris, je rencontre une masseuse dans le service d'oncologie qui m'offre une heure de détente et de reconnexion avec mon corps. Les bienfaits des massages pendant les périodes de traitements sont reconnus pour notamment agir sur l’état émotionnel et psychologique des patients en réduisant les tensions, l’anxiété et en luttant contre la dépression. Sensibilisée aux bouleversements que traversent les personnes malades, elle connait les différents types de cancers, leurs progressions, les différents soins médicaux et leurs effets secondaires. Elle peut ainsi adapter ses soins en fonction du l'état et des envies des patients. Des rendez-vous qu'elle transforme en véritables bulles de douceurs et de détentes. Des doigts magiques roulant sur mon crâne nu et sur mon corps fatigué...
Samedi 6 avril, nouvelle période de jeûne avant la chimio de lundi, la quatrième et dernière de cette première série d'EC, série la plus difficile à tolérer. Hâte d'en finir.
Avant chaque chimio, je réalise un bilan sanguin complet : les NFS, à savoir la numération sanguine des globules blancs et globules rouges; la créatine, indicateur du bon fonctionnement des reins; un bilan hépatique, pour mesurer la tolérance du foie aux médicaments; le taux d'urée, de calcium, de potassium,...
Tous les quinze jours, puis toutes les semaines, c'est le rituel du labo et de la prise de sang. Au fur et mesure des mois, cette routine s'est inscrite dans mon quotidien. Je suis devenue une experte sur les horaires de fréquentation, les laborantins à éviter, le code couleur des tubes de prélèvements, les secrétaires les plus efficaces, les pulls à porter pour se découvrir les veines facilement,... Et surtout j'ai appris à lire des bilans sanguins, à en comprendre les variations, les indicateurs.
En vigilance permanente sur l'évolution de cette chimie du sang, j'ai archivé chaque compte rendu, surveillé chaque fluctuation.
Globalement, pour que la chimiothérapie puisse avoir lieu, il y a 3 indicateurs clés à surveiller et des seuils à respecter :
- Hémoglobine > 9g/dL (globules rouges)
- Polynucléaires Neutrophiles > 1000/mm3 (Leucocytes/globules blancs)
- Plaquettes > 100 000/mm3 (cellules sans noyau ayant un rôle prépondérant dans la coagulation)
Si l'une de ces conditions n'est pas respectée, il y a un risque que la chimiothérapie puisse avoir une incidence, parfois grave, sur l'état de santé.
Ainsi, chaque semaine, j'attends donc ce bilan sanguin avec l'excitation et la peur de l'élève qui reçoit les résultats de ses examens...
Cette nouvelle injection, le 8 avril, marqua une vrai étape dans mon état global : augmentation de la fatigue, liée notamment aux nausées et l'amaigrissement qui en découle, mais aussi de terribles aphtes sur la langue. Jusque-là, j'arrivai à canaliser ces effets secondaires à coup de bains de bouche au bicarbonate. Mais là j'atteignais des niveaux de "cratères buccaux" insoutenables, j'avais la langue à vif et je peinais à manger convenablement. Une oncologue de l'hôpital de jour renforça la prescription du bicarbonate avec de la cortisone. Mais rien n'agissait.
C'est finalement une patiente qui "sauva" ma bouche ! Croisée à un atelier d'Art thérapie, elle me conseilla l'eau de Quinton. Après plusieurs semaines vaines avec l'allopathie, le problème fût réglé en 48h avec ce remède de grand-mère ! Tout simplement magique.
En savoir + sur l'eau de Quinton ici.
Malgré la fatigue physique et les effets secondaires, je continuais de tout mettre en œuvre pour vivre le plus normalement possible, faire en sorte que les traitements affectent le moins possible notre quotidien.
Côté travail, j'étais en arrêt maladie depuis le mois de février. Je continuais néanmoins de suivre l'activité à distance. Je passais une tête de temps en temps au bureau.
Entre la fatigue et les rendez-vous médicaux, impossible de tenir le rythme effréné auquel j'étais habituée. Mais le maintien d'une activité professionnelle et des liens sociaux auront été salvateurs pour moi. Je gardais l'esprit occupé, tourné sur la mise en place de projets, le suivi d'objectifs.
J'ai annoncé la couleur dès le départ, en transparence mais avec la pudeur qu'on peut avoir avec ses collègues. J'ai la chance de travailler avec une équipe jeune et très ouverte. J'ai tout assumé : la mine des mauvais jours, la perte de cheveux. Ils ont accueilli la nouvelle avec soutien et prévenance. Ils ont continué d'échanger avec moi normalement ; j'étais simplement moins disponible.
Le jeudi 11 avril, je participais à un atelier d'art thérapie. Au dernier moment, les enseignants déposaient leur préavis de grève. Vincent travaillant, je n'avais pas de solution de garde pour Tymeo. L'art thérapeute me proposa alors de venir à l'atelier avec lui.
J'y ai vu une belle occasion de lui faire découvrir un autre aspect de l'hôpital, moins sombre, moins angoissant. J'avais envie de lui faire visiter les endroits où je me rendais presque chaque jour.
Il s'exprimait peu sur les traitements ou sur l'hôpital. Je me suis souvent interrogée sur la manière dont il pouvait se représenter les choses. L'imaginaire peut parfois prendre une place plus inquiétante que la réalité. Venir découvrir concrètement ce lieu, c'était en quelque sorte un moyen d'exorciser des éventuelles craintes.
J'étais néanmoins assez septique sur sa capacité à rester très longtemps en place. Je m'imaginais repartir au bout d'une heure une fois quelques dessins achevés. Au lieu de ça, j'ai dû négocier avec lui, après les 4 heures de séance, pour que nous rentrions…
Dès notre arrivée, il éprouva la même fascination que moi face à l'abondance des matériaux à notre disposition. Il suivit l'art thérapeute qui le guida dans le choix des toiles, des couleurs, des pinceaux et autres accessoires. Elle lui présenta les autres patients avec lequel il échangeait avec une aisance tout à fait naturelle. La maladie, les foulards et les perruques devenaient ici la norme. Il évoluait sans se poser de question, avide de création.
Rapidement, il trouva une idée : peindre avec les mains protégées par des gants, qu'il collait ensuite sur la toile. Il déclinait ensuite cette thématique en différentes couleurs. Tout le monde l'applaudissait et ces chaleureux encouragements déclenchaient en lui une frénésie de peinture !
De cet atelier seront sortis 12 toiles grands formats que je reviendrai chercher le lendemain, le temps du séchage. Je suis repartie encombrée, en taxi, croulant sous ses œuvres…
Je garde un souvenir mémorable de ce moment créatif et de partage avec lui.
Quelques jours plus tard, à la fatigue, s'est rajouté une sorte d'état grippal, puis un début de température.
Dans ce cas de figure, les instructions sont claires : direction le labo pour un bilan sanguin. Quelques heures plus tard, le médecin du laboratoire m'appelle, les neutrophiles sont descendus à 148/mm3.
En clair, je n'ai plus d'immunité. Il me conseille de m'isoler et d'appeler l'hôpital. Malgré, les injections de neulasta, censées agir sur la production de globule blanc, la moelle épinière est au ralenti. L'interne de garde ce jour-là me conseille d'attendre et de surveiller ma température.
Le lendemain, le mardi 16 avril, j'ai rendez-vous avec l'oncologue à l'occasion d'un bilan après cette première série de cure de chimio.
Vincent m'accompagne, ou plutôt m'aide à tenir debout. Son soutien indéfectible me permet encore d'avancer quand le corps et l'esprit ne suivent plus.
J'ai toujours de la température, des frissons...Je mène l'entretien dans un état second et à la lecture de mes résultats, elle m'annonce qu'elle m'hospitalise.
Je reste complètement interdite. Je ne m'attendais pas du tout à ce verdict. Je pense tout suite aux enfants. Je ne les ai pas prévenus. Je vais devoir à nouveau être séparée d'eux et ce pour une durée complètement indéterminée. Je commence à paniquer. Elle n'est pas très rassurante : je ne vais pas pouvoir les voir tant que mon immunité ne sera pas remontée. C'est trop risqué.
Elle me trouve une place en chambre stérile dans le service infectiologie dans le bâtiment Laveran (Bâtiment Laveran à retrouver ici).
Vincent court me chercher une brosse à dent, une culotte et un pyjama. Pour le reste, on verra demain. Tout a été très vite, j'ai à peine eu le temps de comprendre ce qui se passait et je me suis retrouvée seule dans cette chambre isolée.
Etat de neutropénie fébrile. La chimiothérapie bloque temporairement l'activité de la moelle osseuse, entraînant une diminution de la production des cellules sanguines.
On place alors une petite étiquette dehors, à l'entrée de la chambre : "Aplasie". Nom de code signifiant qu'une tenue de cosmonaute est indispensable pour rentrer dans la chambre. Un dress code fastidieux pour les infirmières qui préfèrent me faire du langage des signes par un petit hublot. Tel un poisson rouge dans mon bocal, la plupart du temps, je ne comprends rien.
Le soir même, ils font tout un tas d'analyses pour essayer de voir d'où vient l'infection. Il faut notamment vérifier qu'il n'y ait pas d'infection qui se collecte autour du PAC.
En attendant les résultats, ils décident de m'administrer un antibiotique à spectre large pour prévenir d'une éventuelle bactérie. L'infirmière m'injecte le médicament et me prévient qu'il va passer dans les veines pendant une heure environ.
Bizarrement, au bout d'un quart d'heure, le produit est intégralement passé et la poche de perfusion est vide.
Tout d'un coup, je sens que mon visage commence à gonfler et que j'éprouve de plus en plus de difficultés à respirer. J'appelle l'infirmière qui tarde à venir. Je suffoque. J'ai l'impression que je vais m'étouffer. Heureusement, j'ai toujours un tube de Ventoline au fond de mon sac. En quelques instant, je retrouve de l'air. L'infirmière arrive enfin, puis suivie du médecin. J'ai fait une réaction allergique à la pénicilline...
Le lendemain, le visage a dégonflé, la température a baissé mais je suis toujours fatiguée et mes taux sanguins ne sont pas encore remontés.
Paradoxalement, exactement le même jour, on apprend un excellente nouvelle du côté de ma mère. Elle vient de terminer ses 6 cures de chimio et le bilan des images au TEP SCAN est bluffant. La tumeur a pour ainsi dire disparue. L'oncologue est très confiant et propose de poursuivre par trois séances supplémentaires pour éradiquer complètement le problème, suivies de 25 séances de radiothérapie étalées sur 5 semaines.
A ce moment-là, plus qu'une lueur d'espoir, on voit le bout du tunnel. On fait le décompte des jours de traitement restant et on a bon espoir qu'elle puisse retrouver une autonomie alimentaire pour l'été.
C'est un véritable soulagement pour tout le monde.
Alors qu'on devrait se réjouir et fêter ces bons résultats, Bernard saute dans un train pour me rendre visite à l'hôpital. Je suis une nouvelle fois troublée par la temporalité du croisement de nos parcours...
A tour de rôle Bernard et Vincent se relayent dans ma chambre. Tout de bleu vêtus, on est plus proche de schtroumpfs que de cosmonautes ! Les gants donnés à Bernard ne lui permettent de rentrer que quatre doigts sur cinq...
Au vue des récentes bonnes nouvelles, l'humeur est à la légèreté et leurs présences rend le temps moins long !
Un soir, j'ai même la visite surprise de Marion. Je suis à la fois touchée et émue par son soutien inconditionnel. Elle a traversé Paris après sa journée de travail pour m'apporter un peu de joie et de réconfort. Grâce à elle, ce jour-là, je découvre mon premier "Fabcaro": "le discours". Le premier d'une longue série.
Chaque jour, c'est le même rituel : prises de sang, analyses. Ils ne savent pas vraiment d'où vient l'infection. Ils vérifient également par radio au niveau des poumons. Mais finalement à part des globules blancs au plus bas et une anémie, il n'y a pas d'autres symptômes. Au bout de quelques jours, ils me préparent à une éventuelle transfusion.
Pour moi, il en est hors de question. Je me bats déjà avec mes propres cellules, je ne vais pas non plus gérer celle d'un.e autre !
Je tente de négocier avec de mon onclologue et avec les médecins du service. Je ne manque pas d'arguments : régime exclusif de boudin, transfusion familiale. En vain, pourtant ce n'est pas les idées qui manquent.
Au bout d'une semaine, je reçois l'autorisation de pouvoir voir Tymeo. A l'extérieur de ma chambre seulement et avec le masque. Le temps d'une partie de Uno, dehors au soleil, j'oublie ces quelques jours difficiles. Mes enfants ont le pouvoir magique de me guérir !
Le lendemain, j'ai mon passeport pour la maison avec des neutrophiles qui ont repassé la barre des 900/mm3 et une hémoglobine qui se rapproche des 9g/dL. Je remercie mon corps d'avoir évité la transfusion !!
Le planning initial a donc finalement été un peu perturbé par ces derniers événements. Initialement, j'aurai dû recevoir ma première injection de Taxol le lundi 22 avril. Finalement, l'hospitalisation aura décalé cette deuxième phase de chimio au mercredi 24 avril.
Le même jour encore, Isa entamait également sa seconde série de chimio. On avait pris l'habitude de s'appeler pour s'encourager avant chaque nouvelle cure. Cette fois on était synchros!
Si les injections de Taxol sont moins fatigantes à supporter que les EC dans les jours qui suivent, elles demandent néanmoins un certaine endurance ! Douze chimios réparties sur douze semaines. Il faut tenir la cadence.
Le produit induit également d'autres effets secondaires comme notamment la dégradation, voir la perte, des ongles ; des fourmillements, picotements ou douleurs des jambes ou des bras (signes de neuropathie périphérique); des douleurs dans les articulations ou dans les muscles.
Afin de prévenir ces risques, les séances de chimio se passent avec les mains et les pieds dans la glace. Cette fois-ci, j'y suis autorisée.
Pour perte des ongles, il est également conseillé d'appliquer du vernis au silicium selon tout un rituel décrit.
En savoir + sur les soins des ongles ici
Et c'est comme ça que je me suis retrouvée à me mettre du vernis pendant des mois, à raison de 2 à 3 fois par semaine. Des soins qui ne faisaient, jusque-là, pas vraiment parti de mon "rituel beauté"!
Au final, ça m'aura permis de ne perdre "seulement" qu'un ongle d'orteil (le plus petit). Et sur les mains, un bout d'ongle du pouce s'est également décollé mais avec un ongle qui avait déjà plus ou moins repoussé en dessous. Heureusement tout ça s'est fait progressivement et sans douleur.
Cette première séance se passe globalement de manière très similaire aux précédentes, avec toutefois l'inconfort de la glace en plus.
Il n'y a cette fois qu'un seul produit à injecter, ce qui réduit considérablement le temps de la séance - 2 heures environ.
En revanche, le produit, conservé à basse température, est très épais et rend l'injection plus compliquée. Le goutte à goutte nécessite d'être régulièrement relancé par les infirmier.es
La seconde injection de Taxol qui aurait dû avoir lieu le mercredi 1er mai a été décalée au lendemain: la fête du travail est aussi célébrée pour le corps ! Répit !
Le jeudi 2 mai, à mon arrivée à l'hôpital, le laboratoire n'a pas encore sorti mes résultats d'analyse, un retard certainement pris avec le jour férié.
Généralement, nous recevons conjointement les comptes rendus : par fax pour l'hôpital / par mail pour moi. Parfois le fax n'arrive jamais mais c'est la première fois que je ne reçois rien de mon côté. On appelle le labo, il est encore tôt, on me fait patienter. J'attends, je relance le laboratoire plusieurs fois dans la journée ; les heures passent. Je commence à comprendre pourquoi on nous appelle les "patients".... Arrivée vers 9h, je ne pourrais être prise en charge que vers 16h, juste à temps pour pouvoir faire la séance. Au-delà, la durée de soins aurait été trop longue pour pouvoir recevoir le traitement aujourd'hui.
Tandis que l'infirmière prépare son arsenal de combat, l'interne passe rapidement, mes analyses à la main. "C'est bon, on a reçu le bilan, on y va". C'est la première et la seule fois que je ne verrai pas mes résultats avant l'injection. A regret, j'aurais dû demander. La confiance n'exclut pas le contrôle.
En arrivant le soir à la maison, je finis par recevoir le mail du laboratoire. Je m'aperçois avec stupéfaction que je n'aurais pas dû recevoir cette chimio. Les conditions requises n'étaient pas remplies, les neutrophiles étaient retombés à 30 mm3 pour un minimum de 1000 mm3.
J'essaye de ne pas m'inquiéter, je me sens bien. Je retourne demain à l'hôpital pour rencontrer le radiothérapeute : je ferai le point avec lui.
Le vendredi 3 mai, je fais donc la connaissance le radiothérapeute qui m'est attitré. Il est mon troisième référent. Son bureau est situé dans le sous-sol du bâtiment Antonin Gosset (Bâtiment Antonin Gosset à retrouver ici).
Ma première rencontre avec lui m'a laissé un souvenir assez mitigé.
C'est un jeune docteur, la trentaine je dirais. Plutôt du genre conventionnel.
Bizarrement, il me met presque mal à l'aise. Au moment de m'ausculter, je retire mon pull et là, mon turban part avec. L'alopécie devant être courante chez ses patients, je ne m'attends pas à sa réaction. Il semble porter sur moi ce que j'appelle "le regard des curieux empathiques". Ce même regard que les gens peuvent avoir lorsqu'ils croisent quelqu'un avec un handicap ou une malformation. Un regard du coin de l'œil, priant de ne pas être pris en flagrant délit de voyeurisme, mais ne pouvant s'empêcher de regarder. Suivi d'une expression de pitié. Je suis assez atterrée de cette réaction mais je me dis que, peut-être, ai-je mal interprété la situation ? Quoi qu'il en soit, je reste tête nue jusqu'à la fin de la consultation. Peut-être pour vérifier cette impression ou simplement par pure provocation ?
Il se veut vaguement rassurant sur le fait d'avoir reçu cette chimiothérapie en dépit des résultats du bilan sanguin mais sans vraiment prendre position. La seule chose à faire : bien suivre la remontée des globules blancs et continuer les injections de Zarzio (entre les deux types de chimo, je suis passée des injections de Neulasta aux injections de Zarzio).
Allopathe résolu, il ne montre pas beaucoup d'ouverture aux thérapies alternatives. Sans m'aventurer très loin, je lui demande quand même s'il connait des magnétiseurs, coupeurs de feu.
La radiothérapie agit comme une brulure des tissus. Les coupeurs de feu sont réputés pour atténuer les effets secondaires des traitements. J'avais lu et entendu beaucoup de témoignages dans ce sens-là et je pensais, à tort, que cette pratique était désormais (re)connue.
J'ai donc été rapidement déboutée. Une réponse qui a été assortie par une comparaison tout à fait étonnante : "c'est comme si je vous disais que j'avais une Ferrari sur le parking. Vous iriez voir ou vous me croiriez ?". J'ai souris poliment (bêtement ?) en pensant très fort "alors déjà j'en aurai absolument rien à f### et d'autre part, je ne vois pas le rapport ?" J'imagine qu'il essayait de me dire poliment que cette pratique non scientifiquement prouvée n'avait aucune valeur à ses yeux...
Si la première impression n'a pas vraiment été la bonne, j'ai appris par la suite à le connaître, à lui faire confiance, malgré ses maladresses. J'ai parfois l'impression qu'on est sur deux planètes différentes mais ça ne m'empêche pas de beaucoup l'apprécier et de savoir que je peux compter sur lui.
Il m'explique longuement les implications de la radiothérapie, ses effets secondaires et surtout son fonctionnement "logistique". Sur le moment, j'ai l'impression que c'est une véritable usine à gaz et que je ne me souviendrais jamais des process.
Je suis affectée au Clinac 2 (nom de la machine). Il me parle d'une histoire de carnet de séance à déposer devant la porte du Clinac 2 et à récupérer après la séance puis une fois par semaine, le mercredi, devant la porte du bureau des internes pour être vu par un médecin. Il m'explique les couloirs, les portes, les rendez-vous. Tout est très abstrait pour moi, je ne retiens rien. A part que ce carnet est hyper important et qu'il faut qu'il me suive tout au long de la radiothérapie! Heureusement dès la première séance, tout s'éclaire. Le fonctionnement est finalement simple et limpide; il suffit de le faire une fois.
Mais une fois encore, on ne parle pas de l'essentiel.
Spontanément, aucune explication du fonctionnement médical des rayons, de leurs mécanismes d'action sur la tumeur ou des conséquences pour le corps. On nous prépare uniquement à ce qui est visible et à ce qu'on va ressentir comme effets secondaires par exemple.
Si on ne pose pas de questions précises, le discours ne va pas plus loin. Or, étrangers au monde médical, on ne dispose souvent pas de tous les outils nécessaires pour poser les bonnes questions. Et pour autant, on est à même de comprendre. Jusqu'à preuve du contraire, le cancer ne s'est pas encore attaqué à nos neurones. On s'adresse à nous avec la condescendance d'un adulte qui sous estimerait le potentiel de compréhension de l'enfant ; comme si on ne pouvait pas appréhender ce qui se passe dans notre corps ou dans le fonctionnement des traitements.
Pendant cette année, j'ai beaucoup lu sur le cancer. Pas seulement des forums avec des retours d'expériences ou des bandes dessinées légères mais des articles scientifiques, des ouvrages d'oncologues, des études médicales,... "Le savoir, c'est le pouvoir" - Dan Abnett. Je voulais reprendre le pouvoir sur mon corps.
Au fil des rendez-vous, j'accumulais des connaissances et j'essayais de creuser un peu plus ces questions de fonds. A titre d'exemple, j'aurais aimé savoir dès ce premier rendez-vous que la radiothérapie viendrait affecter mes poumons et mon cœur. "L'irradiation provoque une diminution des capacités de quelques pourcentages des organes avoisinants" m'annoncera t'on après les 25 séances de radiothérapie. "Rien d'essentiel rapporté au bénéfice/risque". C'est le type de phrase qu'on devrait entendre avant d'être mis au pied du mur. Bien entendu qu'on comprend le principe du "bénéfice/risque", c'est d'ailleurs le motto de tous ces traitements. Mais ce fonctionnement, très propre au milieu médical et à beaucoup de praticien, est terriblement infantilisant.
On est arrivé au même constat dans le parcours de ma mère. On s'est souvent refait le film à l'envers en se disant que si on avait su plus tôt certains éléments essentiels, on les aurait gérés différemment. Je ne dis pas que ça aurait changé le dénouement mais on aurait certainement perdu moins de temps. Elle y aurait gagné en confort et en tranquillité.
En savoir + sur la radiothérapie: ici.
Le 09 Mai, je me rends à l'hôpital pour la troisième injection de Taxol. Je ne suis qu'à 90mm3 de neutrophiles, toujours bien loin des 1000 mm3 requis. Je suis cette fois déterminée à me faire entendre sur le sujet et à obtenir les réponses attendues.
A mon arrivée, l'infirmière valide là aussi mon dossier. Cette fois je réagis et je la questionne sur les taux du bilan sanguin. Ennuyée, elle se rapproche de l'oncologue de service ce jour-là, qui confirme catégoriquement que la chimio ne peut être faite et qu'il faut la reporter de quelques jours.
J'évoque avec ce médecin l'incident de la dernière fois. Elle reste dubitative et m'assure que c'est impossible. Je l'invite à vérifier dans mon dossier.
Elle blêmie et me confirme qu'il y a bien eu une erreur. Je lui demande quelles sont les conséquences et les risques encourus. "C'est une atteinte grave de votre système immunitaire qui peut être fatale. Il faut que vous restiez isolée pour éviter d'être en contact avec un virus et on va augmenter les doses de zarzio pour faire remonter au plus vite les globules blanc".
"Fatal", l'impact des mots est fort et continue aujourd'hui à résonner en moi. Encore une fois on est si peu de chose, ça ne tient parfois à rien.
Elle vacille, la situation est assez inconfortable pour elle. Passées les premières minutes de stupéfactions, elle n'arrive pas à réprimer sa colère face à ce manquement. Difficile pour autant de s'engager face à moi contre un membre de son équipe. Elle quitte poliment le box, se confondant d'excuses.
Au-delà de la peur que j'ai pu ressentir à ce moment-là, c'est un sentiment de révolte qui m'a envahi. Je ne pouvais pas laisser passer ces différents épisodes, révélateurs de véritables failles dans le système. Je voulais me protéger, protéger les suivants, d'une situation qui pouvait se réitérer.
Investie de cette responsabilité, j'écrivais le soir même à l'oncologue pour dénoncer ces fautes. Autant dire une bouteille jetée à la mer. L'information a due cependant être relayée d'une manière ou d'une autre. J'ai recroisé l'interne qui avait validé cette malencontreuse injection mais je n'ai plus jamais eu affaire à lui.
Cet épisode aura eu des répercussions sans précédent dans mon rapport au corps médical. La confiance que je pouvais lui porter a été une fois plus ébranlée. Alors que je leur remets ma vie entre leurs mains, je touche à ce qu'il y a de plus profondément humain : le droit à l'erreur. Sauf qu'en médecine, ce n'est pas permis. Or comment se prémunir de ce qu'il y a de plus naturel ? "L'erreur". J'ai souvent cette pensée. Je croise dans ma vie professionnelle tellement de gens incompétents qui arrivent pour autant à des postes importants, à responsabilités. Je m'interroge toujours à savoir comment ils ont fait pour passer entre les mailles du filet. Et je ne peux m'empêcher de faire le parallèle avec le corps médical : pourquoi eux échapperait-il à ce constat? Au fil des années, le système s'est étoffé de procédures, de points de contrôle, de vérifications pour lutter justement contre ces mégardes. Mais ce système est bien insuffisant et il ne faut pas perdre de vue que la responsabilité de notre corps nous revient. Bien souvent, on place le corps médical sur un piédestal. Considéré comme "le savant", on s'en remet à lui les yeux fermés, oubliant parfois son propre savoir. Qui d'autre que nous même est mieux placer pour savoir déceler ce qui ne va pas ? Pour moi, le "savant" c'est le patient qui consulte le "sachant" pour l'orienter. Je suis intimement persuadée de l'importance qu'il y a à rester acteur de sa santé, comprendre ce qu'il se passe, challenger les décisions, contrôler ses résultats. Ne pas s'en remettre aveuglément aux médecins sous prétexte qu'ils ont le savoir. Une fois de plus "la confiance n'exclut pas le contrôle". Pour autant, la confiance qu'on leur porte est décisive dans la guérison. Elle impacte la manière dont on va recevoir et accueillir les traitements, dont on va s'en emparer. A titre d'exemple, prendre un médicament tous les jours implique la nécessité d'être convaincu de son effet bénéfique et de son importance, sans quoi on aura vite fait d'oublier de le prendre rigoureusement. L'ambivalence et la complexité de ces rapports aux équipes médicales m'ont beaucoup fait réfléchir durant cette période...
Finalement, je recevrai cette troisième injection le mardi 14 Mai, avec une stabilisation de mon bilan sanguin.
Mon quotidien continue d'être rythmé par les allers/retours à l'hôpital, entre traitements, séances de sport, art thérapie ou psychologue, je suis là quasiment tous les jours.
