La deuxième opération aura lieu à la clinique des Peupliers, le 12 octobre.
En ambulatoire cette fois. Je ne suis pas contre, bien au contraire. Plutôt contente de pouvoir dormir à la maison ce soir.
L'hôpital privé c'est une première moi. Je comprends néanmoins assez vite le principe. Ici tout est payant, tourné sur des questions de rentabilités et de profits. Je ne travaille pas dans le social, je suis même, de par mes fonctions, plutôt orientée sur une vision ROIste du travail. Mais j'avoue être assez décontenancée de voir à quel point un établissement à visée médicale peut-être aussi déshumanisé. Du service des admissions au bloc opératoire, je ne rencontre que du personnel fatigué, désabusé, à fleur de peau. Sous-effectif, manque de process et d'organisation, on sent que tout le système est tiraillé vers un seul objectif de profitabilité. La première chose qui vous est d'ailleurs demandée à votre arrivée c'est votre carte bancaire avant même votre carte vitale. On ne prend que des patients solvables ici.
Les malades, eux, arrivent avec des attentes encore bien supérieures que dans le public. Exigeants sur les prestations, souvent méprisants envers le personnel, on sent un véritable écart entre leur niveau d'attente et la réalité qu'ils découvrent.
Au bout de la première heure, le ton monte entre patients et soignants. Pour les plus calmes d'entre nous, c'est un véritable spectacle qui se déroule devant nos yeux: disputes, mauvaise foi, portes qui claquent, malaise d'une vieille dame,…
Il est 15h, je suis au mieux d'une salle d'attente à poil sous ma tenue de bloc et je me demande ce que je fais là… Une inimitée inexistante, frigorifiée par la légèreté de la tenue, stressée par l'opération imminente.
Je finis par être appelée au bloc. J'ai un peu perdu la notion du temps. Je suis soulagée de voir un visage connu et confiant: le chirurgien m'accueille, souriant. Je m'endors entre de bonnes mains.
Quelques heures après, j'émerge en salle de réveil.
Le réveil est difficile, je convulse. Très rapidement un médecin et une infirmière me prennent en charge. Le médecin demande à l'infirmière de m'administrer de la kétamine. Manifestement ils ne sont pas d'accord sur la dose à m'administrer. Là encore ils s'engueulent. L'infirmière tient bon, demande de l'aide à d'autres personnes. Mais il faut agir vite et le médecin aura le dernier mot. Pour ma part, je suis dans l'incapacité de dire quoi que ce soit, je tremble de tout mon être, sans pouvoir émettre le moindre avis. Je n'ai pas su exactement combien ils m'avaient donné, mais à priori trois fois ce que l'infirmière préconisait.
L'effet est puissant et immédiat…et pas désagréable, au contraire. Je me mets à planner, semi-consciente. En revanche impossible de me réveiller. Je suis complètement stone.
Le même médecin, revient un peu après. Il peste : "qu'est-ce qu'elle fait encore en salle de réveil ? Il faut la sortir". Charmant. Je suis défoncée mais encore un peu consciente ! L'infirmière essaye tant bien que mal de le mettre devant ses responsabilités : la dose était trop forte. Mais là encore, elle fait face à système hiérarchique sclérosé. Impuissante, c'est à contre cœur qu'elle essaye tant bien que mal de me réveiller. J'émerge quelques minutes seulement et retombe. Le médecin excédé me fait mettre sur un fauteuil roulant pour me sortir. Je me rendors sur le fauteuil avant même d'avoir quitté la salle de réveil. Je sors enfin son service, ce n'est plus son problème. C'est celui de ses collègues désormais.
On m'installe dans un box. Les nouvelles infirmières sont perplexes : je n'aurai pas dû quitter la salle de réveil dans cet état.
Quelques minutes plus tard, chute de tension. Je commence à me sentir mal et à perdre connaissance. Une autre patiente donne l'alerte. Bienveillantes, les infirmières font le maximum pour que je reprenne peu à peu connaissance.
Il est 20H, Vincent est là pour me récupérer. Dans le service les infirmières sont hésitantes. Ne faudrait-il pas que je passe la nuit ici ? Ce n'est pas prévu. Rien n'est organisé. La question ne se pose pas réellement.
Le service de jour ferme, on nous invite à sortir. Il n'y a pas de taxi conventionné. On se retrouve à l'arrêt de bus devant l'hôpital, attendant qu'un uber accepte la course.
Chancelante et douloureuse, je rentre exténuée. Cette deuxième séance de lipofilling aura été une épreuve de plus…
Je me réveille le lendemain matin le cœur lourd. On est le 13 octobre, la douleur de la perte de ma mère se rajoute à celles de l'opération. Encore un anniversaire manqué. J'aurais voulu moi aussi jeter un petit bouquet en mer à sa mémoire. Jules et Bernard le lancerons pour moi.