Le 16 Mai, je fais le 1er bilan avec la coach sportive. Après ces premiers mois d'activité sportive, on fait le point sur la souplesse, la résistance à l'effort, le poids. Je suis heureuse de pouvoir constater que, malgré la fatigue accumulée, je réalise de meilleures performances sur tous les tests, mais surtout sur la souplesse et sur la récupération de la mobilité du bras après l'opération. Côté masse musculaire, comme sur la masse graisseuse, j'ai par contre perdu du poids, près de 8 kilos. Et ça, la coach, elle n'aime pas trop !
Heureusement, le taxol est moins difficile à supporter, que ce soit en termes de nausées ou d'aphtes, je retrouve un équilibre alimentaire et de l'appétit. Les kilos devraient suivre !
Les chimios hebdomadaires ont continué de s'enchaîner et le beau temps est arrivé ! Je me suis de plus en plus affranchie de mes turbans et je commençais à regretter de ne pas avoir succombé à la tentation d'une perruque ! A un moment donné, il m'a apparu inconcevable de passer à côté d'une telle occasion...il m'en fallait une. Et quitte à paraître déguisée, autant prendre un modèle décalé.
Certainement prédestinée, je ne pouvais pas être mieux placée pour ça : nous habitions au-dessus de deux magasins de perruque...le comble pour une chauve !! Malgré l'opulence de choix proposé par les boutiques du quartier, je n'arrivais pas à me décider. Finalement, je me suis mise en quête d'une perruque du crasy horse.
Pour ça, je n'avais pas non plus à aller très loin, puisque le perruquier du Moulin Rouge, Raphaël, est installé un peu plus haut sur la butte Montmartre, rue Houdon. Le plus difficile étant d'oser rentrer dans sa boutique, qui n'était autre qu'un coiffeur !
Je me suis retrouvée devant ce salon de coiffure, face une devanture qui n'avait certainement pas bougée depuis 50 ans. Je suis passée plusieurs fois devant, à la recherche d'un indice qui pourrait confirmer l'informations glanée sur internet et trouver l'audace d'y entrer. Je finis par voir vaguement quelques perruques dans le fond du magasin. Et je me décide à rentrer. On est le 6 juin.
J'ai été accueillie chaleureusement mais avec un brin de méfiance. Légèrement désappointé par ma demande, il m'orienta dans un premier temps vers des perruques plus "conventionnelles". Quelque peu mal à l'aise, j'imagine qu'il doutait de ma sincérité, pensant que c'était un faux semblant par rapport à la maladie. Je pense avoir finalement réussi à le rassurer quand j'ai demandé à voir des modèles plus colorés ! Blonde, blanche, bleu, noir, jaune, rouge...je lui ai toutes faites déballer !! J'hésitais, il continuait d'essayer de me faire entendre raison : "vous ne pouvez pas prendre la blanche ou la rouge, c'est trop voyant!" et bien justement je vais prendre les deux!! Résigné à mes excentricités, il se plia à mon choix et réajusta les coupes.
Avec le recul, je n'aurai pas pu faire meilleur choix. J'ai adoré les porter, par alternance, parfois les deux dans la même journée...histoire de faire tourner en bourrique les autres ! Passé le moment de surprise, ça a beaucoup amusé mes proches et notamment les enfants !
Isa a adoré, au moment où elle a commencé à son tour à perdre des cheveux, elle aurait voulu la même. Je lui ai promis que j'irai lui en prendre une aussi. Promesse que je n'ai pas eu le temps de tenir, son cuir chevelu s'est très vite dégradé. Je regrette, j'aurai quand même dû ; pour le plaisir de la voir sourire!
Depuis le 3 juin, elle était à son tour hospitalisée pour aplasie. Elle restera 3 jours, le temps que ses analyses de sang se stabilisent. Epuisée par l'accumulation des traitements simultanés de chimiothérapie et de radiothérapie, le corps tirait la sonnette d'alarme et réclamait une trêve ! A l'annonce de sa rémission en avril, à l'issus du Tep Scan, son état s'était légèrement amélioré. Elle arrivait à remanger quelques aliments et on imaginait qu'après avoir repris un peu de force, elle pourrait envisager, au cours de l'été, de retirer sa jéjuno. La reprise des traitements n'allait malheureusement pas dans ce sens et de nouveau, elle ne pouvait plus du tout s'alimenter.
La radiothérapie était particulièrement éprouvante pour elle. Elle en supportait très mal ses effets. Maux de tête, fatigue, il lui fallait puiser chaque jour dans le peu de force qui lui restait pour aller faire ses séances à la clinique.
Le 11 juin, j'attaque ma 7ème cure de Taxol. Symboliquement j'ai fait plus de la moitié de cette partie des traitements et je commence à faire le décompte à l'envers...plus que 5 mardi !! Pour moi, le plus difficile dans le taxol, c'est de tenir la distance. J'impression que la fatigue s'accumule et que chaque séance est un peu plus dure à surmonter. Quand je rentre d'une cure, je n'ai qu'une envie c'est de me mettre au lit, de m'enfermer dans ma bulle. Je suis souvent groggy, avec la tête brouillée.
Le 13 juin, je reçois la visite de Monica ! Je suis tellement heureuse de la voir enfin. Avec Monica, c'est une amitié sororale qui nous lie et qui dépasse la distance qui nous sépare. Mais ne pas l'avoir à mes côtés plus souvent me manque terriblement. Depuis le début de cette aventure, elle m'accompagne, me soutient, veille sur moi...toujours d'une oreille douce et attentive, débordante d'amour! Quatre jours à papoter avec elle, que du bonheur ! Voilà de quoi me requinquer et me redonner un coup d'énergie !!
On joue les touristes, on arpente le Louvre, on va manger des falafels chez Marianne rue des Rosiers, on finit sur un bateau-mouche après s'être fait recalé à la tour Eiffel, on mange des glaces le long de la seine, on bulle place des Vosges, on grimpe au sacré cœur,...
Je fais la connaissance de Lionel, son compagnon. Une belle personne, comme elle.
Cette parenthèse m'aura donné des ailes et m'aura éloignée pendant quelques jours de l'hôpital.
Le mois de juin continuera à être doux et placé sous le signe de l'amitié. Le week-end suivant, le samedi 22 juin, on célébra le mariage de Louise et Thomas en Normandie. L'occasion pour nous de prendre un grand bol d'air frais au bord de la mer le dimanche matin et de pousser jusqu'à Veules les Roses, un peu en dessous de Dieppe. Et le week-end du 29 juin, Estelle, Alban et Victorine venaient passer à leur tour quelques jours avec nous !
Entre temps le jeudi 20 juin, après les déboires allergiques lors de la dernière hospitalisation, je suis convoquée à l'hôpital Tenon en allergo pour réaliser des tests avant le prochain scanner prévu en juillet pour les marquages de radiothérapie. Une après-midi entière à tester des produits sur mon avant-bras pour une suspicion d'allergie à la pénicilline et à l'iomeron, produit de contraste utilisé pour les scanner. Et à la fin de la journée, le doute persiste encore. Il faut que je revienne faire des tests. Résultats, je n'y suis jamais retournée mais je reste persuadée d'avoir uniquement fait un choc allergique (réaction liée à une injection trop rapide du médicament). Je me suis auto-retestée en prenant de l'amoxicilline un peu plus tard. Rien n'est arrivé. En revanche, pour l'ioméron, les 2 réactions que j'ai eu laisse peu de doute. Je crois que j'en resterais là pour le moment.
Le vendredi 5 juillet, dernier jour d'école avant les grandes vacances. Départ direction le Gault où l'on ouvre cette période par l'organisation d'un stage de musique animé par the Khu. 4 jours de stage, 12 élèves, 4 profs. Julie nous rejoint pour l'occasion. On est chargées des repas du soir. La semaine s'annonce donc festive même si l'avant dernière séance de chimio me vaudra un aller/retour à Paris le mardi.
Les événements prendront malheureusement une autre tournure.
Le dimanche 7 juillet, Julie passe la journée avec Bernard et Isa sur le bateau avant de prendre le train en fin d'après-midi pour le Gault. Depuis plusieurs jours, ma mère présente de légers troubles cognitifs, elle a des sortes d'absences qui peuvent durer de quelques secondes à quelques minutes. Au même moment, elle a de nouveaux médicaments et on soupçonne des effets indésirables. Cet après-midi sur le bateau, ces troubles s'accentuent : absences, paralysie d'un côté, difficultés d'élocution. Inquiets, ils écourtent la balade et rentrent à la maison. De retour chez eux, elle semble reprendre doucement ses esprits.
Mais en toute fin de soirée, Bernard nous appelle. Après de le départ de Jules, elle a fait une crise d'épilepsie. A ce moment là, l'infirmière est de passage, elle aide Bernard le temps que les secours arrivent. Arrivée à l'hôpital, elle passe un scanner en urgences. Ils ont découvert une tumeur au cerveau.
On est sidérées, accablées. Dans l'incompréhension la plus totale. Depuis plusieurs semaines, on parle de rémission, de sécurisation du protocole pour renforcer les résultats observés. Mi-avril, son tep scan révélait une régression spectaculaire de la tumeur à l'œsophage. Comment n'a-t-on pas pu déceler des métastases au cerveau ? Face à notre désarroi, je cherche à nous rassurer et à me convaincre par la même occasion. J'ai dans mon entourage le cas d'une femme en pleine rémission après un cancer au cerveau, un ami dont la mère a un cancer généralisé depuis plusieurs années,... Mais au fond de moi, je commence tout doucement à intégrer que les choses se compliquent, que la vie ne reprendra pas tout à fait son cours comme avant.
Et à la fois, je refuse catégoriquement de voir une autre issue, moins positive. Je suis convaincue qu'elle réagit excessivement bien à la chimio et qu'elle va pouvoir éradiquer cette tumeur-ci aussi. La maladie prend une forme d'affection chronique ; il va falloir intégrer et accepter ces rechutes.
Tout d'un coup, les doutes se multiplient et les questions restent sans réponses : comment peut-on développer des tumeurs alors qu'on est sous chimio ? Comment une tumeur peut autant évoluer et ce, en aussi peu de temps ? Le tep scan est-il réellement un examen fiable ? Ces questions viennent inévitablement raisonner quant à ma propre situation. Alors que la fin de la chimio approche, comment être sûre de son efficacité? qui me dit que des métastases ne sont pas également développer chez moi ?
Cette nuit-là aura été courte, rongée par l'inquiétude.
Ma mère est hospitalisée pour quelques jours. On est prêtes à la rejoindre mais Bernard arrive à nous convaincre du contraire. Elle doit se reposer, notre présence ne changera rien à la situation. On la rejoindra après ma chimio, à la fin du stage.
Lundi 08 juillet, anniversaire de Tymeo. Malgré les événements, on souffle les bougies et on trouve l'énergie de lui préparer un beau gâteau. Ce jour-là aura été aussi, il y a quelques années, l'un des plus beau jour de ma vie. La maison est toujours pleine de monde ; ça permet de s'occuper l'esprit.
Le Mardi 9 juillet, je profite de cette nouvelle cure de chimio pour trouver des réponses à mes questions auprès des oncologues du service. J'apprends alors que oui, il est tout à fait possible de développer des métastases au cerveau pendant une chimio. Le cerveau fonctionne un peu comme un sanctuaire dans lequel les cellules cancéreuses attaquées par les produits de chimio viennent trouver refuge. C'est un phénomène que l'on peut observer. Quant à la question du Tep scan, il est en effet moins fiable sur le cerveau que d'autres examens mais aussi il est possible que la tumeur ait pu se développer aussi rapidement. Des réponses qui ne me rassurent pas vraiment...
Le vendredi 12 juillet, on retrouve ma mère à l'hôpital. Elle est un peu plus en forme, mais les temps de visites sont courts. La cortisone a réduit la taille de la tumeur. L'objectif étant de faire en sorte qu'elle ne vienne plus exercer de pression sur le cerveau, par un œdème résultant d’une accumulation de liquide. C'est cet œdème qui entraine les maux de tête et les troubles cognitifs.
Pour la suite, l'oncologue propose des radiations intenses par radiothérapie. Pas de chimiothérapie pour le moment. Elle restera à l'hôpital jusqu'au 30 juillet, tout en commençant les séances de rayons. Elle se prépare à perdre ses cheveux. Elle y avait échappé jusque là. Nouveau coup au moral mais elle est résiliente, et solidaire ;)
A ce moment-là précis, je n'envisage pas du tout la suite. Elle va guérir. Je ne veux rien voir d'autre. On plaisante, on rit. Elle s'apprête à regarder le feu d'artifice du 14 juillet de sa fenêtre. Je n'imagine pas une seule seconde que ça puisse être le dernier.
Le 16 juillet, je suis de retour à Paris pour la dernière et l'ultime cure de chimio. Je devrais être soulagée et déborder de joie. L'émotion est partagée. Je ne suis pas dans l'état de sérénité que j'avais imaginé.
Avant d'enchaîner avec la radiothérapie, j'ai le droit à 3 semaines de répits, 3 semaines pour souffler, 3 semaines pour m'éloigner de l'hôpital. Une occasion que nous avions saisi pour organiser des vacances en Corse. En général, l'anticipation n'est pas notre fort, on est plutôt habitués à sauter dans la voiture ou dans un avion et à aviser sur place. Cette fois, c'était différent. Le timing nous était imposé et nous avions cruellement besoin de nous projeter justement.
Mais avant de pouvoir profiter de cette pause, il fallait que je prépare mes séances de radiothérapie et que je fasse un scanner de repérage.
Le mardi 16 juillet, je faisais ainsi connaissance avec l'équipe de radiothérapie qui procéda aux marquages. En gros, ils repèrent la cible sur laquelle les rayons vont être dirigés et les organes à risque à protéger. Et ils procèdent alors à un marquage sur la peau avec un feutre indélébile qu'ils protègent avec des sortes de patchs.
Cruelle déception pour les vacances au bord de l'eau : baignade interdite. J'avais tellement espéré une petite parenthèse de liberté mais la maladie, sournoise, me rappelle qu'elle est toujours là et que pour elle, il n'est pas encore question de nager dans l'insouciance...
D'un côté, j'hésitais. Ma mère était toujours à l'hôpital. Est-ce qu'on ne ferait pas mieux d'annuler ? Rester au près d'elle ? Avec le recul je regrette de ne pas avoir passer ce temps-là avec elle... Mais à ce moment-là, j'étais loin d'imaginer l'issue de son état.
Et d'un autre côté, il y avait les enfants, la vie, le mouvement.
« La vie, ce n'est pas d'attendre que l'orage passe, c'est d'apprendre à danser sous la pluie. »
Sénèque
Cette citation, je l'ai découverte pendant cette période, où en tout cas elle a fait écho en moi à ce moment-là !
Quand on est face à une telle maladie, on touche ses peurs les plus profondes. L'esprit peut se paralyser et tout peut paraître insurmontable. On peut alors vite trouver refuge dans l'isolement, attendre que les choses passent, passivement.
Et à la fois, on prend également conscience de la fragilité des choses. Tout prend alors une saveur différente. Et rien ne devient plus important que de vivre. Alors pourquoi attendre ? Et attendre quoi ? La fin des traitements ? Qu'un médecin vous annonce que vous êtes guéri ? On ne guérit pas d'un cancer. En tout cas pas dans un avenir proche. On passe d'abord par la case rémission. Et ce statut peut durer un certain temps, au moins 5 ans dit-on. Alors pourquoi attendre pour vivre ? Il faut apprendre à vivre avec la maladie, même si c'est parfois difficile. Mais il ne faut surtout pas s'empêcher de vivre. Il faut profiter de tous les petits bonheurs qui s'offrent à nous. Ne pas repousser le temps d'être heureux. En tout cas, ça aura été mon parti pris.
Le 20 Juillet, j'assistais avec les enfants au mariage de Stéphanie et Xavier. Portée par ce besoin de vie, j'ai rarement autant savouré un mariage. Une fête champêtre, tendre, "bon enfant"...pleine d'amour ! J'y repense souvent comme un délicieux bonbon au goût de l'enfance.
Vincent travaille jusqu'au 22. Le temps de préparer la voiture, nous voilà en route pour Marseille le 23 Juillet, embarquement pour Bastia le 24.
On a choisi l'option voiture pour trimballer le bateau gonflable, le crocodile et les palmes et surtout pour pouvoir faire une halte en Toscane au retour où Magali, Henri et les enfants sont installés pour les vacances !
On passera des moments incroyables. L'île de beauté n'a rien perdu depuis notre dernier voyage là-bas ; la région est toujours magnifique.
J'ai finalement déjoué les tatouages de la radiothérapie. J'ai massivement investi dans des pansements waterproofs que je prenais soin de mettre sur chaque marque. Et inlassablement entre chaque baignade, je retirais les 7 pansements et je vérifiais que les marques étaient toujours visibles. Encore un pied de nez à la maladie : j'avais de la ressource !
Mais elle m'a vite rattrapée...bien décidée à ce que je ne l'oublie pas trop vite ! Le vendredi 26 juillet, nous étions installés depuis deux jours, je découvre à nouveau une petite boule sous mon aisselle. Je suis pris dans un tourbillon de panique. Je commence à imaginer de nouveau le pire. Depuis la découverte de la tumeur cérébrale de ma mère, je doute des traitements, je doute de l'efficacité de la chimio. Alors que je n'ai fait qu'une partie du chemin, je suis alors persuadée d'entamer une récidive. Je contacte tout suite l'oncologue qui me conseille de passer une échographie sur place. Pour essayer d'être fixée.
Perdus dans un village sur la côte Est, à hauteur de Folelli, j'ai la chance de trouver un rendez-vous pour le lundi. Mais rongée par l'inquiétude, ces deux jours me paraissent interminables. Je prends sur moi pour rester confiante, ne pas plomber ce début de vacances et dès que je peux, je pleure en silence. J'ai peur de ne pas avoir le courage d'affronter une autre mauvaise nouvelle.
L'échographe est plutôt rassurante même si son matériel date un peu et qu'on n'arrive pas à avoir des résultats très exploitables. Elle penche néanmoins pour une incidence cicatricielle, liée à des remaniements post-thérapeutiques de l'opération. J'envoie les résultats à l'oncologue et au radiothérapeute qui se veulent également rassurants mais qui, par prudence, planifient une nouvelle échographie à mon retour à Paris le 6 août.
Je reprends le cours de nos vacances de manière plus apaisée même si mon esprit reste en hyper vigilance. Encore une ambivalence à gérer, coincée entre la peur d'un côté et l'envie de relâchement de l'autre, difficile de profiter pleinement de ce voyage. A nouveau le sentiment d'une insouciance qui ne reviendra jamais...
Sur le chemin du retour, arrivés à Lyon, je reprends le train direction l'hôpital. Vincent et les enfants filent à Périgueux.
Le 6 aout, l'examen est réalisé par une échographe de l'hôpital, elle est formelle : aucune lésion cancéreuse. Le premier diagnostic est confirmé. Un immense soulagement !
De retour chez moi, l'appartement me semble bien vide, personne avec qui partager la bonne nouvelle. Je trinque seule en cette date d'anniversaire.
La séance de radiothérapie, initialement planifiée ce même jour est annulée. Une panne de machine. On m'avait prévenue que c'était courant, que les traitements étaient souvent interrompus pour ces raisons. Je n'imaginais pas que ça arriverait si vite. Décidément, j'aurais préféré rester un jour de plus avec Vincent et les enfants. Chaque jour, chaque petit bonheur compte. Le temps prend une tout autre dimension avec la maladie.
Le lendemain, le mercredi 7 aout, j'enchaîne donc avec la première séance de radiothérapie. Je ne suis pas peu fière d'avoir réussi à me baigner pendant toutes les vacances tout en préservant les marques. Mais je me garde bien de m'en vanter...ils n'ont pas trop d'humour sur le sujet !
La première séance est dédiée aux réglages. Les manipulateurs me positionnent sur la table et vérifient les repères pris entre mon corps et les rayons émis par la machine. Ils définissent une position qu'il faudra maintenir tout au long de la séance et répéter au cours des prochaines.
En savoir + sur le déroulé d'une séance ici.
Le traitement n'est ni douloureux, ni stressant. C'est même plutôt rapide. Par contre c'est un investissement lourd en temps et il faut parfois s'armer de patience entre les trajets et les longues périodes passées en salles d'attente...pour seulement 15 min de séances. Mais peu importe, seule la guérison compte, quoi qu'il en coûte.
Et ce qu'il en coûte, c'est de l'énergie. Ce sont des traitements particulièrement éprouvants en termes de fatigue. D'abord parce que, si l'action des rayons n'est pas visible, l'activité cellulaire est en pleine ébullition et le corps est mis à mal. Ensuite, comme on ne ressent pas directement d'effets secondaires, on en profite pour reprendre une activité "plus normale". Pour ma part, j'ai recommencé à aller plus régulièrement au bureau, j'ai multiplié les allers/retours à la campagne...et je me suis vite retrouvée complètement épuisée. L'enchaînement des traitements des derniers mois, cumulés à la récurrence des séances de radiothérapie, ont fini de m'exténuer.
Le 8 août, pas de séance de radiothérapie. La machine est en maintenance. Apparemment elle en avait besoin !
Je ne suis pas pour autant dispensée d'une visite à l'hôpital. J'ai rendez-vous aujourd'hui avec l'onco-généticienne, pour les résultats des recherches réalisées en janvier.
J'y vais très sereine, simple formalité. Il n'y a jamais eu de cancer du sein dans la famille. Je suis loin d'imaginer ce qu'il m'attend.
Très rapidement, elle m'annonce que je suis porteuse du gène BRCA 1, un gène prédisposant au cancer du sein. "Vous savez le gène d'Angelina Jolie ?". Non, je ne sais pas. Qu'est-ce qu'elle vient faire dans la discussion celle là? De quoi me parle-t-on? Je tombe des nues, une fois de plus. Je m'aperçois que je ne m'étais pas préparée à cette possibilité et que je suis en terre inconnue sur le sujet. Mes premières pensées sont pour mes enfants, et surtout Charlotte. Il y a 50% de risque que le gène leur été transmis. Je pense qu'il n'y a rien de plus culpabilisant pour un parent que de se sentir responsable d'un tel héritage. "Tu n'y es pour rien": paroles réconfortantes de l'entourage mais néanmoins insuffisantes. On a beau dire, on voudrait toujours que nos enfants soient épargnés. On ne peut s'empêcher de se sentir responsables. Cette angoisse prend alors toute la place et je voudrais pouvoir l'évacuer au plus vite. En tout cas être fixée. Mais pour ça, j'apprends qu'il va falloir que je prenne mon mal en patience. La recherche génétique ne peut être demandée que par eux, à leur majorité. En première réaction, je trouve ça injuste et complètement déroutant. On va devoir vivre avec cette épée de Damoclès au-dessus de leur tête pendant encore de longues années. Après, je comprends le principe éthique et de droit individuel à l'information mais là, ça me paraît insoutenable.
Finalement, c'est le Professeur qui trouvera les mots pour m'apaiser à ce sujet. Ou du moins, calmer ma curiosité oppressante.
D'une part, les cas de cancers du sein avant 20 ans sont quasi inexistants et d'autre part, d'ici 18 ans, la recherche aura encore fait des progrès phénoménaux et les traitements n'auront plus rien à voir.
Alors certes, si on avait les résultats dès à présent, on aurait 50% de chance d'être soulagés par une bonne nouvelle. Mais dans le cas inverse, on serait condamnés à vivre très tôt dans l'angoisse de la maladie et dans l'impuissance de s'en prémunir. Rien de pire pour développer des pathologies liées à ce stress.
Quoi qu'il en soit, il n'y a rien qu'on puisse faire avant un bout de temps, à part soutenir la recherche pour que des progrès soient encore faits. Alors autant rester confiants et surtout leur donner confiance.
On se penche ensuite très vite sur les autres membres potentiellement impactés par cette nouvelle. La première dans le viseur, c'est Julie. Nouvelle angoisse. Elle est directement à risque. La première recommandation c'est un bilan complet écho/mammo puis une recherche génétique. L'idéal étant d'étendre la recherche à Bernard et Isa pour savoir quelle branche de la famille est concernée. L'oncogénéticienne recommande néanmoins que les tests soient généralisés à l'ensemble des filles de la famille. Le cœur lourd, je m'engage à faire circuler l'information au plus vite, même si ce n'est pas une démarche facile. Me voilà à devoir jouer l'oiseau de mauvais augure.
L'entretien continu mais mon esprit est ailleurs. Je ne sais pas comment l'annoncer à Jules. J'appréhende tellement sa réaction. Voilà déjà des mois qu'elle se dévoue intégralement auprès de ma mère. Elle a déjà tant d'inquiétudes à gérer ; je sais que je vais en rajouter une couche.
Je tergiverse. Elle m'interrompt par une cascade d'autres mauvaises nouvelles : ça serait bien de retirer le 2ème sein et les ovaires... "Mais quand vous dites ça serait bien, j'ai vraiment le choix ?" A vrai dire, pas vraiment. On a toujours le choix, mais compte tenu de la nature du cancer et de cette prédisposition, les risques sont trop élevés pour parler de choix.
Nouveau coup dur. Je suis tellement fatiguée d'encaisser ce genre de nouvelles. L'idée de perdre le 2ème sein n'avait jamais vraiment pris place. C'était une éventualité peu concrète. Cette fois, j'étais face à une réalité qu'il allait falloir encore affronter. Je n'avais pas encore fait le deuil de la possibilité d'avoir un 3ème enfant. Je comprenais maintenant que si une autre grossesse était encore envisageable, je serais privée des doux moments de l'allaitement. Or je n'ai jamais pu dissocier les deux, tellement l'allaitement s'inscrivait dans le prolongement de la grossesse.
La deuxième nouvelle à digérer c'était le retrait des ovaires. "N'y pensez pas maintenant, on a le temps. Pas avant 40 ans." Je tique un peu, 5 ans, c'est demain. Et je réalise alors ce qu'implique une ménopause à 40 ans. Coup de vieux. Il y a une énorme différence entre être ponctuellement ménopausée par les traitements et une ménopause définitive. Je me vois déjà grosse et fripée dans un temps beaucoup plus court que ce que je m'étais imaginée. Gloups. Je sors de l'entretien sonnée. Je me revois, dehors, à errer dans le parc de la Pitié. Petit moral.
A partir du jour où on m'a annoncé que j'avais un cancer, je n'ai cessé de m'interroger sur les raisons et les causes de ce cancer. Pourquoi moi ? Pourquoi maintenant ? Persuadée d'être à l'origine de cette maladie, j'ai cherché en moi ce qui pouvait "clocher" pour en arriver là. On dit souvent que le cancer est en nous et qu'en fonction des gens, il se déclenche ou pas. En vérité c'est un peu plus complexe que ça. Et si on sait que l'aspect émotionnel ou le stress sont des facteurs d'influences importants, d'autres facteurs externes pèsent tout autant dans la balance. Et malheureusement aujourd'hui nous sommes toujours incapables d'incriminer une seule cause. Ce qui rend l'acceptation de la maladie encore plus difficile.
Après avoir longtemps pensé que j'avais un rôle à jouer dans la guérison de ma mère, j'ai ensuite creusé du côté de mes émotions, de mes relations aux autres, de mon environnement de travail, de vie... Toujours en quête de sens.
Aujourd'hui, on me donnait une nouvelle version. Un facteur génétique. Je ne savais pas comment intégrer cette nouvelle donnée à l'équation. Si le gène venait de mes parents, ça me dédouanait d'une certaine responsabilité ? Et si la mutation avait eu lieu à mon niveau ? Est-ce que ça signifiait que j'avais bel et bien déclenché ce tsunami ? Et puis j'ai en eu marre de m'accabler de culpabilité, fatiguée de m'observer d'un œil réprobateur. Entretenir cette culpabilité était tout aussi nocif que ce cancer.
J'ai alors commencé à accepter l'idée que je ne saurais jamais d'où ça pouvait réellement venir. Mais que par contre, cette épreuve m'aura permis de toucher une fragilité précieuse. Si j'ai perdu une insouciance et une légèreté face à la vie, j'ai gagné quelques années de sagesse. Aujourd'hui, j'ai l'impression d'être détentrice d'un secret inestimable. Telle une privilégiée à qui on offre une seconde chance. Et cette chance, je n'ai plus envie de la gâcher ou de la gaspiller. Ça fait un peu de tri, ça remet un peu d'ordre. En tout cas, ça fait voir la vie différemment, avec beaucoup plus de sérénité.
Les séances de radiothérapies se sont enchainées tout le mois d'août. Les enfants naviguaient entre Périgueux, le Perche et St Malo.
Ma mère était enfin sortie de l'hôpital, elle était de plus en plus fatiguée mais la tumeur s'était en partie résorbée sous l'effet des rayons. Elle avait un peu moins mal à la tête et surtout elle n'avait plus de trouble neurologique. En revanche, elle avait des espèces d'abcès sur le crâne. A ce moment-là, on imaginait naïvement des réactions cutanées, des effets secondaires liés à la radiothérapie. On n'apprendra que plus tard qu'il s'agissait également de tumeurs qui se développaient, alors que dans le même temps la tumeur au cerveau diminuait. Comme si la maladie échappait à tout contrôle, totalement immaîtrisable...
On hésitait donc à laisser les enfants à St Malo, partagés entre l'idée que leurs présences lui fassent du bien et la fatigue que ça pourrait engendrer. Finalement, ils resteront une petite semaine. De ces jours-là, il me reste le souvenir d'Isa lisant des histoires à Charlotte. Blottie contre sa grand-mère sur le canapé du jardin, Charlotte faisait preuve d'une douceur inhabituelle. A deux ans, elle débordait d'énergie. Mais les enfants avaient perçu sa fragilité et interagissaient avec elle avec délicatesse.
Depuis le mois de mai, Bernard et Isa avaient accueilli Pearl, une petite bulldog français, âgée maintenant de 6 mois. A l'instar des enfants, la petite boule de poil se mettait au rythme d'Isa, malgré son jeune âge. Un puit d'amour qui lui faisait du bien.
Contraints de rester à Paris pour la radiothérapie, on profita de ce temps sans enfants pour faire quelques travaux dans l'appartement. On refera cet été là la salle de bain. Des travaux qui me laisseront un goût amer, fatiguée par les traitements, préoccupée par l'état de ma mère, on ne peut pas dire que j'avais le cœur à l'ouvrage. J'étais à la fois partagée entre l'envie de continuer à construire des choses, d'avoir des projets et le sentiment que ces considérations matérielles étaient des plus futiles. Difficile de trouver un sens à tout ça dans ces circonstances.
Le temps de la rentrée était revenu, toujours rythmé par les séances quotidiennes de radiothérapie tôt le matin, puis le travail. Une accumulation de petits impératifs qui viennent progressivement se rajouter à la fatigue générale.
Le 4 septembre, ma mère revoit son oncologue. A la clinique où elle est prise en charge, son oncologue de référence était absent au moment du diagnostic de la tumeur cérébrale. Son confère avait donc pris seul la décision d’une radiothérapie courte et intense. A son retour, son médecin avait fait peu d’efforts pour cacher son scepticisme. Un nouveau TEP-SCAN était prévu pour évaluer la rémission de la tumeur à l’œsophage et devrait également permettre de mettre en place la suite des traitements pour la tumeur cérébrale.
Il évalua également les abcès sur le cuir chevelu sans donner véritablement de diagnostic ni de traitement. Il renvoya la balle à un de ses confères dermatologue.
Le 10 septembre, Bernard prend contact par téléphone avec le dermatologue et lui envoie directement des clichés du cuir chevelu d'Isa et les principaux éléments de son dossier médical. Tard dans la soirée, ce médecin, qu’on ne connaissait pas, pris le temps de rappeler mon père et d’échanger longuement au téléphone avec lui. Il était malheureusement sans équivoque : ces abcès étaient vraisemblablement des métastases. Il préconisa une biopsie afin de confirmer le diagnostic. Nous étions atterrés. Comment les autres médecins et oncologues avaient pu passer à côté de ça ? On était passé d’un supposé effet secondaire de la radiothérapie à une propagation de la maladie.
Il est vrai qu'en matière d'oncologie, on est loin d'avoir affaire à une science exacte. On a l'impression que le corps médical apprend continuellement de la recherche, de ses patients. Les types de tumeurs sont multiples, les protocoles aussi. Pour faire face à des difficultés de jugements, ils ont mis en place ces réunions de concertation pluridisciplinaires. Le plus dur pour un patient ce n'est pas tant de réaliser que son médecin ne sait pas, c'est de constater qu'il n'assume pas son ignorance. Dans le cas de ma mère, j'ai vécu ça comme une véritable indifférence, un dossier qu'on ne sait pas traiter et qu'on abandonne lâchement à son collègue.
On commençait à être à bout de nerf avec cette équipe.
On attendait maintenant fébrilement la suite des examens.
Le 13 septembre, nouveau TEP-SCAN pour Isa. Elle souffre de plus en plus de son cuir chevelu, les pansements ont du mal à contenir les saignements. Cet aller-retour à Rennes est une véritable épreuve pour elle. Elle doit s’allonger sur la table, son dos la fait souffrir. Elle ne pèse plus qu’une quarantaine de kilos et ne tient pratiquement plus sur ses jambes.
Le 14 septembre, Jules vient nous rendre visite à Paris, on assiste à une conférence au Grand Rex : "Se Guérir - découvrez les clés pour libérer vos forces du guérison". Au programme, des questions existentielles qui alimentent nos réflexions depuis ces derniers mois : Peut-on guérir par la pensée ? Et si tout se jouait dans l’intestin ? Quels sont les secrets des médecines indigènes ? Le vieillissement cellulaire est-il réversible ? Nos émotions peuvent-elle influencer notre biologie ? La maladie a-t-elle un sens ? Le jeûne est-il la réponse ultime ? Peut-on déjouer un pronostic médical ? Que nous apprennent les rémissions spontanées ? Médecines chinoise, ayurvédique, tibétaine, que nous révèlent ces thérapies millénaires ?
Au fil de la journée, des conférenciers, médecins, scientifiques, patients, écrivains se sont relayés autour de cette thématique, forts d'arguments et d'exemples, le plus souvent convaincants. On a également pu expérimenter un gong bath géant ainsi qu'une séance de Mantra Thérapie dirigée par Sofia Stril-Rever, biographe du Dalai Lama.
Autour de nous, je suis surprise de voir un public aussi nombreux et hétéroclite, que ce soit en termes d'âges ou de classes sociales. Mais après tout pourquoi en serait-il autrement ? La maladie touche tout le monde, et à tout âge. Durant mon parcours de soin, j'ai trop souvent été confrontée à des allopathes chevronnés, pour qui la dimension psychologique, émotive n'étaient pas ou peu prise en compte. J'ai souvent regretté des prises de positions peu ouvertes sur des médecines dites "naturelles" ou "de compléments". Heureuse de voir que les mentalités semblent pour autant évoluer, que les gens s'intéressent à d'autres façons d'aborder la guérison.
Mais ce que je retiendrai le plus de cette journée, c'est ce moment partagé avec ma sœur, unies par la force qui nous relie, par nos inquiétudes quant à ma mère. Sa présence me fait du bien, m'apaise. A ce moment-là, Isa souffre de plus en plus d'abcès à la tête, elle est extrêmement fatiguée et semble ne plus avoir la force d'y croire.
Mais y a-t-elle un jour vraiment cru ? J'ai souvent eu le sentiment qu'elle s'était d'emblée sentie condamnée. A Noël, juste après l'annonce, elle m'avait dit que ce serait probablement le dernier. J'ai toute suite mis cette phrase sur son penchant à dramatiser les choses. Impossible pour moi d'entrevoir cette possibilité. D'abord car je suis intimement convaincue que ce genre de pensées négatives, cette absence de foi en sa propre guérison nous entraînent vers une condamnation inéluctable. Ensuite car étant moi-même malade, je ne voulais pas laisser cette pensée m'envahir. Et enfin car cette vérité me faisait bien trop peur pour y face. Il y a parfois des œillères qu’on prend bien soin garder en place.
Aujourd’hui, cette question continue toujours de me hanter : finalement est-ce qu'au fond d'elle, elle savait ? Julie a eu plus de courage que moi pour aborder cette question avec elle. Elle a eu cette force d’affronter cette vérité, d’y faire face.
Nous étions en route pour la conférence, nous descendions à pied le faubourg poissonnière. Arrivées au croisement avec la rue de Maubeuge, nous étions en pleine discussion sur l’état de notre mère. J’ai pris conscience à ce moment précis que ma sœur était très pessimiste et qu’elle envisageait qu’elle puisse mourir. Et cette pensée s’imprima profondément en moi, comme une éventualité qu’il fallait désormais intégrer, pour de vrai. Mais je ne voulais laisser aucune place à cette idée.
Cette journée me donna la force et les arguments pour retrouver un peu d’espoir, me raccrocher à tous ces témoignages pour pouvoir continuer. J’aurais tant voulu lui donner la force d’y croire…
Quand on est atteint d’un cancer, on te parle toujours de « ton combat contre la maladie », ponctué de « tu es forte », « tu vas te battre ». Personnellement, je trouve toutes ces formules empruntées très exigeantes envers le malade. Ce sont des expressions lourdes de sens qui sous-entendent que certains malades seraient moins « forts » que d’autres, comme une sorte de hiérarchisation des patients. Comme si toute la responsabilité de sa guérison lui incombait. Faudrait-il alors culpabiliser les jours où on a un coup de mou ? Se cacher de sa fatigue ? Faire bonne figure pour répondre à ces attentes ? Que penser alors quand les malades ne guérissent pas ? Qu’ils ont été moins forts que les autres ? Moins combattants ?
Il ne faut pas confondre « la force » et « l’envie d’aller mieux ». C’est l’envie qui nous donne la force de prendre soin de soi. L’envie de se sentir bien, d’être avec ses proches, de continuer à faire des projets, de vivre…Et c’est en ça que le mental est primordial et joue un rôle fondamental dans la guérison.
Mais pour moi, se soigner ne nécessite pas de force spécifique. On ne se bat pas contre quelque chose, on ne rentre pas en guerre avec son corps. Ce sont les médicaments qui mènent le combat. Et le corps en subit toutes les conséquences, les effets secondaires. Ce qu’on fait, c’est être bienveillant envers son corps pour l’aider à supporter ces traitements.
Et parfois cette bienveillance ne suffit plus, le corps est trop fatigué pour continuer d'endurer les dommages collatéraux.
Je finis la radiothérapie le 17 septembre. Ce jour marquera la fin des traitements « lourds » avant de laisser place à l’hormonothérapie.
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Un moment que j’ai souvent imaginé comme libérateur et apaisant. Je m’attendais une délivrance profonde et un retour à une vie « plus normale ». J’espérais un éloignement salvateur de l’hôpital. Je projetais pour l’occasion un circuit à vélo dans le Luberon. Un voyage pour renouer avec moi-même avant de reprendre le cours plus habituel de ma vie.
Ma rémission prenait un goût amer. Difficile de se sentir libérée tant j'étais accablée par les nouvelles pessimistes de ma mère. Quand je pense à ce moment, il me vient l’image de ce livre pour enfant la « couleur des émotions ». Toutes ces couleurs emmêlées représentant chacune une émotion, mélangées, sans dessus-dessous…
A ce moment-là, ma mère semble faire face à un profond épuisement. On n’arrive plus du tout à soulager ses douleurs, à soigner son cuir chevelu.
Complètement démunis par son état, on décide de la faire hospitaliser le 18 septembre. Les relations avec l’équipe médicale de la clinique sont tendues, la confiance est rompue depuis les derniers événements. Et cette fois, ils vont trop loin, ils ne veulent pas la prendre en charge. Bernard fait transférer immédiatement son dossier à l’hôpital de Saint Malo, où elle sera directement prise en charge dans le service d’oncologie.
Depuis que j'ai commencé à retracer nos deux parcours croisés, je suis troublée par la coïncidence des dates. Il y a quelques mois, on lui annonçait une rémission, le jour où j'étais hospitalisée. Aujourd'hui, c'était l'inverse. Pris dans le tourbillon des événements, je n'avais pas remarqué à quel point les événements étaient rapprochés. Même sur une période aussi courte, on aurait pu imaginer que quelques jours ou quelques semaines puissent séparer des étapes importantes de nos histoires. Mais au lieu de ça, les jours se succédaient en cascades d'événements marquants...
Le lendemain de son hospitalisation, le 19 septembre, je sortais d'un rendez-vous chez la psychologue à l'hôpital. A la hauteur du parking près de l'entrée, mon téléphone sonne. Bernard. J'attendais des nouvelles d'Isa. Il est à l'hôpital, les nouvelles sont très mauvaises. Les médecins viennent d'annoncer à Isa que c'était la fin. Aucune issue possible.
Tout s'écroule autour de moi, même mes jambes n'arrivent plus à me porter. Je suis assise, par terre, en larme, le souffle coupé. Je n'ai retenu que des bribes de cette conversation. Seule la puissance des émotions persistent.
Je raccroche. Quelques minutes plus tard, j'appelle Vincent. Je dois aller chercher Tymeo. Je ne sais pas comment je vais pouvoir faire face à lui. Comment je vais lui annoncer la nouvelle. Vincent m'attendra à la sortie du métro et nous irons ensemble le chercher à l'école. Plus que jamais il m'aide encore une fois à faire face, tel un pilier. Il trouve les mots, m'apaise, m'aide à garder mon calme et mon sang froid. Mais c'est le cœur lourd et serré que je contiens toute ma tristesse.
On arrive alors à hauteur de l'appartement. Mon père me rappelle. Le ton de sa voix a changé. Il a retrouvé une pointe de de joie et de légèreté. Isa a mal compris le médecin, elle va suivre une nouvelle série de chimio. Son état est certes très grave mais rien d'irrémédiable.
Je comprends alors tout le sens de l'expression "ascenseur émotionnel". Tout d'un coup, le poids qui pesait sur ma poitrine s'est allégé. J'ai retrouvé de l'air et de l'apaisement. Mais j'étais aussi en colère. Comment pouvait-elle nous infliger ça ? Isa a toujours fait preuve d'une grande dramaturgie et d'une exacerbation de choses. Pouvait-elle aller aussi loin dans le fantasque ? J'ai râlé, elle s'est excusée. A la fois j'étais trop heureuse pour lui en vouloir. Je regrette maintenant d'avoir pu ressentir cette colère. Mais à ce moment-là, sa perte me paraissait trop inconcevable. Ma colère nous maintenait dans des relations de "vivantes", et me permettait encore une fois de me défiler. Avec le recul, je pense que le médecin avait peut-être amorcé une prise de conscience. Le processus d'acceptation est lent et propre à chacun. On n'était peut-être simplement pas encore prêt pour y faire face.
Le samedi 21 au matin on sautait tous les quatre dans un train. Direction l'hôpital. Ma mère était encore plus affaiblie, d'une maigreur extrême. Un bandage sur la tête, elle continuait de sourire et d'être belle. Ce qui me rassure c'est qu'elle râle, qu'elle se plaigne de ses voisins de chambres. Elle continue de déconner et de nous raconter des bêtises.
Vincent et Tymeo repartent le lendemain soir. On reste quelques jours de plus avec Charlotte. On lui rend visite tous les après-midis. Charlotte joue dans le lit à côté d'elle en mangeant les petits beurres offerts par les infirmières.
Je dois rentrer le 24 septembre pour un nouveau rendez-vous à l'hôpital. La veille de mon retour, les infirmières me proposent de rester dormir avec elle. Un privilège que je m'empresse d'accepter tellement il est difficile pour moi de devoir rentrer.
La nuit aura été agitée. Les douleurs sont difficiles à supporter. Je tente de la réinstaller pour la soulager.
Le lendemain matin, à l'heure des soins, je quitte la chambre et retrouve l'une des médecins qui s'occupe de ma mère. Je suis déterminée à comprendre ce qu'il se passe.
Ce matin-là, cette petite brunette à peine plus âgée que moi me souffle des vérités à demi-mots. Elle attend. Elle attend la question qui fâche. La question qu’elle préfèrerait éviter. Je l’imagine croiser les doigts pour que ma peur prenne le dessus. Pour que je me cache derrière mes émotions. Mais je suis prête. Je fais face à tant de chose depuis ces derniers mois. J’ai une force à toute épreuve quand il s’agit d’affronter des mauvaises nouvelles. Et surtout la vérité m’aide à y voir clair.
Comment annonce-t-on à quelqu’un que sa mère va mourir ? Y a-t-il des mots qui font moins mal que d’autres ?
J’imagine que non.
Alors je la pose cette question délicate. Le bout de ses chaussures n’est pas assez long, elle va devoir relever la tête et faire face elle aussi. Ce n’est pas la première fois. C’est son quotidien. Mais ça n’empêche pas les mots de nous glacer le sang à toutes les deux.
De sa réponse, je n’ai retenu que des bribes : « se préparer au pire », « peu de chance d’une issue soit positive », « l’important c’est qu’elle ne souffre pas »,…
Je l’interromps : « combien de temps ?» Pendant les quelques semaines qui ont suivi, chaque jour se reposait cette même question : combien de temps nous reste-t-il ? aujourd’hui est-il le dernier jour ? Personne n’a de réponse. Mais en quoi cela a-t-il de l’importance ? Est-ce que si on savait précisément les choses, est-ce qu’on les vivrait différemment ? A cet instant chaque minute, chaque seconde compte. Et à la fois, c’est comme si d’avoir conscience de cette fin imminente nous empêchait de profiter de ces instants. Le cœur est trop lourd, trop triste, trop angoissé.
Je lui demande ensuite si elle le sait, si quelqu’un lui a dit. Elle m’explique d’un discours bien ficelé tout droit sorti d’un manuel scolaire qu’elle doit faire le cheminement seule. Qu’ils ne lui diront que si elle pose la question. Et si elle ne posait jamais la question ? Très souvent mettre des mots, c’est rendre les choses réelles. A-t-elle vraiment envie de faire face à ça?
J’ai été tellement sonnée, que je n’ai plus de souvenir précis de ce qui a suivi.
J’ai attendu Bernard. Je ne savais pas quoi dire. Est-ce qu’il avait eu également cette discussion avec un médecin ? Comment aborder le sujet avec lui ? J’ai fait dans le même registre que la médecin : lâche et fuyante.
J’ai posé des questions, tendu des perches et fini par évoqué cette possibilité. De son côté, il avait rencontré un autre médecin beaucoup plus optimiste. Selon lui, tout espoir était permis. Il avait même parlé de la transférer dans un établissement de soin palliatif où elle pourrait suivre ses traitements avec les meilleurs soins. Et non soin palliatif, ne rime pas avec fin de vie. De nombreuses personnes rentraient chez eux après un séjour là-bas. Il l’avait vu la veille. L’état d’Isa n’était pas singulièrement différent pour avoir un autre diagnostic. J’avais envie d’y croire mais peut-être ne cherchait-il qu’à me rassurer et m’offrir un peu de temps ?
Je me souviens d’être rentrée à la maison. D’avoir serré Charlotte tellement fort, comme pour étouffer ma tristesse.
Quelles nouvelles donner à Jules ? Les mêmes qu’à Bernard.
Je n’arrivais pas à me résigner à rentrer. J’avais le sentiment de l’abandonner. Si la vie s’arrête pour certains, elle continue de grouiller pour les autres. Mes deux loulous avaient besoin de moi, j’avais encore des rendez-vous réguliers à l’hôpital. Il fallait continuer à avancer dans cette douloureuse épreuve.
Le 26 septembre, j’étais de nouveau en route pour retrouver Isa. La veille, Philippe, son frère avait fait le trajet de Liège pour la voir.
Je la retrouvais souriante et heureuse d’être avec lui. Loquace et d’humeur pétillante, elle se voulait rassurante. Depuis ma dernière visite, Bernard avait élu domicile à l’hôpital. Les infirmières et les aides-soignantes prenaient autant soin de lui que de ma mère. Ça me faisait du bien de les savoir ensemble, de ne perdre aucune miette !
Le lendemain, le 29 Septembre, ce sont sa sœur et ses nièces qui ont débarqué. Pour elles aussi le choc a été violent. Elles ont réalisé en la voyant que peu d’espoir étaient permis. La puissance des émotions crée parfois des cocktails explosifs ! Passant des larmes aux rires, j’ai un souvenir singulier de ces deux jours. On s’est relayées auprès d’Isa en veillant à ne pas trop la fatiguer. On a alterné grosses rigolades et crises de larmes. On s’est étreintes. On a picolé. On s’est offert de l’amour et de la légèreté. Essentiels pour traverser la tempête !
Le 30 Septembre, je suis repartie en même temps qu’elles. J’ai promis à Isa de revenir le plus vite possible. Pendant ces deux jours, j’avais dû « partager » ma maman. J’avais hâte d’avoir des moments à nous.
J’ai tenu parole et j’étais de retour le 2 octobre. Entre temps Eve, la sœur de Bernard était arrivée. Nos journées étaient rythmées par les horaires de visites à l’hôpital. Son état déclinait, elle avait de plus en plus de difficultés à parler. Chaque jour, notre seul objectif était de lui apporter du confort, du soin, de la soulager. Quand la parole est devenue à tel point difficile, les autres sens ont pris le relais de la communication. On chantait, on écoutait de la musique, on la massait, on lui faisait les ongles… On était à l’affût de chaque réaction : le moindre sourire, le moindre haussement de sourcil, le moindre frissonnement… On scrutait ces indices pour mesurer les effets de nos interactions. Dans son silence, elle était extrêmement expressive.
La pudeur m’a empêché de parler de ce qui était en train de lui arriver. Mille fois les mots sont restés bloqués au fond de ma gorge, paralysés par la peur. « Si je n’en parle pas, ça n’arrivera pas… ». Construction mentale enfantine, irrationnelle. Aujourd’hui, je regrette amèrement de ne pas avoir eu le courage. Quel niveau de conscience avait-elle de la situation ? Aurait-elle voulu en parler ? Est-ce qu’il était trop tard au moment où elle a réalisé ? Était-elle prisonnière de ce corps sans pouvoir s’exprimer ? C’est grâce à l’hypnose, quelques mois plus tard que je suis enfin parvenue à mettre des mots, à lui parler et à me libérer de ce poids.
Vincent me rejoindra le 6 octobre, c'est bon de le sentir près de moi. On rentrera ensemble à Paris le 7 octobre. Anita est restée avec les enfants.
Je reviens dès le 8 octobre. Son état ne fait qu’empirer. Elle commence à faire des œdèmes. Colette et Gilles viennent aussi lui rendre visite. Les gens qui l’aiment se relayent à son chevet, je suis heureuse qu’elle ait cette présence. Un jour de colère elle m’avait dit « tu verras, de toute façon on crève seul », je suis heureuse de l’avoir contredit encore dernière une fois.
Le vendredi 10 octobre, c’est la fête à l’école de Tymeo. Je refais un aller-retour à Paris. Je veux l’accompagner, continuer d’être présente pour eux.
La respiration d’Isa se fait de plus en plus difficile. On se raccroche au moindre signe positif : une bonne nuit, un sourire, plusieurs heures sans tousser…Mais l’espoir nous a quitté.
Le dimanche 13 octobre, j’avais prévu d’arriver par le train de 13h. Bernard m’envoie un message à 6h pour me dire qu’elle risque de partir aujourd’hui. Je saute dans le train de 7h et j’arrive à 10h30.
Elle s’est finalement éteinte un peu après 13h, auprès de nous trois.
Il n’y a pas de mots pour décrire ces moments.
Sa cérémonie aura lieu le 17 octobre. Encore une bien étrange coïncidence de date. Le 16 octobre étant mon anniversaire, on a demandé aux pompes funèbres d’éviter cette date. C’en était trop moi.
J’ouvre à nouveau une parenthèse sur cette histoire de date. Voilà plusieurs mois que j’ai entamé cette écriture et nous sommes aujourd’hui le 12 août, le jour de son anniversaire. Je suis extrêmement troublée d’en être là dans mon récit. Je ne crois plus aux coïncidences.
J’ai un très beau souvenir de cette journée. Nous étions très nombreux, il faisait beau. Après une cérémonie très émouvante, nous avons passé l’après-midi sur la plage, entourés de tous les gens qu’on aime. Les gens étaient heureux de se revoir, de se rencontrer autour d’elle. Le soir nous sommes allés manger une crêpe dans un restaurant qu’elle aimait. Je suis certaine que de là où elle était, elle souriait. C’est exactement le genre de journée qui la rendait heureuse.
Peu de temps après, le samedi 02 novembre, nous sommes partis en mer avec la SNSM. La météo n’était pas très bonne, Charlotte n’était pas très rassurée. On a donc choisi de faire cap vers le rocher de Bizeux, où s’érige la statue de la vierge « Notre Dame de Bizeux ».
Quand les cornes de brumes ont retenti, on dispersait les cendres et on jetait des bouquets à la mer. Le bateau a fait quelques tours autour du point de dispersion et nous lui avons fait un dernier au revoir.
Après ça, il a fallu rentrer. Reprendre le cours de sa vie.
A ce moment-là, il est difficile de donner du sens au chose. Mon quotidien avait pris une forme tellement singulière que je n'arrivais pas à me projeter dans mon ancienne vie. Toutes ces épreuves avaient fait de moi une personne différente mais mon entourage, lui, était resté le même. Peu à peu mes cheveux repoussaient, mes joues retrouvaient leurs rondeurs. Quand les gens me regardaient, ils retrouvaient physiquement la Cloé qu'ils connaissaient. Ils interagissaient avec moi comme avant, comme si tout ça n'était qu'un mauvais souvenir. Une parenthèse qu'on referme. Mais à l'intérieur de moi, c'était encore le chaos. Je n'avais aucune envie de reprendre les choses comme avant. Ces quelques mois m'ont appris à voir les choses différemment, à appréhender la vie d'une autre manière.
Je me sentais prisonnière d'une étiquette qu'on avait pu me coller avant d'être malade. On m'avait mise dans une case mais je n'y étais plus. Les gens ne comprenaient pas. Je me heurtais à des réactions auxquelles je n'adhérais plus, des relations dont je n'avais plus envie. Mon entourage proche avait vécu ces changements, pour les autres c'était plus compliqué.
Ensuite, on fait face à une autre étape, celle de rémission. Pour les médecins, vous n'êtes pas guérie mais en rémission. Pour l'entourage vous êtes guérie. Cet état de confusion démarre dès la repousse des cheveux. C'est comme si l'alopécie était le symptôme du cancer. Des cheveux = plus de symptôme = plus de cancer. CQFD.
Alors certes les traitements lourds sont terminés, mais on en a quand même pris pour 10 ans d'hormonothérapie, et surtout on ne sent pas du tout serein. L'angoisse de la récidive prend alors toute sa place. Jusque-là, on est tous les jours à l'hôpital, on voit régulièrement des médecins, on fait des analyses, on se traite. Bref, on est actif. Et là tout à coup, plus rien. On est face à soi-même, face à ses doutes, à ses peurs. Placé dans une attente. L'attente des prochains contrôles. L'attente du mot guérison, celui qui sort de la bouche des médecins.
Je crois que l'une des phrases les plus entendue à ce moment-là aura été : "alors ça va ? c'est terminé ? tu dois être soulagée ?". Comment répondre à ça ? "Et bien non pas du tout car je ne suis pas tirée d'affaire. Seul le temps permettra de venir confirmer que les traitements ont été efficaces. En attendant je suis morte de trouille". Le politiquement correct nous en empêche. La question est posée soit par politesse soit par le besoin intime de se rassurer. Alors dans la majorité des cas, je joue le jeu de la diplomatie. Je rassure les gens alors que j'aurais cruellement besoin que ce soit le contraire. Avec les plus intimes, je m'aventure à plus de détails, à plus d'honnêteté. Mais même là, je sens bien que ce n'est pas la réponse attendue, ou du moins souhaitée.
Le 19 décembre, un an jour pour jour après les premières imageries, les dates continuaient de se jouer de moi. Le temps des premiers contrôles post-traitement était venu et j'étais attendue à la Pitié pour la classique série de test : écho/mamo/IRM.
Longtemps je me suis crue sereine et en totale maîtrise de mon stress. J'avais passé la journée au bureau à travailler. J'étais simplement partie plus tôt pour me rendre au rendez-vous en fin d'après-midi.
A ce moment-là, nous étions en pleine crise de gilets jaunes, les transports parisiens étaient paralysés. Dehors, il faisait froid mais le trajet en vélo et les palpitations naissantes à l'approche des examens me tenaient chaud.
L'écho et la mamo sont passées comme de simples formalités. Bizarrement, je n'avais confiance qu'en l'IRM. En réalité, j'aurais été encore plus rassurée avec un TEP SCAN. Depuis l'instant où nous avions découvert une tumeur au cerveau chez ma mère, la possibilité que des cellules cancéreuses aient pu migrer ailleurs dans mon corps me hantait. J'avais le sentiment que ces contrôles n'étaient pas la hauteur de mes préoccupations.
Pourtant je ne cours pas après les imageries, la nocivité des rayons lorsqu'ils sont utilisés à répétition m'angoissent. Mais la peur de la métastase est encore plus forte et me fait perdre toute notion de rationalité. A ce moment-là, le cerveau ne réclame qu'une chose : être rassuré.
Malgré tout, même si une petite once de doute persistait, j'ai vécu ces examens comme un immense soulagement. Je n'ai qu'un seul souvenir précis de ce moment : celui où deux femmes m'annoncent avec des voies enjouées et pétillantes que tout va bien. J'avais envie de les embrasser ! Elles ont mis autant de cœur dans cette joyeuse nouvelle que j'en ai eu à la recevoir.
Je suis ressortie aussi légère qu'une plume. Il faisait nuit. Le métro était toujours à l'arrêt. La station de Vélib était désespérément vide. Mais mes jambes fourmillaient d'impatience et d'excitation, prêtes à me faire traverser Paris tandis que j'appelai un à un, famille et amis, pour partager la nouvelle. C'est à ce moment-là que j'ai pris conscience du poids de l'anxiété qui m'habitait ces dernières semaines. Chez moi, le stress devient palpable dès lors qu'il a fait place au soulagement. Comme s'il se matérialisait par le contraste du bonheur qui lui succède.
Arrivée à République, je me suis engouffrée chez Rougier&Plé, une boutique de loisir créatif. Non contente de me réchauffée un peu les mains, j'étais déterminée à apprendre le tricot. Ma mère s'y était remise pendant ses traitements et elle avait laissé derrière elle des travaux inachevés. Je voulais prendre la suite. J'avais déjà récupéré de la laine et quelques aiguilles, je complétais l'attirail. Une manière d'être avec elle en ce jour particulier.
Arrivée boulevard magenta, peu avant la gare de l'Est, je trouvais enfin une trottinette avec un peu de batterie. Le plus gros était fait, il ne me restait plus très long à parcourir. Mais j'étais impatiente de rentrer embrasser Vincent et les enfants. Je grapillais ainsi quelques minutes.
C'est ainsi que la vie allait reprendre son cours ; au rythme des contrôles. Un enchaînement de périodes de stress et de grandes euphories.
Noël arrivait à grand pas. L'humeur n'était pas à la féérie cette année. Pour déjouer notre petit moral, nous avons pris la décision de passer les fêtes à la montagne. Direction Valmorel : Chalet et Noël blanc. Une bouffée d'oxygène qui nous a fait un bien fou. Toute la famille était réunie, de quoi réchauffer nos petits cœurs encore engourdis.
Si je n'ai jamais vraiment arrêté de travailler, mes apparitions au bureau n'étaient pas très régulières. Je travaillais surtout de chez moi. Officiellement j'étais toujours en arrêt, c'était donc un compromis qui fonctionnait bien. Mais il était temps pour moi de retrouver le chemin de la rue de Paradis et reprendre un rythme "normal".
La reprise commençait par un séminaire au Barn, un domaine situé dans la vallée de la Chevreuse, en plein dans la forêt de Rambouillet; un lieu superbe.
L'année 2020 commençait également par ma rencontre avec un chirurgien plasticien, spécialisé dans la reconstruction mammaire par DIEP qui m'avait été recommandé par l'onco-généticienne.
C'est un chirurgien connu pour avoir travaillé avec le professeur Lanteri, qui a développé en France la technique du DIEP.
Technique qui permet de reconstruire des seins après cancer sans prothèse en utilisant la peau et la graisse du ventre. Plus d'info ici.
Aujourd'hui il pratique toutes les techniques : prothèses, DIEP, grand dorsal,...
La Professeur qui suivait mon dossier à la Pitié m'avait conseillée de consulter un praticien capable de donner son avis sur différentes techniques. Certains chirurgiens n'utilisent qu'une seule technique et leurs préconisations peuvent être orientées en fonctions de leurs pratiques plutôt qu'en fonction des besoins de la patiente.
Je me souviens d'un rendez-vous assez épique. Il pratiquait à ce moment-là à l'hôpital Henri Mondor à Créteil. L'hôpital était en travaux, on s'entendait à peine. Il était sans cesse interrompu par des internes ou des infirmières, répondant avec calme et bonne humeur à tous les problèmes qui venaient à lui. Plus d'un aurait perdu patience. Au lieu de ça, il prenait le temps de rentrer dans le détail à chacune de mes ( nombreuses !) questions. On retraça tout mon parcours médical ensemble. Il prit le temps de m'écouter sur mes envies, mes doutes créant ainsi un climat de confiance. Le va et vient du service me plut. Un joyeux bazar où chacun faisait au mieux pour répondre aux besoins de l'autre, une sorte de bienveillance palpable entre les gens.
A la fin du rendez-vous, on avait élaboré un plan de reconstruction et définit un premier planning. Libre à moi de confirmer l'intervention si j'étais convaincue. Et je l'étais.
La vie reprenait doucement son cours, les rendez-vous à l'hôpital s'espaçaient.
La peur de la récidive par contre, elle, persistait.
Le sport comme remparts contre le cancer. Une des rares convictions dans cette maladie.
Je pouvais continuer les séances à l'hôpital mais j'éprouvais le besoin de m'en éloigner, de passer progressivement à une autre étape. Je me suis inscrite à l'escalade. J'en avais toujours eu envie. J'avais pratiqué occasionnellement autrefois mais jamais sérieusement.
A Paris, les sites sont limités. On pratique plutôt dans des salles de bloc ou alors il faut pousser jusqu'à Fontainebleau. Vertical Art venait d'ouvrir une salle à Pigalle, à 10 min de la maison. Parfait.
Très vite je me suis prise au jeu et très vite j'ai commencé à y aller une, deux, trois fois par semaine. A 8h30, après avoir déposé les enfants. Quand la salle est encore déserte et qu'on peut enchaîner les blocs... Parfois entre midi et deux ou le soir. De manière addictive et tant que les muscles de mon corps me le permettaient.
Quelques semaines plus tard, un événement inattendu arrivait progressivement en France. La COVID avait déjà mis en arrêt la Chine et d'autres pays comme l'Italie ou l'Espagne. C'était maintenant notre tour d'entrer en confinement strict. Grâce à quelques sources officieuses, nous avions eu l'information que le pays serait paralysé à compter du 17 mars. Quelques jours avant, nous avions pris nos dispositions et nous avions filé dans le Perche.
Les premiers jours ont été très déstabilisants. Après une année contrainte par les traitements, les rendez-vous, les effets secondaires, je retrouvais peu à peu le goût de la liberté. Alors que je commençais à retrouver mes marques, une activité physique, de l'énergie, j'avais l'impression qu'on venait me couper l'herbe sous le pied. Un élan stoppé net. L'arrivée de la pandémie me laissait désabusée.
Et cette restriction des libertés a été très marquée dès le début : interdiction de sortie sauf pour les achats non essentiels, télétravail dès lors que c'était possible, fermeture des écoles...
Dans mon cas, je savais que mon immunité n'était pas au plus haut. Sans vouloir céder à la psychose qui s'installait, je ne voulais pas prendre de risque. Côté maladie, j'avais assez donné. Cette fois, je passais mon tour.
Dans mon cas, la surveillance du cancer est planifiée environ tous les 4 mois avec un examen physique (palpations) et un bilan sanguin. Le bilan sanguin comprend un bilan d'hématologie (numération sanguine - en gros globules blancs/globules rouge/plaquette), un bilan de biochimie sanguine (glycémie, urée, créatine, sodium, potassium, calcium, chlore, phosphore, magnésium, glycérines,... ), un bilan sur les vitamines et enfin (surtout!) un suivi des marqueurs de cancers.
Dans le cas de cancer du seins, on suit principalement les Antigènes CA 15-3. Mon planning de surveillance comprend également des imageries une fois par an, adaptées aux personnes ayant une mutation génétique : écho des seins et des ovaires + mamo + IRM.
Les examens sont suivis par alternance par chaque médecin de l'équipe médicale qui me suit : Avril - Radiothérapeute, Juillet - Oncologue, Décembre - Chirurgienne.
Le 8 avril 2020, je réalise donc mon deuxième contrôle officiel. Le radiothérapeute a rajouté les marqueurs ACE. Il s'agit également de marqueur de cancer mais plutôt utilisés dans la surveillance du cancer du côlon.
On est toujours en plein confinement et je fais les contrôles dans un labo du perche. A la réception des résultats, je découvre un taux d'ACE au-dessus de la normal (8,2 ng/ml pour une valeur normative qui devrait être en dessous de 5ng/ml). Déjà anxieuse à l'approche de ce rendez-vous, ces résultats me font d'autant plus paniquer. Je multiplie les recherches sur le net. Rien d'éloquent. Ni rassurant, ni inquiétant. J'ai l'impression de mener une enquête, à l'affût du moindre indice qui pourrait faire pencher une hypothèse ou une autre. L'attente durera 6 jours... En 6 jours, vous avez le temps d'imaginer 100 fois votre mort, projeter des métastases dans 70 parties de votre corps, faire 4 fois votre testament et vous engueuler avec 15 personnes (par jour !). Depuis je rapproche au maximum le jour du prélèvement du jour de la consultation. Trop stressant.
Le 14 avril est enfin arrivé, l'avis du radiothérapeute n'est pas plus tranché que les 1500 avis lus sur les forums de cancéreux. Par contre, il ne tergiverse pas et agit au plus vite. Des marqueurs hauts ne signifient pas forcément la reprise d'une activité cancéreuse. En revanche, il faut en surveiller les variations. Pour l'heure, comme je n'avais pas de référentiel sur ces marqueurs, un examen approfondi était indiqué : rdv pour un TEP SCAN le jeudi 16.
Le trouillomètre continue de monter en flèche mais au moins on sera vite fixé. Encore une fois, en matière d'oncologie, il y a bien trop de cas spécifique que pour s'arrêter aux statistiques. Seuls les examens permettent d'y voir clair.
Encore deux nuits à passer avant l'examen, deux nuits agitées. Là encore, il y a un an, jour pour jour, ma mère passait également un TEP SCAN. Le TEP SCAN qui avait signé brièvement sa courte rémission. Je ne pouvais m'empêcher de penser à elle.
Fort heureusement, j'ai eu les résultats très vite. Le radiothérapeute m'appelait le lendemain, le vendredi 17 avril pour m'annoncer la bonne nouvelle. Tout était clean. Le soulagement était à la hauteur de mon stress de ces derniers jours : immensément intense. D'expérience, je savais qu'il ne fallait pas crier victoire trop tôt. Que je ne grapillais qu'un peu de répit. Mais ce répit était trop bon pour ne pas le savourer. Et il fallait profiter de cette accalmie avant l'attente des prochains contrôles.
Le confinement strict aura duré jusqu'au 11 mai, presque 2 mois. Le retour progressif à l'école aura lieu à ce moment-là mais seulement pour les élèves volontaires.
Toujours dans le souci de ne prendre aucun risque, on ne reviendra pas à Paris pour le moment.
Le 15 juin, le gouvernement annonçait la reprise obligatoire en présentiel des élèves. On n'avait plus le choix. D'un autre côté, le télétravail restait préconisé et il ne restait moins de trois semaines avant le début des vacances scolaires. On décida de faire des équipes : Vincent et Tymeo rentraient à Paris la semaine et Charlotte et moi restions à la campagne.
Cette étrange période, bien que difficile dans un premier temps, restera un très beau souvenir. Passé les premiers jours d'adaptations et de réglages, nous avions trouvé un équilibre dans notre petite bulle tous les quatre. Il fallait à la fois organiser le temps de travail de Tymeo, occuper Charlotte et accomplir nos boulots respectifs. On définissait des temps propres à chacun, des temps de collectivités... un nouvel équilibre. On s'inventait mille métiers en plus des nôtres : puéricultrices, enseignants, cuistots, auxquels se rajoutaient nos lubies du moment : peintres en bâtiments, pisciniers, jardiniers,... Les nuits étaient studieuses et les journées bien remplies. Les jours de la semaine et du week-end se mélangeaient un peu. On rattrapait des heures de boulot le dimanche matin. En semaine, on profitait de nos rondes de "temps de garde" des enfants pour entreprendre avec eux des petits travaux de bricolage. La maison n'avait jamais été aussi bien entretenue.
Le temps prenait une autre dimension. On continuait de travailler autant mais différemment. Le rapport aux choses, aux autres, à la nature prenait une nouvelle place. Commençait à se dessiner un nouveau monde auquel je n'étais pas prête de renoncer.
Le cancer avait déjà ébranlé tout ça. Mes convictions, mes priorités. Quand j'ai repris à travailler, je n'arrivais pas à concilier cette nouvelle façon de voir les choses et le rythme effréné de nos vies. Je ne voulais pas reprendre les choses "comme avant". Je ne pouvais pas. Je n'étais plus la même. Les perspectives avaient changé. Et c'est comme si cette pandémie venait renforcer cette position. Je réclamais une autre organisation. Travailler de 9h à 18h dans un bureau n'avait plus sens. Je voulais pouvoir m'organiser en fonction de la charge de travail et non rentrer dans des plannings vides de sens. Prendre du temps pour moi, pour ma famille. Travailler aux heures qui me semblaient les plus efficaces. Avant la COVID, jamais je n'aurais pu évoquer ça. On m'aurait targuer d'anarchiste, voire de fainéante. Je ne découvrais pas cette organisation. Je ne découvrais pas le télétravail. Voilà plus d'un an que je m'organisais comme ça. A un rythme ralenti, certes mais avec des habitudes qui étaient déjà bien ancrées en moi. La pandémie aura eu cette vertu. Montrer aux entreprises, au système, que cette nouvelle façon de travailler fonctionne. Que la productivité n'est pas réduite à 8h de présence par jour assis devant un bureau. Bien au contraire. Sans quoi, je pense que j'aurais changé d'orientation ou en tout cas de mode de travail.
Quelques jours avant la fin officielle du confinement, nos tours de vélo s'élargissaient progressivement. On dépassait souvent le kilomètre qui nous était autorisé. C'est comme ça que je fis la connaissance hautement improbable de Christian et Nelly, un couple d'une génération presqu'au-dessus de nous. Le vélo de Tymeo faisait des siennes et Christian nous proposa son aide. La conversation s'engagea rapidement et il proposa de la poursuivre le lendemain chez eux autour d'un café. Le type de rencontre qu'on ne fait plus car les gens ont perdu l'habitude de communiquer simplement ou de se faire confiance. Pour ma part, j'étais enchantée. J'avais cruellement besoin de relations sociales.
Christian est un médecin généraliste, psychothérapeute, praticien en hypnose, aujourd'hui à la retraite. Il a transmis le flambeau à Nelly qui est également thérapeute avec comme corde à son arc : l'hypnose mais aussi l'EFT, la musicothérapie,... Elle est également musicienne en baroque : chanteuse et claveciniste.
On trouva très rapidement pleins de sujets de conversation. S'en est suivi d'autres cafés, puis des repas. Une rencontre fortuite qui se transforma rapidement en une jolie amitié et bien plus encore.
Le prochain contrôle est arrivé très vite. Il était prévu le 8, le jour de l'anniversaire de Tymeo. J'ai demandé à décaler au 9. Je deviens folle avec ces histoires de dates.
L'inquiétude grandit là aussi à l'approche des résultats d'analyse de sang. Mais cette fois, les résultats du TEP SCAN sont encore récents et atténuent le stress.
Bonne nouvelle, les marqueurs sont revenus à la normale. Je suis soulagée et j'aborde le rdv avec l'oncologue avec beaucoup plus de sérénité. En sortant du rdv, j'ai resigné pour quelques mois de quiétude.
Même si au fond de moi, mon esprit reste en hyper vigilance. L'équilibre cellulaire reste bien fragile et je sais que les choses peuvent déraper à tout moment.
Je viens d'ailleurs d'apprendre, il y a quelques semaines, que la tumeur d'Audrey avait repris quelques centimètres. Elle ne répond plus à la chimiothérapie. Elle attaque donc un nouveau protocole médical en immunothérapie. Au moment de l'annonce de sa récidive, on avait parlé d'un traitement express, quelques séances de chimio supplémentaires. Du taxol uniquement aurait dû suffire. Que s'était-il passé ? Pourquoi une telle résistance des cellules cancéreuses ? On se rassure en se disant qu'aucune autre métastase n'est présente et que l'immunothérapie est moins difficile à supporter. On parle de notre été et de nos projets de vacances. Elle reste confiante, mais fatiguée.
La Covid continue de circuler mais dans une moindre mesure. La rentrée sera donc Parisienne pour tous les quatre.
J'ai rendez-vous le lundi 7 septembre avec le chirurgien de reconstruction. On doit faire le point sur l'opération programmée fin septembre : pose d'un expandeur afin de préparer la reconstruction du sein gauche. En un an et demi, la peau s'était complètement tendue et retractée sur la poitrine. Il fallait lui redonner de l'élasticité et de la souplesse. L'intervention chirurgicale a pour but de reconstituer un volume et le contour du sein par la mise en place d'une prothèse "non définitive" (l'expandeur) en dessous du muscle pectoral, afin de protéger la peau du frottement de la prothèse. Au bout de quelques semaines, quand le sein a cicatrisé, l'expandeur est gonflé à l'aide d'injection de sérum physiologique. La première fois qu'il m'a expliqué le principe, je ne pouvais pas m'empêcher de rire en imaginant une pompe à vélo accrochée au bout de mon sein...
On refaisait donc le point sur cette intervention quand il m'annonce tout naturellement qu'il va en profiter pour procéder à la mastectomie du sein droit. C'est alors que je prends pleinement conscience que nous sommes dans deux mondes parallèles. J'ai l'impression d'avoir mon garagiste qui m'annonce qu'il va profiter de la révision pour faire la courroie de distribution... Un geste technique et complètement anodin pour lui. Pour moi, c'est la douche froide. Bien que déterminée à aller au bout de la démarche, convaincue de la nécessité de le faire pour mettre toutes les chances de mon côté, je reste interdite. Je ne suis manifestement par prête psychologiquement à faire le deuil de ce deuxième sein. Pas là, tout suite. Et pourtant ? Pourquoi attendre ? La réflexion est lancée. Plus précipitamment que prévu mais au fond, je savais qu'il faudrait à un moment donné m'y confronter sérieusement. Et bizarrement je ne m'y oppose pas. J'acquiesce, je valide la date opératoire. Comme si cette évidence s'était inscrite au plus profond de moi. Seul mon esprit éveillé tentait de lutter. Le cœur et la raison en plein combat intérieur.
Le 18 septembre, escapade avec Julie à L'Ostalas un écolodge dans le Tarn & Garonne. Le domaine est tenu par des amis de Bernard qui nous a chaudement recommandé l'adresse. Un lieu qui invite à la reconnexion en prenant soin de son corps, de son esprit et de son alimentation. Exactement le genre d'endroit qu'il me faut pour me ressourcer avant l'opération.
J'intègre le service le 29 septembre, l'opération est programmée le 30 à l'hôpital Henri Mondor. Comme avant toute opération, je suis irritable et désagréable. Retour de l'anesthésie, des perfusions, des drains. Je ne suis pas craintive de la douleur. Je suis plutôt résistante de ce côté-là. En revanche, j'ai toujours une trouille bleue de l'anesthésie. Perdre le contrôle. Imaginer mon corps ouvert et inconscient. Des images qui me glacent le sang.
Ce jour-là Bernard et Vincent m'accompagnent. Je n'avais pas anticipé les nouvelles directives liées à la COVID: visites interdites. Ils devront me laisser au bout du couloir et je passerai l'après-midi seule dans ma chambre. Pincement au cœur.
L'opération s'est bien passée. Hormis le réveil. J'ai émergé en vomissant en salle de réveil. Une sensation hyper désagréable, mêlée à des douleurs dans la poitrine. Les nausées resteront plusieurs jours, le temps d'éliminer les produits d'anesthésies et la morphine. Le chirurgien m'expliquera que pour poser les expandeurs, il a dû décoller le muscle pectoral pour les placer en dessous. Une opération donc beaucoup plus douloureuse que la première mastectomie que j'avais déjà subie.
Au bout de quelques jours néanmoins, la zone opérée n'est plus douloureuse. Je suis finalement assez mobile mais je dois attendre de pouvoir retirer les drains pour quitter l'hôpital.
Les journées sont longues, surtout sans visite. Je trouve ça assez déprimant que l'aspect humain soit autant relégué au second plan. Rien de plus important que d'être bien entouré pour bien guérir.
Avec la période de crise sanitaire que nous traversons, le personnel hospitalier est à bout de force. On leur prive encore de ressources en interdisant toute visite. Là où les proches apportent du soin, du réconfort, de la mobilité, elles doivent maintenant faire face à toutes les demandes des patients.
Par respect et solidarité, j'ai toujours mis un point d'honneur à ne pas sonner pour demander une attention "non vitale". Je patientais à chaque tour de ronde pour demander des petits services du quotidien. L'attente pouvait parfois durer longtemps. Le service était plein, et le personnel si peu nombreux !
Je suis sortie de l'hôpital le lundi 05 octobre. Soulagée d'avoir réalisé une nouvelle étape destinée à me préserver d'une récidive. Heureuse d'avoir passé cette première étape vers la reconstruction.
Prochain rendez-vous le 13 octobre. Cette date, je veux la passer avec Bernard et Julie à St Malo. Être près de ma mère, lui rendre hommage. Je tente de négocier pour changer le rendez-vous. En vain. Je me resigne. Au fond, pas une journée ne passe sans que je pense à elle, la douleur est toujours aussi vive. Alors peu importe le lieu ou le moment. L'important c'est de pouvoir continuer à lui parler, en silence mais à cœur ouvert.
On partira en Bretagne quelques jours après. D'abord dans le Morbihan puis à St Malo. Un bain iodé qui régénère !
On profite de cette escapade pour voler quelques jours de vacances. Les chiffres d'hospitalisation et de décès dus à la COVID repartent à la hausse. Un deuxième confinement semble se dessiner.
Un nouveau confinement est finalement mis en place à compter du 29 octobre. Sauf pour les enfants. Déterminés à s'exposer ni au virus, ni à l'isolement dans notre appartement, on tente le changement d'école.
A Paris, les écoles sont soulagées d'avoir des élèves en moins, au Gault, ils sont ravis de gonfler les bancs des classes des campagnes désertées. En une matinée tout était réglé...pour une durée provisoire mais non déterminée.
En quelques jours, de nouveaux copains égayaient la vie de nos enfants. Les maîtresses ont vite été adoptées et de nouvelles habitudes se mettaient en place. Le télétravail était beaucoup plus simple à gérer sans avoir à faire la classe à la maison.
La seule contrainte pour moi était d'assumer les allers-retours à l'hôpital toutes les semaines. 2h de route aller / 2h de route retour. Chaque mardi, on devait "remplir" les expandeurs.
Les premières séances, la quantité injectée était assez importante. On réduisait les doses au fur et à mesure que la peau se tendait.
Je retrouvais des sensations de post-grossesse, du début de l'allaitement. Les seins s'alourdissaient, la peau me tiraillait. Plus on avançait dans le process, plus j'avais des douleurs au niveau de la poitrine et du dos durant les 24/48h qui suivaient les injections.
Ce petit rituel hebdomadaire, bien que contraignant, me permettait de prendre une bouffée d'air. Les restrictions de libre circulation était une véritable atteinte à nos libertés. Je vivais ces escapades comme un passe-droit qui me permettaient de voir du pays !
Lundi 2 novembre, les enfants sont couchés, on se retrouve avec Vincent, comme bien souvent, devant la cheminée pour profiter du calme retrouvé. Après un long silence, il m'annonce devoir me parler de quelque chose. Le ton est grave, l'atmosphère se fait tout à coup pesante. Je perçois cette gravité mais je ne sais absolument pas à quoi m'attendre. Il a eu Magali au téléphone au sujet d'Audrey. Je ne comprends pas ce qu'il me dit. Je ne sais même pas comment il me le dit. Je me souviens juste que pendant plusieurs minutes je ne comprends pas un traître mot de ce qui est en train de se passer. Je finis par sortir de ma stupeur et je comprends enfin qu'Audrey n'est plus. Je m'écroule d'un coup : sanglots, tremblements. J'ai le sentiment d'étouffer sous la nouvelle. C'est tout un pan de mon armure qui s'écroule. Une armure qu'elle m'avait aidée à me construire au fils des mois. Elle m'avait accompagnée, soutenue, montré la voie. Grâce à elle, la vie me paraissait possible, l'après cancer existait concrètement, se matérialisait. La récidive était aussi une option possible mais qu'elle semblait réussir à tenir à distance. Même si ces derniers temps, les nouvelles se faisaient plus rares ; et pour cause.
Elle m'avait donné confiance en la guérison. Je me suis si souvent identifiée à elle : son parcours, les caractéristiques de nos tumeurs, la similitude de nos âges, de l'âge de nos enfants, nos milieux professionnels... Je perdais à la fois l'amie, la compagne de maladie mais aussi une partie de ma foi en la guérison. Les jours qui ont suivi ont été particulièrement difficiles. J'oscillais entre la tristesse de sa disparition, la compassion vis à vis de son compagnon et de sa fille dont elle m'avait si souvent parlé et la remontée de mes propres angoisses. Difficile de garder la tête froide dans un moment où j'entamais par ailleurs mes contrôles annuels.
Mardi 24 novembre. Le protocole de contrôle avait été restreint à deux échographies : mammaire et pelvienne. Le retrait de l'ensemble des glandes mammaires permettait d'être plus serein et de limiter les imageries. Le tout complété par un bilan sanguin et une analyse précise de l'évolution des marqueurs de cancer.
Ce jour-là, concours de circonstance, j'amenais Tym avec moi. Durant le premier confinement, il avait été pris d'une rage de dent sur une molaire. La dent était trop cariée, il avait fallu l'extraire. En attendant que la dent définitive ne pousse, la dentiste avait posé un petit appareil pour garder les dents adjacentes écartées. Il se plaignait de nouveau de douleurs et je craignais une infection autour de cet appareil. On combina donc nos rendez-vous respectifs. Autant dire que je n'étais absolument pas sereine de passer ces examens avec lui. Comme allais-je encaisser le choc si les résultats s'avéraient négatifs ? J'essayais au mieux de m'y préparer pour pallier à cette situation. Peu concluant. J'avais les chocottes.
J'ai continué d'être suivie au CSE. J'ai commencé par l'échographie pelvienne. Un examen qui restera lui aussi particulièrement marquant. Ce n'était pas la première fois donc, mais ce n'est pas le genre d'examen auquel on s'habitue. Je me retrouve dans une espèce de petite pièce sombre au sous-sol du centre d'imagerie. Je me déshabille dans une micro cabine et je me retrouve à moitié nue sur une table d'examen en attendant un.e médecin que je ne connais ni d'ève ni d'adam. L'attente parait interminable, il fait froid. J'ai le temps d'inventer mille fonctions aux instruments devant moi et de faire des théories sur les chiffres incompréhensibles qui défilent sur les écrans de monitoring. Le docteur arrive. Un homme blanc, une cinquantaine d'année, cheveux grisonnants. Il parait sympathique de prime abord. Cherche à détourner mon attention pour me mettre à l'aise. Puis l'examen commence. Il pose dans un premier temps pleins de questions sur les étapes de mon parcours. Dans le même temps, il introduit la sonde pour cet examen endocavitaire. L'acte est désagréable, et même douloureux ; ça ne semble pas lui poser de problème. Sans aller jusqu'à parler d'acte de violence gynécologique, je pense que la médecine a de gros progrès à faire dans la considération et le respect du corps de la femme. Avec Billy, je n'ai jamais ressenti la moindre douleur. Chaque acte était accompagné d'une parole délicate et bienveillante. Je savais au fond de moi que ce qui est en train de se passer pouvait se passer différemment. Mais le plus dur ce jour-là aura été le discours tenu par ce médecin: "Bah le cancer du sein, c'est un mauvais moment à passer mais bon ça se soigne très bien maintenant. Ce n'est pas un cancer grave." Au-delà de l'inconfort de la situation, ses paroles au ton léger et supposé anodin ont outre-passées l'entendable pour moi.
Je venais d'encaisser un an de traitements lourds, la perte de ma mère, de nouvelles opérations. Audrey venait de s'éteindre, emportée par un cancer aux caractéristiques proches de celui que j'étais en train d'affronter. J'étais littéralement sciée. Et cet état de sidération m'a rendue incapable de réagir. J'étais nue, pénétrée par un appareil glacial, dans une posture de fragilité qui me soumettait malgré moi au silence. Je n'écoutais plus la suite. J'acquiesçais certainement bêtement à la suite de ses dires. Et soudain, j'ai été réveillée par le "tout va bien ! rhabillez-vous". J'aurais dû à ce moment-là me sentir soulagée, rassurée. J'ai remis mes vêtements un à un, je m'en voulais tellement. J'aurais voulu protester, réagir. Comment j'avais pu le laisser faire, ne pas contester ? Comment après avoir traversé tout ce que j'avais vécu, je pouvais encore subir ce genre de commentaires? De la culpabilité est venue la colère. Elle a commencé à m'envahir tout doucement. Moi qui me mets finalement si peu en colère. Ce n'est pas un sentiment familier et je sentais les émotions s'entrechoquer. Je suis remontée avec Tymeo dans la salle d'attente pour l'échographie, au premier étage. Je restais silencieuse, murée dans ma colère. Et puis ça été trop. J'ai réussi à trouver le courage d'affronter cette situation que je venais lâchement de subir. J'ai confié mes affaires à Tymeo et je suis redescendue demandant à revoir le médecin. Je me suis alors retrouvée dans le petit secrétariat où ils rédigent leurs rapports. Deux jeunes femmes occupées sur leurs écrans m'ont priée de l'attendre là. Il est arrivé, légèrement surpris. Il a très vite décelé ma colère mais n'a pas souhaité qu'on s'isole quand je lui ai proposé. On s'est donc expliqués devant ses collaboratrices. Je lui ai dit avec sincérité ce que j'avais ressenti au moment de l'examen, que ces paroles avaient été blessantes. Je lui ai exprimé la fragilité dans laquelle se trouvent les femmes qu'il a devant lui à ce moment précis. J'ai souligné l'importance des propos à tenir - et surtout à ne pas tenir. Malgré mon ressenti, je me suis exprimée avec beaucoup de calme et d'honnêteté. Finalement, le peu de recul que j'avais pris m'avais permise de mettre de l'ordre dans mes émotions. Je pense qu'il s'attendait à tout sauf à ça. Il avait l'air de tomber des nues. Il ne semblait pas du tout avoir réalisé la portée de ses propos. Je pense d'ailleurs qu'en dehors du contexte, dans une discussion de comptoir, avec des gens non concernés, personne n'aurait relevé cette phrase. On retrouve cette notion dans l'esprit collectif. Et je pense que peu de gens savent que les cancers sont la deuxième cause de mortalité chez les femmes après les maladies cardiovasculaire et que le cancer du sein est la première cause de mortalité par cancer chez les femmes. Mais quand on y fait face, ça raisonne différemment.
Il m'a écouté avec beaucoup d'humilité. Il s'est excusé. Il n'avait pas pris la mesure de la situation et n'avait pas réalisé la portée de ses mots. Il a même fini par me remercier pour ma franchise. Je n'en demandais pas tant. J'étais simplement soulagée d'avoir été honnête avec moi-même. D'avoir défendu mes sentiments. De m'être accordée enfin un peu de respect.
Le deuxième examen s'est très bien passé. RAS sur l'échographie de la poitrine. Je suis finalement sortie soulagée malgré les aléas de l'après-midi.
Une nouvelle étape de franchie dans la rémission. Chaque bilan réussi est une petite victoire vers la guérison !
Tout compte fait, la présence de Tymeo m'aura, je crois, aidée à gérer mes émotions, à rester positive autant que faire ce peu. Le retour en voiture aura été joie et libération !!!
Le 7 décembre, j'ai rendez-vous avec la Professeur à la Pitié pour faire le point sur ces derniers bilans et réaliser un examen clinique. Compte tenu des dernières imageries, je suis plutôt sereine à l'approche de ce rendez-vous.
Côté prise de sang, le taux d'ACE est de nouveau un peu élevé, comme en juin dernier, mais il semble assez fluctuant d'une analyse à l'autre.
Il n'est toutefois pas suffisamment haut pour être révélateur d'une anomalie avérée et surtout la variation entre les derniers contrôles n'est pas probante.
Etrangement, elle me demande pourquoi avoir fait ce contrôle. Je sens alors une légère pointe de contrariété. Cette analyse n'aurait pas dû être prescrite dans le cadre d'une surveillance de cancer de sein, il s'agit plutôt d'un marqueur de cancer colorectal. Et surtout ça allait maintenant nécessiter un nouveau contrôle.
En quoi suis-je moi, patiente, responsable de cette situation ? Le patient n'a pas à pâtir des divergences de l'équipe médical, et surtout une fois encore, il n'en a pas les ressources. Je me suis poliment défendue de ne pas être l'initiatrice des ordonnances qui m'étaient prescrites...il ne fallait pas tout confondre. Et surtout au vue des résultats, n'y avait-il pas finalement un sens à le surveiller ?
Puis on enchaîna sur le programme des opérations de reconstruction. Elle se montra très réticente, estimant qu'il était trop tôt.
Là aussi, je restais pantoise.
On m'avait toujours parlé d'une reconstruction à entamer un an après la fin des traitements. J'avais parlé de ce programme au radiothérapeute et à l'oncologue au cours des derniers contrôles trimestriels. Personne n'avait émis de contre-indication jusqu'à aujourd'hui. Il me semblait être en ligne avec l'ensemble du personnel médical qui me suivait.
Pourquoi cette remise en question maintenant ? Comment en arrive-t-on à une telle discordance d'avis au sein d'une même équipe médicale ? Et surtout comment, en tant que patiente, je me retrouvais au milieu de leurs problèmes de communication interne ? Je trouvais profondément injuste et déstabilisant d'en faire les frais.
Et à la fois, si elle avait raison ? Elle ne manquait pas d'arguments bien fondés : difficulté de gérer une reconstruction avec une potentielle récidive, rappel douloureux des risques liés à la gravité ma typologie de cancer...
Je suis sortie du rendez-vous le moral dans les chaussettes : aucunement rassurée par ce taux d'ACE fluctuant, doutant de mes choix de reconstructions, plongée dans l'angoisse d'une potentielle récidive face à un cancer très agressif...
Ses paroles ont eu d'autant plus d'impact que j'ai une véritable admiration pour elle. Son charisme et sa confiance me fascine, elle m'a toujours aidée à puiser la force d'affronter tout ça. Mon enfant intérieur était touché, je devenais une sorte de mauvaise élève du cancer qui ne suivait pas correctement les consignes. Surtout j'avais l'impression maintenant de me mettre en danger.
Et pourtant, comment reculer ? Le protocole était déjà bien avancé : j'avais des expendeurs dans chaque sein, la date opératoire était calée. J'essayais de me recentrer : avant cet échange, je me sentais prête. Il fallait rester là-dessus.
Ce n'était pas la première fois que je sortais ébranlée d'un rendez-vous médical. Je crois que bien souvent j'y mets trop d'attentes. J'ai tellement envie d'être rassurée. Qu'on me dise que tout va bien se passer.
Au fond de moi je sais que c'est impossible. Le corps médical ne peut pas se risquer à faire des annonces hasardeuses. L'oncologie est domaine qui n'offre que peu de certitudes et il faut arriver à avancer avec. Avec le recul, je sais qu'elle n'avait pas d'autre position possible à avoir, mais sur le coup, j'avais du mal à encaisser.
Ce deuxième confinement aura été beaucoup moins restrictif (et respecté) que le premier. En réalité, hormis les déplacements longues distances, les activités en plein air et le shopping dans des commerces "non essentiels", nous menions une vie à peu près normale. Nous étions de retour au "100% télétravail" mais sans les enfants à la maison. A compter du 28 novembre et jusqu'au 15 décembre, les règles se sont progressivement assouplies. Nous n'étions pas pressés de rentrer, les enfants s'étaient bien intégrés. On restera donc jusqu'aux vacances scolaires.
La rentrée était prévue à Paris. Je devais me faire opérer le 6 janvier, il était temps de rentrer.
La saturation des hôpitaux due à la pandémie a néanmoins contraint le service à décaler l'opération de quelques semaines. La nouvelle date était calée au 27 janvier. Un petit répit qui m'allait bien à la fois en termes d'organisation et de préparation mentale. La date approchant, l'angoisse montait progressivement.
Le volume des seins avaient été jugé satisfaisant par le chirurgien qui avait quand même profité de ce léger décalage pour rajouter quelques centilitres dans chaque expendeur. J'étais donc prête pour la suite.
Les marqueurs d'ACE étaient toujours à la limite mais pas contradictoire avec l'intervention. La professeur demanda un contrôle à trois mois, sous réserve que l'opération ne soit pas inflammatoire, au risque de modifier l'interprétation des résultats.
Je suis rentrée à l'hôpital le 26 janvier, la veille de l'opération. Cette fois-ci, je savais à quoi m'attendre. Pas de visite, Covid oblige. J'avais rendez-vous à 14h. J'allais donc passer une longue après-midi d'attente sans pouvoir sortir de ma chambre... Autant je comprends la logique administrative de faire rentrer les gens aussi tôt avant leur intervention, autant je trouve que c'est une hérésie d'un point de vue psychologique.
Le début de l'année est toujours une période très chargée pour moi au bureau. Cette année d'autant plus dans la mesure où j'avais essayé de condenser Janvier et Février dans un seul mois. Je m'étais donc laissé 2/3 sujets à traiter en prévision de cette journée. Rien de mieux que le travail pour occuper l'esprit et ne pas se laisser aller à trop de divagations...
Dans la soirée, le chirurgien passe me voir pour réaliser les marquages. A l'aide d'un gros feutre noir, il dessine sur ma peau les endroits où il va opérer. Petits pointillés, grandes lignes. Il prend ses repères. J'ai l'impression d'un tableau inachevé, tel un brouillon sans fin. J'angoisse à la vue de toutes cette encre sur mon corps. Il va vraiment ouvrir partout ? Il est tard mais il prend le temps de m'expliquer tout ce qui va se passer. Encore une fois, je l'assaille de questions. Je suis partagée entre le fait de savoir pour mieux appréhender les choses et l'envie de me réfugier dans l'ignorance. Avec le recul, je pense que lui sait très bien jusqu'où aller dans les explications pour garder ses patientes sereines.
Il table sur 6/7 heures d'opérations. Je trouve ça tellement long. Comment fait-il pour manger ? Est-ce qu'il se retient tout ce temps de faire pipi ? Est-ce qu'il s'assoit ? De quoi parle-t-il avec le reste de l'équipe ? Quand on travaille dans un bureau, on est à mille lieux d'imaginer le quotidien d'un chirurgien. Je comprends finalement qu'ils seront deux chirurgiens aguerris à travailler ensemble et qu'ils se relaieront en cas de nécessité (comprenez la pause pipi entre autres choses !). Pour le reste, le mystère reste entier. Mais c'est peut-être mieux ainsi.
On me propose quelque chose pour dormir. Curieusement, je n'en ressens pas le besoin et j'arrive à trouver le sommeil sans trop de difficultés.
Je pars au bloc à 8h. La journée va être longue. On commence de bonne heure. Je crains beaucoup le réveil. Je passe mon temps à prévenir à qui veut bien l'entendre que j'ai besoin d'anti-nauséeux. Je sais que l'opération est particulièrement douloureuse et qu'ils vont charger sur la morphine et autres anti-douleurs. Vomir avec une cicatrice toute neuve sur tout le bas du ventre est une perspective peu réjouissante...
J'émerge tout doucement. Au loin, le son des monitorings, les allers et venues des infirmières qui contrôlent les constantes de leurs patients. Une agitation sans relâche.
Je me sens cotonneuse, un soupçon nauséeuse, mais relativement apaisée. Comme si toutes les connexions de mon corps n'étaient pas encore rétablies. Paradoxalement, je sens l'agacement des infirmières qui tentent de soulever mes pansements pour contrôler la circularisation vasculaire des lambeaux. Quelque chose ne va pas. L'une d'entre elle râle allègrement sur ses collègues du bloc qui n'ont pas fait les marquages (petits points au stylo/marqueur) pour le doppler.
Les 24 premières heures sont souvent critiques et une surveillance accrue des lambeaux greffés permet de s'assurer qu'il n'y a pas de rejet de la greffe. Cette surveillance passe par un contrôle par doppler des vaisseaux sanguins "rebranchés" sur la poitrine et sur une vérification de la palette cutanée du lambeau et de sa chaleur. Les palettes de peau apparentes laissées sur les seins permettent cette surveillance, et sont enlevées au cours d'une intervention ultérieure ; on parle alors d'enfouissement du lambeau.
Les infirmières continuent donc leurs commentaires. Je voudrais leur dire que je suis là, que je les entends, que je voudrais savoir ce qu'il se passe. Mais aucun son ne sort de ma bouche. C'est comme si j'étais prisonnière de mon corps, accablée de fatigue, incapable du moindre battement de cils.
Finalement, à travers ces fourmillements de voix, je décèle la voix du chirurgien qui se rapproche. Il a l'air serein, il sait précisément ce qu'il a à faire. J'entrouvre les yeux. En en rien de temps, il trouve les points de vascularisation, réalise les marquages, valide le doppler. Il me parle, me rassure. C'est bon d'entendre une voix familière. Il me ramène tout doucement à un état de semi-conscience. Puis il s'éloigne et la petite musique médicale reprend son rythme.
J'entends aussi le téléphone sonner constamment, telle une sirène lancinante. Puis la voix d'un homme qui prononce mon nom et me tend le téléphone. C'est Vincent. Je voudrais le rassurer à mon tour, lui dire que tout s'est bien passé. Je ne fais que grommeler quelques mots inaudibles.
L'infirmier m'explique alors qu'il est 19h, que je suis finalement restée 9h au bloc et que mon mari n'arrête pas d'appeler ! Et pour cause, il centralise les appels de toutes la famille. On n'avait pas prévu un temps d'intervention aussi long et tout le monde réclame des nouvelles.
Quelques temps après j'ai demandé au chirurgien puis aux internes pourquoi l'opération avait durée aussi longtemps. Certains ont minimisé le temps annoncé, d'autres ont éludé la question. Ce qui se passe au bloc, reste au bloc. Un seul a fini par reconnaître qu'ils avaient rencontré des difficultés et que ça avait pris un peu plus de temps que prévu ; ça arrive parfois. Et du coup je lui ai dit "en gros c'est comme dans le bricolage, il y a toujours un imprévu ou une pièce qui manque ?". Il a ri mais il m'a confirmé que toutes les pièces étaient bien là et qu'elles avaient été placées au bon endroit. Une bonne nouvelle !
J'ai comaté encore un moment. Incapable de savoir combien de temps. La notion du temps est très floue dans ces moments. L'infirmière vindicative passait son temps à râler.
On est maintenant au beau milieu de la nuit, le service s'est progressivement vidé. On m'avait prévenue qu'il était probable que je passe la nuit en salle de réveil pour assurer la surveillance continue. Mais la vindicative n'était pas de cet avis. Elle tenait absolument à ce que je remonte en chambre. Le ton est monté entre elle et l'anesthésiste censé validé la sortie de la salle de réveil.
J'avais perdu beaucoup de sang, j'étais en hypotension mais pour le reste, les constantes semblaient stables, même si j'étais toujours sous oxygène. Elle négocia un long moment avec le service dans lequel je devais ensuite séjourner. Ils ont fini par rappeler le chirurgien qui donna son accord.
Entre temps, j'essayais de comprendre pourquoi un tel empressement. Je n'avais absolument aucune envie de bouger. Le moindre mouvement me semblait insurmontable. Elle n'entendait pas ça de cette manière et m'assurait que je serai bien mieux dans mon lit... A choisir maintenant, j'aurais préféré resté jusqu'au petit matin et gagner quelques heures de répit !
Dès que le signal a été donné, j'ai vu débarquer deux brancardières à bon entrain. L'ambiance n'y était toujours pas. Elles me préparent en continuant leurs conversations. Elles se plaignent de l'organisation, de leur charge de travail, de leurs collègues....Tout y passe et moi je reste tel un légume insignifiant dans mon lit à les écouter passivement.
On se met alors en route dans les couloirs interminables de l'hôpital et là je commence à sentir la douleur me traverser le corps à chaque secousse. J'essaye en vain de me contracter pour amortir les petites vibrations qui se propagent sous les roues du chariot. Les plafonds des couloirs défilent, la nausée me reprend d'un coup. Je suis sur le point de vomir quand elles daignent faire une petite halte.
Je ne sais pas si c'est dû à la routine ou si c'est la nature de ces deux jeunes effrontées mais les gestes manquent sensiblement de délicatesse. Arrivées dans la chambre, elles heurtent le mur avec le brancard. La douleur est atroce.
Nouvel épisode, nouvelle engueulade. Cette fois, ce sont les infirmières du service qui sont remontées. J'aurais dû être transportée dans mon lit et non sur un brancard. La procédure prévoit que pour les Diep, les patientes sont transvasées dans leur lit en sortant du bloc pour éviter les manipulations douloureuses. Il va donc falloir me faire passer du lit/brancard au lit d'hospitalisation. Je ne suis toujours pas remise de notre course folle et il est hors de question de me bouger ! Encore une fois je n'ai pas eu gain de cause... Je commençais à transpirer à grosse gouttes lorsque je les ai vu sortir une espèce de planche en bois. Elles m'expliquent comment elles vont la placer sous mon corps et comment elles vont me faire glisser d'un lit à l'autre. Pendant qu'elles me parlent, je m'imagine quinze fois tomber par terre ou être contrainte de bouger. Elles ont finalement réussi à me déplacer avec une facilité déconcertante. Non sans douleur mais je n'ai pas eu le moindre effort à fournir ; une technique imparable.
Le reste de nuit sera plus calme mais le repos n'était pas au programme. Toutes les heures, des va et viens pour contrôler les lambeaux au doppler et les constantes. La vascularisation se fait bien mais l'infirmière fait la moue sur la couleur de la palette cutanée du sein gauche. Elle essaye de me rassurer en me conseillant de rester confiante. De son expérience, il y a une corrélation quasi systématique entre les patientes trop inquiètes et les rejets de greffe.
Les 72 première heures auront été particulièrement difficiles. Pas tant sur la douleur - j'étais complètement shootée - mais sur l'état induit justement par les médicaments. Etat second, nausée, fatigue extrême.
Je passe mes journées allongées, le temps défile lentement sans que je ne puisse avoir aucun effet sur lui. Je ne m'ennuie pas. J'ai l'impression que mon cerveau est lui aussi en pause. Je repense néanmoins à tout ce que j'ai traversé jusque-là. J'ai envie de tourner la page. Mais j'ai aussi envie de ne pas oublier. Et c'est à ce moment-là que j'ai ressenti le besoin d'écrire...
Le deuxième jour, j'étais toujours très faible. Ils ont donc décidé de me transfuser. Je n'avais même pas la force de protester. J'y étais pourtant toujours autant farouchement opposée. Mais je n'avais plus le choix.
Je me suis rarement sentie aussi fragile et dépendante des autres. Incapable de me lever, je devais demander de l'aide pour chaque mouvement, même les plus intimes. La première fois que je me suis mise debout pour prendre une douche, j'ai commencé à perdre connaissance dans les bras de l'aide-soignante. On a reporté la toilette au jour suivant. Je n'étais pas encore prête. De nature indépendante et volontaire, j'apprenais à mes dépends à demander de l'aide, à faire confiance aux inconnus et à m'en remettre aux autres.
La période liée à la Covid et aux restrictions de visites rendait l'exercice encore plus radical. Impossible d'attendre l'arrivée d'un proche pour préserver un peu de mon intimité.
Cette privation de liens familiaux est une épreuve supplémentaire. L'accompagnement d'un patient est l'une des composantes essentielles à sa guérison. La période que nous vivons est tout simplement dénudée de toute humanité. Quand je pense aux familles qui ont été déchirées par la perte d'un.e proche isolé.e par la pandémie, je me dis qu'on a précipité leur mort.
J'ai le sentiment qu'on se heurte à un système rigide et infantilisant.
Je ne rejette pas la nécessité de se protéger et de protéger les autres de la Covid, mais je pense qu'on pourrait parfois avoir une gestion différente du risque.
Il y a quelques mois j'expérimentais la chambre stérile. J'ai traversé des moments où le moindre virus insignifiant pouvait représenter un danger fatal. Les protocoles mis en place, les protections prises par les visiteurs qui doivent s'équiper intégralement pour protéger les patients immunodéprimés, sont des alternatives certes contraignantes, mais qui existent.
Il est grand temps que la santé mentale soit portée au même niveau d'importance que la santé physique : l'une ne va pas sans l'autre.
L'opération a eu lieu le vendredi, la transfusion le dimanche. Dès le lundi, je commençais à me sentir mieux. La récupération était parfois même visible en quelques heures. Peu à peu, je retrouvais de la mobilité et bientôt je commençais à marcher.
Les contrôles des lambeaux s'espaçaient. Je n'étais plus réveillée toutes les heures mais seulement 2/3 fois par nuit. A gauche, on mettait toujours un petit temps à retrouver le signal de la vascularisation mais ça semblait toujours bien fonctionner. La peau s'était nécrosée au niveau de la palette de surveillance. Mais les médecins se voulaient rassurants. Ça arrivaient parfois, la peau allait mourir, tomber et se régénérer. J'avais passé le cap des 48h, la greffe semblait avoir prise.
Une petite routine commençait à s'installer : les soins, les surveillances, les repas. J'ai rarement vu une organisation aussi bien rodée. Avec souvent des rouages qui mériteraient d'être revus, des habitudes qui se sont installées mais qui ont perdu de leur sens au fil des années. Des aberrations bureaucratiques, des petits conflits relationnels... J'ai passé de longues heures à observer, analyser les situations, les relations entre les différentes personnes. L'hôpital fonctionne comme une grosse machine avec des problématiques sensiblement proches de celle d'une entreprise mais avec un niveau de complexité supérieur à gérer : le client est une personne malade, avec tout ce que cela implique d'un point de vu humain.
Il n'en reste pas moins que pour faire ce métier, le personnel soignant témoigne d'une belle humanité. J'ai rencontré un nombre incalculables d'infirmières, de médecins, d'aides-soignants, de stagiaires, de brancardiers,... bien sûr tous n'ont pas fait preuve de la même empathie. Difficile de les blâmer, pris dans l'engrenage de ce système qui a certainement parfois eu raison de leur humanité.
Je leur suis sincèrement reconnaissante pour leur soutien, leur patience, leurs attentions. Je me suis parfois faite engueulée car je ne m'étais pas levée ou tout simplement pas coiffée. Fébrile et douloureuse, je trouvais du confort dans l'inactivité. Je n'imaginais pas pouvoir les remercier de m'avoir parfois bousculée. Chaque effort fourni, aussi coûteux qu'il puisse paraître, est un pas de plus vers le rétablissement.
Paradoxalement, je suis sortie de l'hôpital très vite. Le mercredi 10 février, les drains ne donnaient plus. Le chirurgien validait la sortie. Le lendemain matin, l'interne de service m'annonçait à contrario que je ne sortirai que le vendredi. Hors de question de passer une nuit de plus, je relançais les négociations. Il rappela le chirurgien qui confirma finalement une sortie en fin de matinée. Un petit passage en force mais indispensable à ma santé mentale !
Vincent était autorisé à venir me chercher pour m'aider à prendre mes affaires et à me déplacer. Je me souviens très distinctement du trajet entre la chambre et le taxi. Un pied après l'autre, je convoitais chaque banc ou chaque chaise sur mon passage. Le moindre pas était douloureux, ma tête tournait. Le chemin me paraissait interminable. Mais ce soir je dormirai dans mon lit, sans passage d'infirmière, sans prise de sang à 6h du mat'. Le repos allait enfin pouvoir commencer. Voilà qui me donnait la force d'avancer.
On était alors le 11 février 2021, exactement un an jour pour jour à l'heure où j'écris ces quelques lignes. 365 jours, si peu à l'échelle d'une vie et pourtant, j'ai l'impression que c'était il y a une éternité. J'ai déjà subi quatre autres interventions depuis et mon corps a fait preuve d'une incroyable résilience et d'une capacité de récupération insoupçonnable. J'ai retrouvé une certaine forme physique. Et même si j'ai encore des progrès à faire, j'ai repris l'escalade.
Ma reconstruction n'est pas terminée mais j'ai retrouvé, notamment à gauche, la forme de mes seins.
On n'a pas idée de la complexité de recréer intégralement la forme d'un sein. Après une mastectomie et des rayons, la poitrine est devenue ni plus ni moins une terre brulée. Il n'y a plus l'ombre d'une forme, la peau adhère à la poitrine laissant uniquement la trace d'une cicatrice longiligne. Il faut alors reformer le sein, recréer un sillon mammaire sans parler ensuite de redessiner le mamelon et l'aréole.
Le retour à la maison allait être calme. Les enfants partaient chez leurs grands parents pour les vacances. Anita était venue à Paris pour les récupérer. Je faisais le plein de câlins avant qu'ils ne partent le dimanche.
Je passais mes journées allongées sur la canapé ou dans mon lit avec une nouvelle tâche à laquelle m'atteler : écrire pour la mémoire familiale! L'objectif de départ était modeste : quelques dates avec les événements marquants. Le projet s'est finalement étoffé avec le temps et le goût à la rédaction ! Une appétence partagée avec Stéphanie, certainement la plus littéraire de mes amies. Elle avait le don de me communiquer sa fibre pour l'écriture et elle me poussait dans ce travail introspectif. Nous venions de passer l'une et l'autre une année compliquée mais les retrouvailles n'en étaient que meilleures.
Le rétablissement prenait du temps, je commençais à m'impatienter de retrouver un peu de mobilité. Chaque jour ma super équipe d'infirmièr.es passaient pour les soins. Ils prenaient le relais de la surveillance hospitalière.
Au bout d'une dizaine de jours, la plaie n'était toujours pas cicatrisée et la peau nécrosée n'était pas très jolie à voir. Le mercredi 24 février, je retournais donc à l'hôpital pour consulter. Après avoir nettoyé la plaie, la nécrose a été retirée et le chirurgien décida le suturer la palette qui avait été conservée pour l'enfouir définitivement. En gros, il rapprocha les bords du lambeau et cousu comme on referait ses lacets. Bien évidemment, le tout sans anesthésie. J'étais pétrifiée et je commençais doucement à vaciller. Heureusement comme la zone avait perdu toute sa sensibilité, je n'ai rien senti...
Je rentrai finalement soulagée, me pensant sur la bonne voie. Mais le lendemain, une légère fièvre a commencé à s'installer progressivement.
Le vendredi 26 février, la fièvre était maintenant bien installée, la plaie suppurait. Tout ça ne me disait rien qui vaille. Je retournai à l'hôpital mais cette fois avec une petite valise et l'intuition d'un nouveau séjour de surveillance.
Le chirurgien a évalué la situation avec plus de pessimisme cette fois. Soit l'infection était maîtrisée et éradiquée dans les 48h, soit il faudrait opérer à nouveau et déposer le lambeau. Si la greffe échouait, il faudrait donc remplacer le DIEP par le grand dorsal.
Ma première réaction a été de refuser en bloc l'opération. On avait déjà évoqué cette éventualité et je m'y étais déjà opposée. L'escalade avait été une vraie révélation après les traitements du cancer, une alternative parfaite à la thérapie sportive. La pratique régulière d'une activité permettait concrètement d'améliorer mes chances de rémission et diminuer les risques de rechute.
Quand on avait discuté des options possibles de reconstruction, le grand dorsal avait été toute suite écarté. Le retrait de ce muscle, même partiel, avait peu d'incidence dans la vie quotidienne ou dans les activités sportives, sauf pour l'escalade. Appelé également "muscle du grimpeur", le grand dorsal joue un rôle majeur dans la pratique de ce sport.
Pour moi, l'échec du DIEP n'était pas envisageable. Il fallait que ça fonctionne. Je ne voulais pas voir les choses autrement. Pourtant à ce moment-là, le chirugien était clairement en train de m'y préparer.
Pour ça, il ne manquait pas d'argument : l'opération était sans risque, beaucoup plus rapide que le DIEP. Contrairement à la précédente opération, le lambeau gardait sa vascularisation. Le muscle du dos était "tout simplement transféré" en lieu et place du lambeau actuel. Et puis la cicatrice du dos ne serait pas plus grande que 5 à 10 cm, dissimulée sous le soutien-gorge. Pas de nouvelles cicatrices sur le sein, il reprendrait les coutures existantes... Et puis, il irait peut-être simplement nettoyer l'infection et si le lambeau était en bon état, il refermerait. Ni vu, ni connu.
Et puis, et puis, et puis...rien ne me convainquait vraiment.
J'étais épuisée, fiévreuse, je réalisais que j'allais passer le week-end en observation à l'hôpital alors que les enfants rentraient de vacances le lendemain. Panique à bord. Je ne voulais pas y retourner. J'avais l'impression de ne pas avoir l'énergie et le recul pour prendre les bonnes décisions. Et à la fois, j'avais bien conscience que je n'avais pas non plus vraiment le choix.
Toujours à cause de ce foutu Covid, j'ai fait la consultation seule avec le chirurgien. Vincent m'attendait à l'accueil de l'hôpital. J'étais désemparée. J'allais me retrouver de nouveau isolée dans une chambre d'hôpital, avec une fièvre carabinée, envahie des doutes, happée par la peur d'une nouvelle intervention... et sans avoir revu les enfants depuis maintenant quinze jours.
Je me raccrochais à l'idée qu'il y avait une infime chance pour que la fièvre tombe d'elle-même et que je puisse rentrer au plus tard le lundi, pour l'anniversaire de Charlotte. Telle une petite musique d'enfant : si tu le veux très fort, ton souhait va se réaliser...
Arrivée dans le service, c'était reparti : pose du cathéter, évaluation des constantes, prises de sang,... On effectua tout une batterie d'analyse, Covid inclus. On écartait aucune hypothèse, même s'il y avait peu de doute sur l'origine de l'infection. Contrairement à ce que je pensais (et ce que j'espérais), je n'ai pas eu droit tout de suite aux antibiotiques. Le chirurgien ne voulait pas prendre le risque de masquer l'infection et passer à côté d'un rejet de greffe. Si c'était bien avéré, il voulait pouvoir agir vite de manière à conserver un maximum de tissus et de graisse dans le sein. En revanche, le service infectieux passa tout de suite faire des prélèvements sur la plaie. Les résultats prendraient plusieurs jours à arriver.
Je passais donc tout le week-end à lutter contre la fièvre. Toutes les 6 heures, la baisse du doliprane, la température qui remontait. Les infirmières trouvaient que je ne supportais pas trop mal la fièvre. Dès que je dépassais les 39°, elles m'amenaient des poches de glaces. Elles avaient parfois l'air plus préoccupée que moi. J'étais restée dans cet état plusieurs semaines de suite avec le CMV. Pour le moment, je ne tolérais pas trop mal la situation. J'avais par contre le moral dans les chaussettes avec ce retour à l'hôpital...
Le lundi matin, 1er mars, le jour de l'anniversaire de Charlotte. La fièvre était toujours là, l'infection autour de la plaie avait continué de progresser. La veille, le chirurgien avait tranché en faveur du grand dorsal. J'étais dépitée.
De surcroît, je n'avais jamais loupé l'anniversaire de l'un de mes enfants. Et j'étais là à devoir retourner au bloc.
L'opération aura duré environ 4 heures, je passais donc l'après-midi et une bonne partie de la soirée au bloc puis en salle de réveil. Je commençais à avoir un certain recul sur les produits d'anesthésie. Je briefais donc l'anesthésiste avant de rentrer au bloc.
Le réveil s'est relativement bien passé cette fois-ci. J'étais toujours nauséeuse, à quoi se rajoutait la fièvre qui persistait. En revanche, la douleur dans le dos était très violente. J'étais de nouveau paralysée. Les douleurs du ventre étaient toujours présentes, je n'arrivais toujours pas à marcher normalement avant l'opération. Et voilà que maintenant, je ne pouvais plus bouger le dos non plus.
Difficile retour à une situation d'inactivité, de dépendance, de perte d'intimité,... Je crois que moralement c'était ce qu'il y avait de plus dur à supporter.
Puis au bout de 48 heures environ, la douleur s'est bel et bien réveillée. Une douleur violente et insoupçonnée. Pendant quelques heures, le muscle du dos s'est contracté toutes les 10/15 secondes créant une douleur aigue insurmontable, assez proche bizarrement de celle de l'accouchement. Je ne m'étais jamais imaginer pouvoir un jour crier comme ça de douleur.
J'appelais les infirmières qui augmentaient progressivement mais vainement les doses de morphines. Mais comme je ne la supportais pas, je commençais à vomir... ce qui n'aidait pas côté contractions.
Et surtout, ne trouvant pas dans leur yeux une once de confiance sur ce qui était en train de m'arriver, je commençais vraiment à paniquer. Personne ne savait pourquoi j'avais de telles douleurs. Elles finirent par appeler le chirurgien. Il n'avait pas l'air plus avancé sur la situation. Il modifia le cocktail d'antalgique et la douleur finit par progressivement se dissiper. En revanche, je me sentais mal, barbouillée, fatiguée... désespérée.
Le lendemain on décida alors de faire un scanner de contrôle. Je revivais un transfert éprouvant de lit à table d'examen. Toujours incapable de me lever, toujours douloureuse. Le scanner semblait normal à l'exception d'une infection qui semblait continuer de se collecter autour d'une sorte de petit implant de reconstruction qui avait été placée de manière permanente.
On m'avait initialement annoncé quelques jours d'hospitalisation après l'intervention. Tout devait rentrer dans l'ordre et je m'étais imaginée à la maison avant le début du week-end.
Le vendredi 5 au matin, j'étais toujours au plus mal. La fièvre persistait, je ne tenais toujours pas debout plus que quelques minutes. Vincent m'appelait chaque matin pour savoir comment la nuit s'était passée. Il me trouva ce jour-là encore plus mal que la veille. Le jeudi soir il avait déjà pris les devants en appelant la secrétaire du chirurgien pour solliciter des visites.
On n'avait toujours pas de nouvelle.
J'étais à l'hôpital depuis une semaine. J'avais déjà changé 3 fois de chambre: ils opéraient des remaniements de service dû au Covid tous les 2 jours. Incapable de bouger, les infirmières me déménageaient en faisant suivre mes quelques affaires. Je ne savais même pas vraiment où était située ma chambre dans le service. J'avais perdu tout repère...
Le vendredi matin à l'hôpital Henri Mondor, c'est ce qu'on appelle "la grand visite". On est en plein Covid, on a le droit de ne recevoir aucune visite et paradoxalement, on se retrouve un beau matin scruté par une bonne grosse dizaine de paires d'yeux: le chef de service, les internes, les externes, la cadre de service, l'infirmière,... pour peu que l'aide-soignante ou la femme de chambre passe à ce moment là et on ne peut plus circuler!
Entre grand mystère et aberration complète, cette "grande visite" reste pour moi assez difficile à définir.
Pour remettre un peu de contexte, je suis à demi nue sous une chemise de nuit assez peu glamour que l'hôpital m'a fournie et que, faute de mobilité, je me suis resignée à porter, transpirante de fièvre malgré la toilette récente. Personne ne m'a aidé à me laver les dents depuis l'intervention et je n'ai pas vu l'ombre d'une brosse à cheveux depuis une semaine. Bref, fraîche n'est pas le mot qui me définit et me voilà rendue devant cette assemblée qui m'interroge à savoir si tout va bien et si le séjour se passe bien.
J'aurais envi de leur répondre que pour un 5 étoiles je n'étais pas déçue mais je n'ai certainement pas le cœur à faire des plaisanteries. A bout de force, c'est exactement ce moment-là que j'ai choisi pour fondre en larmes. Je n'y arrivais tout simplement plus. J'avais passé les dernières heures à me tordre de douleur, la fièvre me faisait délirer et je me demandais sincèrement si je n'allais pas finir mes jours toute seule dans cet chambre d'hôpital sordide. Je n'avais plus l'ombre d'une lueur d'espoir. Je ne voyais plus d'issue.
Face à moi, l'équipe médicale semblait démunie. Ils avaient fini par me mettre sous antibiotiques. Le service infectieux avait identifié le germe en cause et m'avait prescrit l'antibiotique en conséquence. Je recevais le maximum de dolipranes autorisé. Ils ne trouvaient pas de palliatifs pour me soulager d'un point de vue physique. Alors c'est à ce moment-là qu'ils m'ont proposé un accompagnement psychologique.
Cette fois ça a été le cri du cœur. J'ai regardé la cadre de service (en gros la responsable des infirmiers, aide soignants,...) et j'ai réitéré ma demande. Je voulais voir mon mari. Je voulais avoir des visites. Je ne voulais pas d'une psychologue, je voulais avoir mes proches autour de moi. Je savais que la demande de Vincent était entre ses mains. Gênée, elle a consenti à nous accorder un droit de visite d'une heure par jour. Malgré la proposition minimaliste, j'ai accueilli cette nouvelle avec un immense soulagement...
C'était difficile pour Vincent d'imaginer pourquoi je n'arrivais pas de moi-même à fixer mes limites et à imposer des conditions qui auraient pu me faire aller mieux. C'est ce que j'ai parfois pu éprouver dans le cheminement de la maladie de ma mère. Quand j'avais l'impression qu'elle baissait les bras.
Je réalisais maintenant à quel point la fatigue, la douleur pouvaient vous retirer toute forme d'énergie, de positivité. On se réfugie alors facilement dans la résignation et on perd tout espoir d'aller mieux. C'est la première fois que je touchais ce sentiment d'aussi près. Et c'est véritablement à ce moment que Vincent a pris le relais pour moi auprès de l'équipe médicale et en particulier du chirurgien.
L'après-midi même il pouvait enfin entrer dans ma chambre avec toutes les précautions d'hygiène d'usage. Mais rien ne pouvait m'arrêter, j'avais besoin de le serrer, de le sentir près de moi. Sa présence me redonnait déjà des forces.
Le chirurgien passait également tous les jours prendre des nouvelles, évaluer la situation. Le samedi soir, il passa aussi un coup de fil à Vincent. Il avait également pris conscience de mon incapacité à faire face à la situation et il voulait évaluer mon état moral auprès de mes proches.
Je connais peu de métier aussi prenant que celui de chirurgien. Je le voyais chaque jour, à des horaires peu bureaucratiques, week-end inclus. J'en venais à m'interroger sur le nombre d'heures qu'il pouvait bien dormir. Et malgré ça, il faisait preuve d'une humanité incroyable, une empathie et une attention peu égalée. Je ne m'étais pas trompée sur ses qualités humaines quand j'avais choisi de m'en remettre à lui. La manière dont il nous a accompagné n'a fait que renforcer ma confiance en lui.
Le dimanche 7 mars, je commençais déjà à retrouver des forces mais la fièvre était tenace. L'hypothèse d'une infection autour de la prothèse, confirmée par le scanner, laissait à penser qu'il faudrait peut-être la retirer si on n'arrivait pas à en venir à bout avec les antibiotiques.
Les visites de Vincent me remplissaient de bonheur et d'énergie. Il avait le don de me faire me sentir mieux par son unique présence. Depuis le début de la maladie, il était à mes côtés, m'accompagnait avec force dans chacune des étapes. Sans condition, sans attente en retour. Il prenait soin de moi avec tendresse et délicatesse. Beaucoup de couples se séparent dans ces moments-là. Une réalité qui peut paraitre incompréhensible depuis l'extérieur. Et pourtant, le rôle d'accompagnant n'est pas simple à tenir : impuissant face à la maladie, ce n'est pas toujours simple de trouver les bons mots, les bons gestes, le bon dosage. Il faut trouver l'équilibre entre l'empathie et le courage d'avancer. Continuer de se projeter avec l'autre dans un avenir incertain. J'avais la chance d'avoir avec moi un partenaire solide et attentif qui me donnait la force d'avancer même dans les moments les plus difficiles. On continuait de bâtir des projets. Il me sollicitait assez pour me sentir vivante mais pas trop pour me préserver des moments de fatigue.
Serrée dans ses bras, le moral allait mieux. Il continuait les négociations avec le service médical et il réussit à obtenir l'autorisation de venir avec Tymeo. Ça faisait presque maintenant trois semaines que je n'avais pas vu les enfants. Jamais nous n'avions été séparés aussi longtemps. Un déchirement pour moi. Le chirurgien donna son accord pour Tym mais pas pour Charlotte. Encore trop petite pour respecter les conditions sanitaires requises, dont le port du masque. Tymeo arriva en fin d'après-midi. J'étais sur un petit nuage de l'avoir tout contre moi. Il jouait dans mon lit en mangeant des chips! Une joie à lui tout seul.
Néanmoins, la fièvre persistait. Le chirurgien prit alors la décision de m'opérer une troisième fois pour retirer la prothèse. Un geste très simple, très rapide. Mais qui nécessitait encore une anesthésie. Même si je retournais au bloc à contrecœur, j'aurais tout fait pour que la fièvre s'arrête.
Le lundi 8 mars, j'attendais donc dès la première heure mon passage en salle d'opération. Entre temps la situation du Covid avait encore empiré. Le matin même ils avaient annoncé le retour du plan blanc et les annulations massives des opérations programmées. Ces déclarations avaient manifestement perturbé fortement l'activité de la journée. A 20h j'attendais toujours. Le chirurgien passait régulièrement me donner des nouvelles. Il attendait également de pouvoir m'opérer pour pouvoir rentrer chez lui... J'étais la prochaine sur la liste mais il semblait y avoir des complications avec le patient opéré avant moi. A 23h, on descendait enfin. Soulagée de mettre fin à cette longue attente.
Sans surprise l'opération aura été de courte durée et je remontais en chambre quelques heures plus tard.
Le lendemain, la fièvre était enfin tombée. J'allais pouvoir récupérer ...et entrevoir une perspective de retour à la maison!
Quelques jours plus tard, je retrouvais enfin ma petite Charlotte !! Elle avait été préparée à mon retour. De nature volubile, on lui avait expliqué les précautions à prendre avec moi. Elle appréhendait un peu mais après un petit temps de réserve, elle finit par me "douliner" comme elle aime à dire.
Une longue séance de câlins qui a ensuite laissé place à la curiosité. Depuis plusieurs mois, les enfants voulaient savoir quand j'allais retrouver mon sein. Charlotte me demandait souvent s'il allait repousser !! Malgré les explications, elle avait maintenant besoin de se confronter à la réalité pour comprendre ce qu'il en était vraiment. Dès qu'elle était sur mes genoux, elle passait donc le plus clair de son temps à me déshabiller pour aller voir mes pansements sous mon tee-shirt. Elle prenait grand soin de les compter et reprenait l'opération quelques instants plus tard. Là encore, je la laissais faire, préférant répondre à sa curiosité.
Bernard, qui avait ramené les enfants de vacances, était finalement resté ces quinze jours supplémentaires d'hospitalisation auprès de Vincent. A mon retour, il repartait quelques jours à St Malo, pour revenir peu de temps plus tard pour m'aider tandis que Vincent partait travailler ! Un chassé-croisé indispensable compte tenu de mon état.
On était maintenant le 20 mars 2021, un confinement "partiel par département" était de nouveau décrété. Nous étions bien évidemment parmi les premiers départements concernés. Ni une ni deux, nous avons très rapidement repris le chemin du perche avec un ultime changement d'école qui durera cette fois jusqu'à la fin de l'année !
Bernard nous accompagnera dans cette épopée et nous conduira avec les enfants dans le Perche, le temps que Vincent nous rejoigne.
J'effectuais donc ma convalescence au calme, à la campagne. Les infirmières passaient les premières semaines. Je retournais de temps en temps à l'hôpital pour effectuer des contrôles.
La cicatrisation était difficile. La plaie au niveau du sein droit avait du mal à se refermer. Je commençais à avoir des signes d'infection. Après l'épisode infectieux de ces dernières semaines, j'étais en alerte sur le sujet.
Manifestement, le diagnostic penchait en faveur d'un staphylocoque. Les analyses le confirma. Un petit souvenir de mon passage à l'hôpital...
Un soir, au détour d'une conversation avec Christian et Nelly, j'évoquais mes difficultés de cicatrisation. C'est un sujet qu'ils connaissaient bien et qu'ils leur étaient arrivé de traiter par l'hypnose. Nelly me proposa une séance.
Poussée par la curiosité, j'acceptais l'offre.
Je n'avais aucune idée à quoi m'attendre, si ce n'est ce qu'ils avaient pu m'en dire. Très loin des clichés qu'on peut avoir, une séance se passe en pleine conscience et en pleine possession de ses moyens. On entre progressivement en connexion avec soi-même et ce qui se passe est véritablement très intime. Le thérapeute nous guide à travers cette introspection, une sorte de cheminement collaboratif.
Au départ, je redoutais un peu de me mettre à nue devant une personne avec qui j'entretenais une relation amicale. La démarche est somme toute peu conventionnelle et peut paraître inappropriée dans le domaine de la psychothérapie. Au lieu de ça, j'ai trouvé en elle des qualités d'écoute et d'attention singulières.
La première séance consiste à faire état de ce qu'on attend du travail thérapeutique. La cicatrisation était le point d'entrée mais ce n'était que l'arbre qui cachait la forêt. En peu de temps, je me livrais à elle comme je ne l'avais jamais fait auparavant avec la psychothérapeute de l'hôpital. Elle a eu le don de me donner la confiance et le courage de parler. Elle identifia plusieurs traumas psychiques qu'elle me proposa de traiter en plusieurs séances.
Aujourd'hui encore elle a toute ma reconnaissance pour m'avoir aidée à surmonter bien des événements douloureux. Elle continue de m'accompagner et me soutenir dans les étapes de surveillances et de reconstruction.
Alors que je commençais tout juste le traitement contre le staphylocoque, j'ai pu constater dès le lendemain, des premiers signes de cicatrisation. La force du mental est décidément bien plus puissante qu'il n'y parait. Et quelques jours plus tard ce n'était plus qu'un mauvais souvenir.
Vient alors le temps de la rééducation. Si j'avais repris doucement à marcher normalement, je restais encore très peu mobile au niveau des bras et du haut du dos. J'ai commencé alors la kiné de manière intensive, 2 à 3 fois par semaine. Le kiné du village d'à côté n'était pas équipé de LPG, je me rendais donc environ une fois par semaine à Château Renault, à 1h de la maison. Un sacré petit périple mais qui garantissait de mettre toutes les chances de mon côté pour me rétablir au mieux.
Entre temps, la surveillance du cancer se poursuivait. J'avais tenu informé le Professeur à la Pitié des complications liées aux opérations. Le contrôle de l'ACE devait donc être décalé. Malgré toute la compassion dont elle pouvait témoigner, je sentais une pointe amère de "je vous l'avais bien dit"...
Le 14 avril, c'était donc de nouveau au tour de mon rendez-vous annuel avec le radiothérapeute munie d'une batterie d'analyse de sang. Malgré mes indications auprès du laboratoire, le taux d'ACE a quand même été contrôlé. Heureusement, il était redescendu à la normale. Une petite victoire aussi pour le moral ! Tous les autres marqueurs étaient également au vert. Je venais de vivre un nouvel épisode de montagne russe entre stress puis soulagement...
Mai, fais ce qu'il te plait ! Et c'est bien ce qu'on a fait... Accalmie après ces semaines compliquées. On a accueilli le printemps, ouvert la piscine, mangé des cerises...
On a prolongé Mai !!
Si j'ai bien appris une chose durant ces quelques années, c'est à gouter chaque petit moment de bonheur...Car on est vite rattrapé par une certaine réalité qui peut être angoissante.
Juillet rimait cette fois avec une nouvelle opération et de nouveaux contrôles.
Le 1er juillet, je rentrais de nouveau à l'hôpital Henri-Mondor pour une première séance de lipofilling. Le chantier principal était bien avancé, j'avais retrouvé un début de forme de sein à gauche et à droite le résultat était tout à fait correct. Mais il fallait maintenant attaquer "les finitions" et comme tout chantier qui se respecte, c'est ce qui allait être le plus long. L'idée était désormais de continuer à augmenter la taille des seins, à reprendre la symétrie et bien modeler la forme. L'opération pouvait se faire en ambulatoire mais il n'avait plus de place. Il fallait donc rester dans le service pour trois jours...logique implacable de l'administration hospitalière.
J'allais rater cette fois le spectacle de fin d'année des enfants. Déception pour tous. Heureusement, j'ai eu le droit à une retransmission en direct par téléphone...vive la technologie !
Petit séjour donc à l'hôpital. Je retrouvais le service, donnais des nouvelles à chacun, en prenait en retour. C'est curieux de se sentir aussi familier dans ce genre d'endroit. Mais les semaines compliquées passées quelques mois plus tôt nous avaient tous rapproché.
L'opération se déroula le 2 juillet sans problème mais non sans crainte. J'avais comme coach mental mon ami Christian qui avait fait la route avec moi jusqu'à Paris.
L'anesthésie reste une épreuve à chaque fois pour moi, bien que j'arrive progressivement à surmonter mes peurs grâce au travail fait avec Nelly. Outre l'appréhension c'est aussi un acte extrêmement fatiguant. Le corps met plusieurs jours à éliminer les produits hypnotiques et analgésiques. Sans compter les effets de l'opération en elle-même.
Aussi, c'est une opération particulièrement traumatisante pour le corps et les tissus. La lipoaspiration prend énormément d'énergie à l'organisme et laisse des ecchymoses assez impressionnantes et surtout très douloureuses. Pendant les quelques jours qui suivent l'opération, le moindre mouvement ou tissus sur la peau est éprouvant. Quelques explications sur le lipofilling ici.
Les joies des vacances: les chasses aux trésors d'anniversaires, le lever de soleil plage Duguesclin, les châteaux du Périgord, les joies du camping sauvage sans eau ni électricité, les landes, les dunes de Contis, les burgers de la plage, les vagues, les moules de chez René, le sable chaud, la Corse, le ferry, les cabanes sur la plage, la figatelle, les levers de soleil de Solenzara, le masque et le tuba, l'eau turquoise, l'accrobranche, la Pietra, le canyon de Pulischellu, la fête foraine, les calamars à la plancha, l'écomusée des trésors pêchés par les enfants, la via ferrata, les montagnes de glace, les piqures de guêpes, les barrages dans la rivière, les piscines naturelles...
Retour de vacances.
Retour à Paris.
Retour à l'hôpital.
...
Le chirurgien de reconstruction passant du publique au privé, c'était ma dernière consultation à Henri Mondor. Hors de question pour moi de changer de chirurgien. Il a toute ma confiance, tout mon historique médical. On planifiait du coup la prochaine intervention en octobre à l'hôpital privé des Peupliers, dans le 13ème.
La deuxième opération aura lieu à la clinique des Peupliers, le 12 octobre.
En ambulatoire cette fois. Je ne suis pas contre, bien au contraire. Plutôt contente de pouvoir dormir à la maison ce soir.
L'hôpital privé c'est une première moi. Je comprends néanmoins assez vite le principe. Ici tout est payant, tourné sur des questions de rentabilités et de profits. Je ne travaille pas dans le social, je suis même, de par mes fonctions, plutôt orientée sur une vision ROIste du travail. Mais j'avoue être assez décontenancée de voir à quel point un établissement à visée médicale peut-être aussi déshumanisé. Du service des admissions au bloc opératoire, je ne rencontre que du personnel fatigué, désabusé, à fleur de peau. Sous-effectif, manque de process et d'organisation, on sent que tout le système est tiraillé vers un seul objectif de profitabilité. La première chose qui vous est d'ailleurs demandée à votre arrivée c'est votre carte bancaire avant même votre carte vitale. On ne prend que des patients solvables ici.
Les malades, eux, arrivent avec des attentes encore bien supérieures que dans le public. Exigeants sur les prestations, souvent méprisants envers le personnel, on sent un véritable écart entre leur niveau d'attente et la réalité qu'ils découvrent.
Au bout de la première heure, le ton monte entre patients et soignants. Pour les plus calmes d'entre nous, c'est un véritable spectacle qui se déroule devant nos yeux: disputes, mauvaise foi, portes qui claquent, malaise d'une vieille dame,…
Il est 15h, je suis au mieux d'une salle d'attente à poil sous ma tenue de bloc et je me demande ce que je fais là… Une inimitée inexistante, frigorifiée par la légèreté de la tenue, stressée par l'opération imminente.
Je finis par être appelée au bloc. J'ai un peu perdu la notion du temps. Je suis soulagée de voir un visage connu et confiant: le chirurgien m'accueille, souriant. Je m'endors entre de bonnes mains.
Quelques heures après, j'émerge en salle de réveil.
Le réveil est difficile, je convulse. Très rapidement un médecin et une infirmière me prennent en charge. Le médecin demande à l'infirmière de m'administrer de la kétamine. Manifestement ils ne sont pas d'accord sur la dose à m'administrer. Là encore ils s'engueulent. L'infirmière tient bon, demande de l'aide à d'autres personnes. Mais il faut agir vite et le médecin aura le dernier mot. Pour ma part, je suis dans l'incapacité de dire quoi que ce soit, je tremble de tout mon être, sans pouvoir émettre le moindre avis. Je n'ai pas su exactement combien ils m'avaient donné, mais à priori trois fois ce que l'infirmière préconisait.
L'effet est puissant et immédiat…et pas désagréable, au contraire. Je me mets à planner, semi-consciente. En revanche impossible de me réveiller. Je suis complètement stone.
Le même médecin, revient un peu après. Il peste : "qu'est-ce qu'elle fait encore en salle de réveil ? Il faut la sortir". Charmant. Je suis défoncée mais encore un peu consciente ! L'infirmière essaye tant bien que mal de le mettre devant ses responsabilités : la dose était trop forte. Mais là encore, elle fait face à système hiérarchique sclérosé. Impuissante, c'est à contre cœur qu'elle essaye tant bien que mal de me réveiller. J'émerge quelques minutes seulement et retombe. Le médecin excédé me fait mettre sur un fauteuil roulant pour me sortir. Je me rendors sur le fauteuil avant même d'avoir quitté la salle de réveil. Je sors enfin son service, ce n'est plus son problème. C'est celui de ses collègues désormais.
On m'installe dans un box. Les nouvelles infirmières sont perplexes : je n'aurai pas dû quitter la salle de réveil dans cet état.
Quelques minutes plus tard, chute de tension. Je commence à me sentir mal et à perdre connaissance. Une autre patiente donne l'alerte. Bienveillantes, les infirmières font le maximum pour que je reprenne peu à peu connaissance.
Il est 20H, Vincent est là pour me récupérer. Dans le service les infirmières sont hésitantes. Ne faudrait-il pas que je passe la nuit ici ? Ce n'est pas prévu. Rien n'est organisé. La question ne se pose pas réellement.
Le service de jour ferme, on nous invite à sortir. Il n'y a pas de taxi conventionné. On se retrouve à l'arrêt de bus devant l'hôpital, attendant qu'un uber accepte la course.
Chancelante et douloureuse, je rentre exténuée. Cette deuxième séance de lipofilling aura été une épreuve de plus…
Je me réveille le lendemain matin le cœur lourd. On est le 13 octobre, la douleur de la perte de ma mère se rajoute à celles de l'opération. Encore un anniversaire manqué. J'aurais voulu moi aussi jeter un petit bouquet en mer à sa mémoire. Jules et Bernard le lancerons pour moi.
A peine remise de cette dernière intervention que j'enchaîne avec de nouveaux contrôles. Les répits sont courts dans cette maladie. C'est toujours la boule au ventre que j'enchaîne les examens : écho de la paroi et des ovaires le 26 novembre. On ne dit plus écho mammaire. Paradoxalement, si je retrouve peu à peu une poitrine, je n'ai plus de seins au sens physiologique du terme, plus de glande mammaire. J'accuse un petit coup. C'est comme si ce nouveau langage venait marquer une réalité à laquelle j'essaye d'échapper. La reconstruction, qui me semble une étape incontournable pour tourner la page, me semble tout à coup illusoire.
J'ai encore trop d'ecchymoses sur le corps pour laisser place à ce genre de pensées. Il faut que je garde le cap, ne pas me laisser déstabiliser.
Les nouvelles sont bonnes, RAS ! C'est bien la seule chose qui m'importe à ce moment précis. Un premier soulagement avant la série d'analyse sanguine. Je rentre légère du CSE, me laissant tentée par les premières vitrines de Noël.
Le rendez-vous avec la professeur à la Pitié est prévu le 29 novembre. On passe le week-end précédent dans le Perche. Le samedi 27 novembre, on attend les copains pour une soirée raclette mais je ne me sens pas très bien. Frissons, fatigue. Je me teste juste avant leur arrivée : test COVID positif. Raté. On partage le fromage et c'est chacun chez soi.
Je passe quelques jours difficiles, beaucoup de fièvre, maux de tête, perte de goût et d'odorat. Compte tenu de mes antécédents médicaux, j'ai le droit à une surveillance renforcée. Mon médecin généraliste m'appelle tous les jours et mets en place des contrôles par un centre COVID dédié. Tous les matins, je dois prendre mes constantes et leur transmettre (pouls, température, saturation) puis dans l'après-midi, ils m'appellent pour faire le point. Au bout d'une petite semaine les symptômes disparaissent progressivement.
Mais au 9ème jour, une petite toux s'invite à la fête avec un retour de fièvre. Cette fois, c'est antibiotiques et cortisone. Radical. Je tourne la page de l'épisode COVID en une quinzaine de jours.
Charlotte et Vincent sont également testés positifs, mais asymptomatiques. Seul Tymeo semble le grand vainqueur de l'épidémie familiale. Ou alors il aura été l'instigateur à ses dépens, quelques jours avant mes premiers symptômes.
On en prend finalement pour presque trois semaines d'isolement. Punition infligée à ceux qui n'ont pas cédé à la frénésie vaccinale imposée par la société. Quand l'économie prend place au libre abrite de chacun, il faut être forts pour ne pas céder à la pression sociétale. La balance "bénéfice risque" n'est pas la même pour tous, libre à chacun d'apprécier et de juger de quel côté elle penche. Loin de nous sentir blâmés, nous avons vécu cette nouvelle parenthèse comme une réminiscence du premier confinement, à la fois préservés et du hors du temps.
Avec néanmoins une grosse indigestion de raclette !!
La COVID ayant décalé mon rendez-vous avec la Professeur, il est reporté au 13 décembre. Date difficile encore une fois. Il y a déjà trois ans déjà, jour pour jour, que le verdict était tombé pour ma mère. J'essaye de ne pas y penser. D'aller sereine à ce rendez-vous. Impossible, le corps parle : nœuds dans l'estomac et jambes tremblantes, je rentre fébrile dans son bureau. Malgré les résultats positifs de la prise de sang et des échographies, on ne sait jamais vraiment à quoi s'attendre. Je préfère maintenant me préparer à passer un moment difficile, la chute sera moins grande.
Les rendez-vous sont maintenant plus routiniers. On fait le point rapidement sur les résultats, elle réalise un examen clinique. Cette fois, elle insiste davantage sur la nécessité de l'ovariectomie. J'ai 37 ans, l'échéance se rapproche. On sait d'ores et déjà que je vais continuer les traitements antihormonaux pendant les trois prochaines années (8 ans même). Que la probabilité d'avoir un troisième enfant est à la fois compromise par les traitements et pas très raisonnable du point de vue de ma santé. Pourquoi ne pas passer à l'opération dès maintenant ? Je suis quelqu'un de rationnel, je devrais en théorie être en mesure de prendre une telle décision. Mais impossible pour moi. Je n'arrive pas à réprimer mes larmes en sortant de ce rendez-vous. Je ne peux me résoudre encore à ce geste pourtant inéluctable. J'ai le sentiment que tout ma fibre maternelle est ébranlée, une émotion qu'on touche au plus profond de mes entrailles. Puis le sentiment de voir définitivement ma jeunesse s'envoler... Je suis ménopausée artificiellement depuis trois ans mais j'y vois seulement une conséquence médicamenteuse dont je m'accommode. Rendre cet état définitif, c'est comme m'éjecter directement vers le 3ème âge. Je n'y suis pas prête.
Je repars pour un an de traitement et je repousse la décision à l'année prochaine.
Je finis l'année médicale avec le chirurgien de reconstruction. On est le 20 décembre, on évoque la prochaine intervention prévue cette fois en mars 2022, en espérant que ça soit la dernière !
Trêve de 3 mois avant la prochaine opération, les prochains contrôles.
On prend le temps de regarder grandir les enfants.
L'omniprésence mentale liée à la maladie s'estompe de plus en plus. J'arrive à lui échapper en dehors des contrôles. De véritables moments de répit.
Vincent sort son premier vinyle en son nom, l'aboutissement d'un projet empreint d'une quête d'apaisement, propice à la détente. Un album qui s'accorde bien avec notre énergie du moment. Sa musique me transporte comme toujours, mais cette fois encore un petit plus. Je suis touchée de voir la finesse avec laquelle il arrive à toucher nos émotions avec une écriture aussi complexe. Une prouesse que peu d'artistes atteignent...
On passe de nouveau de merveilleuses vacances au ski, à Lanslevillard. Charlotte s'initie à la glisse et passe son Ourson, tandis que Tymeo en est déjà à l'étoile de bronze.
Le 30 mars, une nouvelle intervention est prévue. Le chirurgien me propose une intervention à la clinique Gaston Metivet à Saint Maur des Fossés.
L'intervention est prévue aussi en ambulatoire. Contrairement aux Peupliers, l'admission se fait sans encombre et dans le calme. Je descends au bloc en début d'après-midi avec toujours un peu d'appréhension.
La rencontre avec l'anesthésiste la semaine précédente n'avait pas été très constructive. J'avais évoqué avec le médecin mes craintes par rapport à la médicamentation pendant les anesthésies, à savoir une intolérance par rapport à la morphine, une préférence à la kétamine, la nécessité d'anticiper avec des anti-nauséeux... Des requêtes qui ont été reçues avec condescendance, mises sur le compte du stress de l'opération. J'étais atterrée que la parole du patient soit encore une fois autant minimisée. Aucune note n'a été prise pendant l'entretien. J'avais le sentiment d'être venue pour une simple formalité administrative mais en aucun cas à visée préparatoire de l'opération. Loin d'être un lapin de trois semaines sur le sujet opératoire, j'estimais être en mesure de savoir quoi faire pour vivre au mieux cette 7ème anesthésie en l'espace de 18 mois...
Une colère bien inutile dans la mesure où, le jour de l'opération, une nouvelle anesthésiste s'est présentée à moi et nous avons refait l'entretien compte tenu du peu d'éléments qui avaient été consignés dans mon dossier. Encore une aberration du système...financé par la sécurité sociale.
J'étais néanmoins soulagée par ce changement salutaire. Elle m'a toute suite mise en confiance et promis de faire le nécessaire pour m'assurer le meilleur réveil qui soit. Parole tenue et dépassant même mes attentes. Je me suis réveillée en douceur, sans douleur, sans nausée. J'apprendrais par le chirurgien à la sortie de l'opération que cette infirmière anesthésiste a pratiqué une anesthésie sous hypnose en respiration spontanée.
L'hypnose peut être utilisée de différentes manières lors d'une opération avec un usage plus ou moins important des produits anesthésiants. En fonction des produits ou non utilisés, elle requiert alors une préparation et une participation active du patient.
Dans mon cas, elle a pratiqué de l'hypno-sédation, c'est à dire qu'elle a associé à l’hypnose une sédation intraveineuse : un analgésique (pour la douleur) et une anesthésie légère (pour l'endormissement et l'apaisement).
L’hypnose médicale, ajoutée à cette sédation, permet de réduire de manière très importante la quantité de produits utilisés et donc de diminuer ou d’éviter leurs effets secondaires. Elle permet par ailleurs d'éviter l'assistance respiratoire mécanique (entubage) mais nécessite un accompagnement minutieux et omniprésent de l'anesthésiste tout au long de l'intervention pour garantir la respiration spontanée.
Cette anesthésie reste, à ce jour, la plus douce que j'ai pu connaître. J'ai senti une véritable différence dans le temps de récupération post-opératoire. Une pratique peu courante mais qui gagne à être connue. Pour le chirurgien, il s'agissait de sa première intervention avec ce type d'anesthésie et il semblait lui aussi convaincu.
Les jours qui ont suivi l'intervention sont restés, malgré tout, assez douloureux. Les ecchymoses sur les zones de prélèvements et d'injections m'ont tiraillé pendant plusieurs jours. Ajoutés à la fatigue d'une nouvelle intervention, je ne reprenais du poil de la bête que quelques semaines plus tard.
En avril, c'est l'heure du contrôle avec le radiothérapeute ! Pas d'imagerie mais un bilan sanguin et un examen clinique. Je suis appelée par l'hôpital quelques jours auparavant : le médecin qui me suit a quitté précipitamment l'hôpital quelques jours avant. Je vais changer de radiothérapeute mais en attendant le rendez-vous sera assuré par une médecin du service qui fait l'intérim.
L'examen est très précis et ne révèle aucune anomalie.
Re stress, re soulagement. Et c'est reparti pour 4 mois.
Vincent est en tournée à la Réunion, on trinque à distance heureux de ces bonnes nouvelles !
Les enfants voyagent une fois de plus entre Périgueux et St Malo pour ces vacances de Pâques. L'occasion pour nous ne faire une petite escapade en amoureux. Compliqué de partir très loin compte tenu de nos activités professionnelles, on décide de se faire un week-end en vallée de Chevreuse pour aller respirer le bon air de la forêt de Rambouillet!
Depuis la fin de mes traitements et avec l'enchaînement des différents confinements, le besoin de fuir l'agitation citadine et la pollution se fait de plus en plus ressentir.
Jusque-là, j'ai toujours été farouchement opposée à un déménagement en banlieue. Je travaille depuis 10 ans à 5 min de la maison. Je récupère les enfants sur le trajet en sortant du bureau à pied ou à vélo. Alors pour moi, prendre le métro et faire plus de 30 min de trajet me parait une hérésie.
Mais depuis 2 mois, mes bureaux ont été déménagés dans le 15ème arrondissement. Un temps de trajet qui est passé de 5 à 45 min dans le meilleur de cas. De quoi remettre profondément en question notre lieu d'habitation et répondre à nos aspirations. Pour la première fois, je cède aux appels du pied de Vincent qui regarde déjà depuis plusieurs semaines les offres d'achats dans l'ouest parisien.
On décide donc de mettre à profit cette petite virée pour découvrir la région et essayer de voir si nous pourrions nous projeter dans une nouvelle vie. Curieux et jusqu'au-boutistes dans notre démarche, je prends rendez-vous avec quelques agences pour visiter des biens le samedi.
En quelques coup de fils notre planning et notre itinéraire se profile. J'ai repéré dans le lot une maison qui sur les photos me plaît beaucoup, malheureusement l'agent immobilier n'est pas disponible ce jour-là.
Têtus, on se met en tête de chercher cette pépite située à Villiers-le-Morhier. Au bout d'une vingtaine de minutes, on connait à peu près toutes les rues du village mais impossible de trouver la propriété. On s'apprête à rentrer bredouille quand, à la sortie du village, on l'aperçoit après un champs, à côté des bois.
La curiosité nous amène à descendre de la voiture et à nous approcher. Coup de bol, l'une des propriétaires est dans le jardin. J'explique brièvement la situation et elle nous invite à visiter. Le coup de cœur est confirmé et ni une, ni deux on fait une offre.
Le temps du doute et de la réflexion viendra finalement après. On s'apprête à vivre un changement assez radical de mode de vie. Que ce soit pour nous ou pour nos enfants.
Pour eux les bénéfices nous paraissent indéniables. Le temps de leur scolarisation dans le Perche n'aura que confirmé les bienfaits de grandir et s'épanouir à la campagne. Un sentiment renforcé par nos propres enfances. J'ai le souvenir qu'à l'âge de Tymeo, lorsque nous rendions visite à ma grand-mère, je me demandais toujours pourquoi certaines personnes vivaient en appartement. Je ne comprenais pas ce choix de vie. Je ne comprenais surtout pas que ça ne puisse pas être un choix. Et aujourd'hui j'étais en train de faire vivre à mes enfants une situation qui me paraissait inconcevable à l'époque.
Pour nous, les doutes sont permis, notre organisation va profondément changer. Surtout pour Vincent qui se nourrit de l'ébullition culturelle des grandes villes, de la rencontre de pairs... Pour ma part, le choix est presque plus simple. Certes je rallonge mon temps de trajet d'une bonne demi-heure mais le télétravail me permet d'avoir plus de souplesse. Et surtout, je suis convaincue des bienfaits sur ma santé. Mettre toutes les chances de mon côté en réduisant l'exposition au stress et à la pollution est une réflexion qui revient constamment dans l'équation.
Le besoin de changement également. Faire des choses pour nous, pour notre famille avant les aspects professionnels.
On observe chez la plupart des patients atteints de cancers de profondes modifications à la suite de l'annonce de la maladie : séparations, changements professionnels, reconversions,...Le rapport au temps se modifie profondément: la prise de conscience de la finitude et la crainte de la récidive vient fortement réévaluer les priorités de l'existence.
C'est décidé, la rentrée 2022 se fera à Villiers-le-Morhier !
30 juin, le temps entre ces deux derniers contrôles aura été court, mais intense ! Contraintes de planning, mauvaises conjugaisons d'agenda me voilà de nouveau en train de préparer un rendez-vous de surveillance avec l'oncologue.
A la dernière échographie en novembre, les images avaient révélé des lésions cicatricielles qui avaient pris la forme de petites boules liquides. Tout le monde avait été rassurant : le radiologue, la Professeur, mais ça n'avait pas suffi réellement à calmer mes angoisses. Echaudée par les conclusions hâtives faites au moment du scanner pendant mon épisode de CMV, j'avais du mal à être confiante. La Professeur me prescrit donc un écho de paroi pour un contrôle à mi-année.
Je réalise également cette fois-ci un nouvel examen d'ostéodensitométrie. Cet examen est réalisé en générale chez les sujets plus âgés au début de la ménopause pour mesurer la densité des os. Des contrôles sont régulièrement faits pour vérifier qu'il n'a pas d'altération trop importante de la masse osseuse qui pourrait être à risque en cas de chute...déprimant de faire ça à mon âge. La radiologue prend le temps de m'expliquer en détail l'examen et les résultats. La bonne nouvelle c'est que j'ai une très bonne structure osseuse et ce, malgré les traitements de chimiothérapie. Me voilà donc avec un bon capital de départ !
Côté échographie et prise de sang, les résultats sont également encourageants. Le rendez-vous avec l'oncologue confirme une poursuite de la rémission sans encombre ! Me voilà rassurée et soulagée pour aborder la période estivale...
Les vacances commencent chaque année par l'anniversaire de Tymeo, sorte de coup d'envoi des festivités !
Cette année l'été va être chargé : déménagement, préparation de la mise en location de l'appart', travaux au Gault...
On arrive quand même à caler quelques jours de vacances par-ci par-là, dont une petite virée dans les Alpes. Annecy, Le grand Bornand, les enfants découvrent les joies de la montagne l'été.
On fait notre batême de parapente avec Tymeo. On s'offre des ailes le temps d'un vol pour retrouver une légèreté oubliée...La fascination d'être si peu face à l'immensité et la beauté des paysages montagneux !
Les préparatifs de déménagement battent leur plein, on se prépare doucement à tourner une page importante.
Cet appartement, on n'y a mis un peu d'huile de coude et beaucoup de cœur. On y a traversé des épreuves incroyables, il a été notre refuge dans ces périodes de hautes turbulences.
« Jamais on n'habitera une rue qui s’appelle la rue Poulet ». On est en 2018, Charlotte a maintenant quelques mois et on a besoin de pousser les murs de notre petit appartement de la rue Léon. Je refuse catégoriquement de visiter cette adresse pourtant voisine de la nôtre.
Le quartier de Château Rouge, on le connait bien. On l’a découvert en 2011, peu de temps après notre arrivée à Paris, juste avant la naissance de Tymeo. Populaire, coloré c’est un quartier lumineux ! Les magasins de wax et de tissage africain se succèdent et laissent place également à des épiceries exotiques. Le grenier de Paris, c’est ici. Le marché c’est tous les jours de l’année du matin ou soir. Les commerçants, on les connaît tous. Ils ont vu nos enfants grandir. C’est un des derniers quartiers de Paris où les gens font un brin de causette le matin, où les voisins connaissent votre prénom et qu’on ne craint pas de traverser à des heures tardives. Pourtant c’est un quartier qui a eu longtemps mauvaise réputation. Les petits marchands à la sauvette persistent, les contrefaçons circulent...Le commerce est au cœur du quartier.
Alors quand il a fallu déménager et bien on n’a pas réussi à s’en éloigner. J’ai fini par daigner visiter le 34 de la
rue Poulet, le nombre de m2 m’a convaincue. Un peu dans « son jus » nous a dit l’agent immobilier peu vendeur. L’appartement était inhabité depuis deux ans mais beaucoup de choses étaient restées intactes. Pour dire vrai, peu de choses avaient dû bouger depuis les 30 dernières années. On a retrouvé des trésors des années 70 : objets vintages et vaisselle désuète mais toujours de haute qualité. La grand-mère aimait les belles choses ! Mais la mode de la tapisserie et de la moquette étant passée, on a mis du cœur à l’ouvrage pour donner un grand coup de neuf. On a fait ressortir les magnifiques parquets enfouis sous la colle de la moquette ; on a poncé, astiqué, ciré et peint...
Et puis peu à peu, la cuisine est devenue une petite chambre pour Charlotte. On s’est attaqué au mur de la buanderie à la scie sabre pour installer une nouvelle cuisine. On a repeint. Encore. On pourrait même penser qu’on aime ça !!
C’est ainsi qu’on a trimballé nos cartons d’une rue à une autre, on n’a même pas pris la peine de démonter les penderies, on les a fait rouler sur les trottoirs encombrés. Un soir, une femme nous a lancé « il y a bien qu’ici qu’on voit une chose pareille ». Et très vite, on a trouvé des bras courageux pour nous aider. Car c’est ça aussi Château Rouge : un esprit collectif et solidaire.
Aujourd’hui, c’est l’appel de la nature qui nous pousse à aller voir si l’herbe est plus verte ailleurs. On passe d’un extrême à un autre, passant du brouhaha Parisien à l’apaisement du chant des oiseaux au milieu des champs.
On a refait nos cartons, mais en mieux cette fois. On a invité tous les copains qu’on s’était fait dans le quartier. On a bu toute la nuit à l’amitié et on a quand même réussi à charger le camion.
Finalement on ne s'est pas résignés à le quittez. On l'a mis en location courte durée être sûrs de revenir plonger dans des bains urbains de temps à autre.
Nouvelle maison, nouvelle vie.
Période intense de changements et d'immense bonheur.
L'automne est une période toujours particulièrement chargée en émotions contradictoires : naissances, décès, débuts de maladies, fin de traitement, contrôles... Le moral oscille entre tristesse et réjouissance, stress et soulagement, laissant finalement place à un sac de nœud au cerveau et au ventre.
C'est dans cet état que je me rends le 24 octobre à un nouveau rendez-vous avec la Professeur à la Pitié.
Je viens de passer haut la main les derniers examens : écho pelvienne et analyse de sang. J'ai toujours un marque ACE un peu élevé mais ça semble maintenant assez récurrent.
L'examen clinique se passe bien. L'ovariectomie est de nouveau abordée. Je suis toujours en réflexion. Décidément, elle doit se dire que je réfléchis lentement.
Je sors du rendez-vous, ça y est j'ai officiellement passé la barre des 3 ans de rémissions ! Il y a de quoi être soulagée, on va pouvoir fêter la bonne nouvelle...
Le soir même, je rejoins Vincent pour aller voir Salomé à l'Opéra Bastille. Je quitte le bureau en fin de journée et je m'engouffre rapidement dans la ligne 6. Dans le métro, je commence à être prise d'une barre en haut de l'abdomen. Ma respiration devient difficile, ma tête se met à tourner.
J'envoie un message à Vincent, j'ai l'impression que je vais m'évanouir. Je résiste jusqu'à la station Charles de Gaulle-Etoile où je dois faire le changement pour la ligne 1. Je ne veux pas m'évanouir dans le métro, je cherche la force de sortir de la station pour prendre l'air. En sortant de la rame, un homme m'aide mais il est trop tard, je m'effondre sur le quai.
Quelques instants plus tard, je reprends connaissance. La douleur est encore plus forte. Panique autour de moi. Les gens me mettent tout d'abord les jambes en l'air, la douleur s'intensifie encore. Changement de tactique, une pompier volontaire me met en PLS côté gauche. Les contractions continuent, je perds de nouveau connaissance quelques secondes. Quand je reviens à moi, elle tente de me mettre sur le côté droit. Ce n'est toujours pas mieux. Entre temps j'ai réussi à demander à un homme d'appeler Vincent. Finalement c'est une femme, Camille, qui fera le lien avec lui. Je ne sais pas trop comment tout ça s'est enchaîné mais quelques minutes plus tard, je suis prise en charge par les pompiers. Ils me remontent dans leur camion où ils commencent à prendre quelques informations : contextes, antécédents, constantes. Je réclame sans cesse Vincent. J'ai peur de partir à l'hôpital sans lui. J'ai peur de ce qui m'arrive tout simplement. La panique ne fait qu'amplifier mon état. Les crampes continuent. A chaque fois qu'elles s'estompent, j'ai l'impression que je vais de nouveau perdre connaissance. Vincent arrive enfin à me rejoindre. Ils m'emmènent à Bichat. Il négocie tant qu'il peut pour qu'on me transporte à la Pitié mais les pompiers refusent formellement. Ce n'est pas leur secteur, ils suivent les instructions.
En chemin, la panique continue. Les pires scénarios défilent dans ma tête. Je m'imagine atteinte de métastases au foie ou à la vésicule, d'où un taux d'ACE élevé. Je crains d'être de nouveau internée à l'hôpital, qui plus est dans un hôpital qui a si mauvaise réputation. Je crains les batteries d'examens, les mauvaises nouvelles. Tout va très vite dans ma tête. Les pompiers essayent de me rassurer : "il ne peut rien vous arriver, vous êtes entre de bonnes mains". Des paroles contre-productives. Je sais par expérience qu'ils ne peuvent rien faire, que ce n'est pas eux qui pourront me sortir de là. Pas dans cette situation. Ils sont aussi impuissants que moi. Je le sais et j'ai perdu toute confiance. La contraction suivante est de nouveau trop forte pour être tolérée. Je reperds connaissances quelques secondes. Quand je reviens à moi, je sers la main de Vincent plus fort que jamais. Je me raccroche à lui comme on se raccroche à la vie.
Arrivée à l'hôpital les spasmes commencent à s'espacer. Je continue d'avoir froid et de me sentir fébrile mais je reprends peu à peu mes esprits.
Je suis rapidement reçue par une infirmière puis mise dans un box. Le début d'une longue attente avant de voir un médecin. Je suis allongée, je me repose. Soucieuse, je ne comprends pas ce qu'il vient de se passer. Les douleurs ont maintenant complètement disparu. Je suis fatiguée, j'accuse maintenant le contre coup.
L'heure tourne, je crains de rater le dernier train. L'appartement parisien est loué ce soir. On n'a pas de solution de repli simple. Heureusement les enfants sont en vacances au Gault avec Anita. Je n'ai pas envie d'appeler des copains pour dormir, je veux rentrer chez moi, retrouver ma maison, mon lit, me blottir contre Vincent. Retrouver un environnement de confiance. Au bout de quelques heures, je préviens le service que je m'en vais. L'interne, prenant note de mon départ, réalise avec qui j'ai eu rendez-vous plus tôt dans l'après-midi à la Pitié Salpetrière. Un nom qui résonne très probablement car elle me demande de patienter quelques minutes. Un médecin arrive. Il conclut finalement à une gastrite, probablement liée au stress compte tenu du contexte.
Diagnostic corroboré quelques jours plus tard par mon médecin traitant.
Les semaines passent et cet épisode semble être isolé. Je n'ai pas eu d'autres symptômes depuis ; plutôt rassurant. J'ai envie de me tourner vers Nelly, l'hypnose devrait m'aider à ne pas réitérer.
La dernière intervention de lipofilling n'a pas suffi à harmoniser les deux seins. Il manque peu de choses et le chirurgien de reconstruction me propose une dernière opération.
Le 15 novembre, retour donc aux Peupliers. Je m'étais jurée que je n'y retournerai plus mais face à l'agenda surbooké du chirurgien, je me résigne.
Mais cette fois, je demande une hospitalisation. Je ne veux pas revivre un retour à la maison tout juste sortie d'anesthésie. Je trouve l'exercice de l'ambulatoire trop éprouvant pour ce type d'intervention.
Malgré la récurrence des opérations, je n'arrive toujours pas à trouver le recul nécessaire à aborder ces moments sans stress. Les semaines qui précédent, je sens malgré moi monter des émotions de plus en plus incontrôlables. A fleur de peau, je fais preuve d'une irritabilité injustifiée face aux événements et aux personnes qui m'entourent. J'essaye malgré tout d'en prendre conscience et de faire la part des choses.
Par contre, l'expérience me permet d'aborder certains fonctionnements de l'hôpital avec plus de détachement. Cette fois-ci, c'est moi qui prends le rendez-vous anesthésiste un peu par-dessus la jambe. Convoquée à 10h30 le jour J, je ne m'attends pas à une intervention avant la fin d'après-midi. Je ne m'attends pas non plus à une prise en charge ou une compassion particulière du personnel médical. Et finalement, je ne suis pas déçue. Pas de bonnes surprises non plus à vrai dire.
L'opération s'est bien passée. L'anesthésiste du bloc a été réceptive à mes demandes. On s'est mise d'accord sur le cocktail à m'administrer avant l'opération et ça a plutôt bien fonctionné.
Sept jour après ma sortie de l'hôpital, je clôture cet épisode par un rendez-vous de contrôle avec le chirurgien. Il semblerait cette fois que ce soit bel et bien la dernière. Verdict définitif le 14 février prochain. Si tel est le cas, l'aventure continuera avec une tatoueuse adressée personnellement par le chirurgien, une professionnelle érudite dans la reconstruction post cancer du sein.
24 décembre, 1er noël à la Vallée Masson. On s'agite depuis un mois, on prépare la maison, on fait rentrer du bois, on va chercher le plus grand sapin du magasin, on décore, on fabrique un cerf en bois, on met des guirlandes lumineuses partout, mais vraiment partout. Il faut que ça brille, il faut de la chaleur, il faut de joie. On veut que ce premier Noël chez nous soit parfait. On attend nos familles, Julie, Bernard, Anita, Serge et Jean Lou. On brique encore en peu, on remplit la cave, on fait nos dernières emplettes de noël.
"Vincent, tu ne trouves pas que j'ai une tâche bizarre sous le sein droit ?", "Si. Tu as encore mal ?".
Depuis la dernière opération, j'ai une douleur sous le sein droit. La peau commence à gonfler un peu, une petite rougeur s'installe. Et depuis ce matin, je ne sens que ça, je ne pense qu'à ça.
Pourquoi maintenant ? Tout le monde est heureux de se retrouver. On s'apprête à festoyer joyeusement. Et mes démons viennent toquer à la porte. Toc toc, c'est nous. Et non pas de répit, on est là pour entretenir ta peur, être sûre que tu ne sois pas trop légère. J'hésite. Je les laisse rentrer ou je les ignore ? Ils sont trop nombreux, trop bruyants. Ils reviennent sans cesse à la charge. Qu'est-ce que je peux faire pour me débarrasser d'eux ? Quelles sont mes options en cette veille de Noël. J'appelle le chirurgien. Sans grand espoir. Par chance ou plutôt par consciencieux professionnalisme, il me répond. Toujours là. Il me rassure. Il veut commencer par écarter la piste de l'infection post-opératoire. On part sur un traitement antibiotique ; rdv dans 10 jours pour faire le point.
Les 10 jours sont passés. La douleur est restée, un peu.
Les premiers jours de l'années sont doux. On a passé de beaux moments en famille. Je regrette de ne pas avoir réussi à trouver la sérénité espérée mais ce sont des états auxquels je suis désormais habituée. Il faut faire avec, vivre avec ses angoisses en essayant de les tenir à distance. Ne pas leur faire de place pour ne pas les entretenir.
On fait une sortie vélo avec les enfants. Je reviens le sac à dos plein de courses et le lendemain la douleur se réveille violemment. Finalement j'ai de plus en plus le sentiment que c'est musculaire.
J'en parle à Magali qui m'ausculte. Pour elle, une côte s'est déplacée, ni plus ni moins. Je fais deux séances avec elle et la douleur s'estompe enfin. Le calme revient peu à peu. Je sais au fond de moi que ce n'est que temporaire. Qu'il y aura d'autres alertes, d'autres inquiétudes. Mais je décide de profiter de ce léger répit.
Le 14 février, rendez-vous de contrôle avec le chirurgien. L'examen clinique vient appuyer le diagnostic de Magali. Le quartilage au bout de la côte est effectivement passé en dessous d'une autre côte. Rien de grave, ça devrait se remettre avec le temps. Voilà qui, à quelques jours de notre départ au ski, fini de me rassurer.
Mais l'objet du rendez-vous c'est surtout de faire le point sur la reconstruction. On passe enfin à l'étape suivante. Il me met en contact avec la tatoueuse pour le tatouage en 3D.
J'ai longtemps attendu ce moment, la confirmation que le chapitre de la reconstruction allait enfin se clore. Un sentiment de soulagement et d'excitation que je n'arrive pas à cacher.
Prudent, il me rappelle qu'on n'exclut pas la possibilité de refaire un lipofilling si ça devait bouger dans les prochains mois. Rabat-joie ;)
Je prends aussitôt contact avec elle. Je suis en peu impressionnée. J'ai découvert son travail quand j'étais en chimio. Une infirmière joyeusement bavarde et volubile s'était un jour installée avec moi pour me montrer des vidéos de reconstruction. Elle m'avait présenté le travail de cette tatoueuse comme "la" référence en la matière et on s'était amusées à regarder, comparer tout un tas de vidéos. J'avais poussé les recherches un peu plus loin sur internet et j'avais découvert que cette technique avait été développée il y a plus de 15 ans aux Etats-Unis par le tatoueur Vinnie Myers mais que la pratique peinait à se développer en France. Une alternative beaucoup plus pérenne que la dermopigmentation médicale pratiquée en hôpital, qui a tendance à s'estomper au bout de deux ans et qui ne couvre que l'aréole. La principale distinction du tatouage de reconstruction 3D par rapport au tatouage de reconstruction esthétique ou médical, réside dans l'utilisation de pigments différents. Contrairement aux pigments médicaux utilisés à l'hôpital ou aux pigments utilisés pour le maquillage semi-permanent en institut, le tatouage de reconstruction 3D utilise les mêmes pigments permanents, sûrs et réglementés que ceux utilisés dans les salons de tatouage. Ces pigments permanents ne s'estompent pas avec le temps, ce qui en fait une procédure définitive.
En 2017, cette tatoueuse, ex-chercheuse spécialisée en oncologie, est la seule spécialiste formée en Europe. Elle intervient en milieu hospitalier à Gustave Roussy ou à l'institut Curie et décide alors de créer son propre cabinet de manière à étendre et démocratiser cette pratique.
En 2019, quand je commence à m'intéresser au tatouage 3D, je suis inondée d'articles sur elle dans les résultats des moteurs de recherche. Pour moi, elle est inaccessible et je suis loin d'imaginer que je serai adressée à elle quatre ans plus tard...
Depuis, elle avait migré dans le sud, à Draguignan dans le Var. Elle ne pratiquait plus qu'à temps partiel. Les places étaient chères et il fallait être prête à se rendre jusque là-bas. Je l'étais.
1er mars, 6 ans pour Charlotte. Déjà.
Mon rendez-vous annuel avec le radiothérapeute est fixé au 15 mars. Depuis les derniers contrôles trimestriels réalisés avec la Professeur, mon taux d'ACE n'est toujours pas redescendu. Je suis bonne pour des contrôles mensuels par prise de sang pour tenter de suivre d'éventuelles fluctuations.
Aussi, le taux étant stable, je suis un peu plus sereine pour cette nouvelle série d'examen.
L'hôpital m'a encore attitré un nouveau radiothérapeute. Depuis le départ du radiothérapeute initialement référent, je change chaque année d'interlocuteur. L'exercice est délicat, ils ne connaissent ni mon dossier, ni mon parcours. Ils le découvrent à chaque fois péniblement lors de ces rendez-vous. Il faut dire qu'il commence à s'alourdir.
Cette fois-ci, j'ai face à moi une praticienne jeune et sympathique mais qui a l'air de débarquer complètement. Elle me pose des questions surprenantes sur la reconstruction : comment, pourquoi, quelles douleurs, quels effets... Elle ne connait ni le DIEP, ni le lipofilling. Je suis désappointée. Ces rendez-vous de contrôle sont censés aussi être l'occasion de faire le point sur la qualité de vie du patient, sa tolérance au traitement mais aussi sur son parcours global. Même si la reconstruction dépasse certes son champ de compétence, comment peut-on être aussi peu informé quand on rencontre chaque jour des patients qui traversent ces étapes ? Je veux bien croire que les formations sont parfois succinctes mais à ce niveau-là, on atteint un manque d'intérêt notoire sur son métier. Et même si je m'interroge profondément sur sa légitimité à m'examiner, je me prête au jeu en me disant qu'il n'est jamais trop tard pour apprendre ! Que ça puisse servir aux prochaines.
Le rendez-vous est assez expéditif, je ressors ni inquiète, ni rassurée. Juste un peu dubitative.
Le 3 avril, les douleurs sous le sein reprennent. Cette fois, je sens distinctement deux petites boules. De quoi relancer le petit vélo dans ma tête tissant des diagnostics toujours plus noirs les uns que les autres.
Décidément, ça ne s'arrête jamais. J'essaye de rationnaliser la situation. Je viens de passer le week-end avec ma petite filleule de 2 ans et demi, Gabrielle, que j'ai porté un petit moment. Voilà le début d'une explication tout à fait censée et plausible.
Quoiqu'il en soit, le rendez-vous avec le radiothérapeute ne m'ayant pas convaincu, je décide d'appeler la Professeur. La prochaine échographie devant être faite en juin, je demande la permission de l'anticiper histoire d'en avoir leur cœur net.
J'obtiens un rendez-vous au CSE le lendemain matin, le 4 avril, jour de l'anniversaire de Bernard.
Une fois de plus, le soulagement de voir qu'il n'y a rien de suspect. Heureusement, l'attente a été de très courte durée !
Le 13 avril, jour de traitement hormonal. Ou plutôt antihormones. Pas envie de courir après une infirmière. Lorsque que nous étions à Paris, je ne me posais aucune question. J'avais mon équipe de super infirmier.ère, je connaissais les horaires, je passais quand je voulais. Depuis notre arrivée à Villiers, je suis allée quelques fois au centre médical de Maintenon mais le plus souvent, je me suis débrouillée seule. Je suis maintenant assez autonome sur beaucoup de soins, j'arrive à jauger si j'ai besoin de voir quelqu'un ou pas. Je me suis longtemps piquée toute seule pendant la chimio. Les injections de Neulasta ou de Zarzio étaient faciles à administrer et ça m'évitait d'aller tous les jours au cabinet. J'économisais mes forces et je ne mobilisais personne pour des soins aussi basiques.
Les injections d'enantone sont plus délicates à faire. En sous-cutané ou en intra-musculaire, le geste demande un peu plus de précision et le produit a besoin d'être bien préparé. Mais je ne demande qu'à apprendre. Pour ça, je demande à ma voisine, infirmière. Premier cours aujourd'hui. Je vais avoir besoin de répéter encore une fois avec elle dans trois mois. Après ça, je serai, je l'espère, complètement autonome. Et une contrainte de moins !!
Quand on est arrivé à la Vallée Masson, je n'aspirai qu'à une chose : regarder le printemps pousser.
Le rythme éprouvant de ces dernières années m'avait épuisé. Je voulais un temps où il ne se passe rien. Vivre tout simplement, dans l'oisiveté et la contemplation. Et surtout plus d'épreuves à affronter.
J'attendais le printemps depuis le début de l'hiver. Je guettais les bourgeons, je cherchais l'apparition de nouvelles fleurs, je binais inlassablement le jardin, faisais la chasse aux mauvaises herbes.
Malgré tout, nos vies restaient effrénées, nos boulots, les locations saisonnières de notre ancien appartement parisien, l'école et les activités des enfants, l'entretien de la maison... Une ébullition permanente !
Mais l'essentiel était là. Tout le monde était en bonne santé, pas de nouvelle opération en vue pour le moment. Un coin de ciel bleu sans nuage semblait se dessiner.
J'avais rendez-vous fin juin pour de nouveaux examens avec l'oncologue et pour le tatouage. Pour le moment tout ça me semblait loin.
On profita de cette trêve pour passer quelques jours de pleine nature en Ecosse.
Juin est finalement vite arrivé. Le ciel s'est assombrit pour ma grand-mère. A bientôt 99 ans, il y a des choses inéluctables auxquelles il faut se préparer.
Il y a quelques semaines, une blessure à la jambe a commencé de s'infecter. Craignant des complications, le médecin prescrivit un scanner. Pendant l'examen, l'échographe décela une masse suspecte à l'aine.
Malgré son âge avancé, elle est toujours autonome sur ses toilettes et discrète sur l'état de son corps. Nous étions donc complètement passé à côté.
Le diagnostic a été sans équivoque : cancer de le lymphe. A son âge et compte tenu de son état, aucun traitement n'est souhaitable. Une hospitalisation à domicile est mise en place pour l'accompagner et tenter de la maintenir le plus longtemps possible chez elle. Morphine, anxiolytiques, des cocktails qui nous renvoient quatre ans en arrière et qui réveillent de vieilles douleurs qu'on pensait enfouies. Visiblement pas assez.
Bernard et Evelyne continuent de se relayer auprès d'elle. Elle perd peu à peu son autonomie. Du côté de la tête, la mémoire lui faisait déjà défaut depuis plusieurs mois, voire années. Désormais, elle déclinait de plus en plus.
J'avais rendez-vous le 24 juin à Draguignan, dans le Var pour le tatouage. Je commençais à voir comment m'organiser pour profiter de ce trajet pour venir la voir. Ce n'était pas si près. Je me tâtais à venir avant. On pense avoir le temps, on se laisse happer par le quotidien. Bêtement, par négligence. Comment moi, qui était passée par tout ça, ai-je pu me faire avoir ? Comment ai-je pu oublier l'essentiel ? Elle nous a quitté le 16 juin. Je n'aurais pas eu l'occasion de la serrer une dernière fois dans mes bras.
Le comble c'est que j'ai bien fini par descendre la voir ce week-end là. Les obsèques ont eu lieu le 21 juin, premier jour de l'été ; une saison qu'elle aimait temps. J'ai filé à mon rendez-vous en suivant.
Cette région du sud-est est très symbolique pour moi. C'est là que j'ai découvert la première tumeur. C'est en quelque sorte là où tout a commencé. C'est là que le chapitre doit se clôturer. J'avais déjà projeté un tour du Luberon à vélo après mes traitements. J'avais étudié le circuit, acheté une carte, repéré des loueurs de vélo. A ce moment-là, l'état de ma mère s'était aggravé et je n'étais finalement jamais partie. Sans vouloir être superstitieuse, je trouve que c'est un curieux hasard de devoir faire face à un nouveau deuil à l'approche de ce voyage. Je ne projetterai plus de déplacement là-bas!
J'arrive le 23 juin aux Arcs Draguignan, je me rends à pied au Clos des Combes, un petit gite à quelques centaines de mètre du cabinet de la tatoueuse. La balade, malgré un soleil de plombs, est très agréable. Je coupe à travers la forêt et je découvre, au bout d'une heure de marche, un petit coin de paradis. Les hôtes sont adorables. Visiblement je ne suis pas la première patiente à passer par chez eux et ils ont deviné le sens de ma démarche. Aux petits soins, ils m'ont réservé la grande suite. Un havre de paie. Je ne pouvais pas imaginer mieux pour passer cette soirée après ces derniers jours éprouvants.
Je lave ma peine dans la piscine et je chasse mes peurs en faisant quelques longueurs.
J’ai rarement écrit à chaud. Je veux dire dans l’instant de l’événement. Il me faut toujours du temps. Digérer, analyser, réfléchir. J’y gagne sûrement en recul mais j’y perd en émotion.
On est le 24 juin 2023, il est midi et je sors de chez la tatoueuse. Je m’attendais à être contente ou soulagée mais je ne m’étais pas préparée à être submergée d’émotions.
Le rendez-vous a duré près de 2h30, on a parlé. Beaucoup parlé. Le geste en lui-même n’a duré que quelques minutes, peut-être 30. Mais guère plus. Il faut du temps pour apprendre à connaitre les gens. Il en faut peu pour cerner l’essentiel. On avait besoin réciproquement de ce temps d’échange. Elle, pour comprendre mon parcours, ma démarche, mes attentes. Moi, pour me sentir en confiance, accepter ce nouveau geste à la fois personnel et définitif.
Elle a, elle aussi, dessiné au marqueur sur mon sein cicatrisé. Se mettre d’accord sur l’emplacement, sur la taille, la forme. A ce moment de l’entretien, nous étions arrivées à un consensus implicite. Les choses s’enchaînaient de manière naturelle, sans hésitation. Une confiance établie qui me permettait d’accepter avec sérénité le geste qu’elle s’apprêtait à faire.
Méthodique et appliquée, je l’observais en train de préparer son matériel et ses couleurs. A mi-chemin entre une chirurgienne stérilisant ses outils et une artiste préparant sa palette de couleur. Une ambivalence chez elle qui définit très bien sa singularité. En discutant avec elle, je comprends que, si ce contraste dans sa personnalité et son parcours lui ont donné la force d’être là où elle en est aujourd’hui, ça n’a pas été facile. Le milieu médical l’a souvent marginalisé, comme si une femme tatouée ne pouvait pas être une scientifique émérite. Toujours devoir coller à une image sociétale définie, rentrer dans le moule.
A beaucoup plus petite échelle, je me retrouve dans ce combat. A 20 ans, j’ai été recalée à cause de mes cheveux bouclés pour un bête stage en finance. Ouvertement le recruteur m’a dit qu’il cherchait une personne moins excentrique et m’a conseillé par exemple de me lisser les cheveux. Scandalisée par une telle remarque, j’ai toujours pris soin de dénoter par rapport aux cols blancs d’auditeurs avec lesquels j’ai travaillé par la suite. J’étais celle qui portait des boucles d’oreilles flashy, qui ne mettait jamais d’escarpin et qui n’aurait jamais, au grand jamais, porté un tailleur assorti. Bref, j’ai conscience que je n’ai pas la tête de l’emploi. Et pourtant ça n'enlève en rien à mon professionnalisme. Heureusement j'ai trouvé quelqu'un avec qui travailler et qui partage cet anticonformisme modéré. Mais j'ai aussi appris à faire des efforts, à m’adapter, à me rendre politiquement correcte dans la plupart des situations. Au dépend souvent de mes convictions profondes. Des contradictions qui peuvent parfois rendre amère et qu'il vaut mieux éviter.
Elle a tenté de développer son activité et de la faire reconnaître plus largement la technique qu’elle a acquise. Elle aurait souhaité la transmettre plus largement mais elle n’a pas eu l’échos souhaité dans le milieu médical. Pour coller aux attentes des établissements, elle aurait dû faire des compromis ou plutôt renoncer à des convictions fortes. Quand on prend en charge les patientes avec une telle ferveur et un tel engouement, impossible de faire les choses à moitié. Mais ça nécessite du temps, de l’investissement humain, de voir plus loin que le dossier médical. Des ingrédients de moins en moins compatibles avec une société où les choses doivent aller vite, sans contrainte, être rentables toute de suite.
Elle aussi a été confronté à la maladie, vivre des angoisses de maman démultipliées, se confronter aux médecins, faire face au système éducatif. Qui mieux qu'une femme ayant traversé de telles épreuves, médicalement formée sur des questions d'oncologie et tatoueuse pour accomplir un tel acte ? Encore faut-il la soutenir et lui en donner les moyens. Mais la société est beaucoup trop conventionnelle pour laisser place à cette diversité.
Et elle se tient là, face à moi, forte et combattante et pourtant fatiguée. Elle continue de donner, de nous soutenir, nous reconstruire. J’ai peur qu’un jour elle n’ait plus l’énergie de continuer. Trop de contraintes, si peu de reconnaissance. Aucune prise en charge des soins ni par la sécurité sociale, ni par les mutuelles. Compliqué de démocratiser cet acte financièrement coûteux et pourtant essentiel.
Le tatouage chatouille un peu. Irrite au bout de quelques minutes. Puis devient complètement indolore. Elle m’explique que le corps sécrète des endorphines au bout de 15/20 min qui viennent calmer les douleurs pendant une petite demi-heure. Un phénomène qui renforce ma conviction de l’étroite corrélation entre le corps et l’esprit. Elle me confie également que le cerveau s’habitue à ce geste et que la durée de répit « offerte » par les endorphines diminue au fur et à mesure des tatouages.
Je regarde du coin de l’œil. J’ai envie d’attendre le résultat final mais ma curiosité est trop forte. La vue du haut à l’air pas mal. L’aréole prend forme puis le mamelon. Ça me parait déjà incroyable.
Vient le moment où elle me place devant le miroir. Je suis stupéfaite. J’ai retrouvé une forme de sein depuis presque 2 ans maintenant : volume, sillon mammaire mais c’est la première fois que j’ai l’impression d’avoir deux seins. Comme si ce petit détail visuel faisait le travail à lui tout seul. J’ai bien conscience que c’est un tout mais une chose est sûre c’est que l’un ne va pas sans l’autre.
Je ne m’attendais pas à être aussi bouleversée. Ma gorge se noue et les larmes montent en une fraction de seconde. Des larmes de joie, des larmes de soulagement, des larmes de deuils, des larmes bien chargées. Je fais place à toute cette émotion. Je frissonne. C’est un beau moment.
Je pense à Charlotte qui me demande toujours quand est-ce qu’on va me refaire le deuxième sein. J’ai bataillé à lui expliquer depuis 2 ans que si, j’ai déjà mes deux seins. Je me vois aujourd’hui avec les mêmes yeux qu’elle et ses remarques prennent tous leurs sens. Ce nouveau sein prend vie aujourd’hui.
La page peut être tournée.
La suite
13 septembre: rendez-vous de suivi avec le chirurgien reconstructeur.
Je m'y attendais, une partie du lambeau, certainement nécrosé, est "plus lourd" que les graisses et un affaissement s'est créé. Il va falloir y retourner.
17 octobre : nouvelle opération de reconstruction aux Peupliers. Convalescence particulièrement fatigante. Je compte maintenant 10 interventions chirurgicales au cours des 5 dernières années. Le corps fatigue malgré lui.
7 novembre: échographie Pelvienne au CSE. Malgré les différents déboires avec quelques médecins, j'ai confiance en ce cabinet. Un matériel à la pointe, c'est rassurant.
Est-ce que les choses seraient en train de changer ? D'évoluer ? Pour la toute première fois, j'ai face à moi une femme qui, en plus de m'expliquer dans les moindres détails ce qu'il va se passer, me tend simplement la sonde et m'invite à la placer. Avec le plus grand respect de mon intimité profonde. Sa voix est douce et rassurante. Elle anticipe les questions, les doutes et dissipe ainsi les craintes instaurant un climat de confiance propice au relâchement. Elle est attentive aux éventuelles douleurs ou gênes occasionnées. Mais je ne ressens ni souffrance, ni d'intrusion.
A tout le personnel médical qui pourrait arguer que ce type d'examen est inévitablement douloureux, je peux assurer que l'on peut faire différemment avec la combinaison d'un accompagnement physique et mental adapté.
Je lui témoigne alors toute ma gratitude ; des paroles qui semble la toucher. Une reconnaissance bien méritée et qui gagne a être ébruitée.
17 novembre: Rdv de suivi avec la Professeur. Anxiété, stress, bouffées d'angoisse en entrant dans l'enceinte de l'hôpital. Quatrième année de rémission. Soulagement, euphorie, bonheur.