Un nouveau confinement est finalement mis en place à compter du 29 octobre. Sauf pour les enfants. Déterminés à s'exposer ni au virus, ni à l'isolement dans notre appartement, on tente le changement d'école.
A Paris, les écoles sont soulagées d'avoir des élèves en moins, au Gault, ils sont ravis de gonfler les bancs des classes des campagnes désertées. En une matinée tout était réglé...pour une durée provisoire mais non déterminée.
En quelques jours, de nouveaux copains égayaient la vie de nos enfants. Les maîtresses ont vite été adoptées et de nouvelles habitudes se mettaient en place. Le télétravail était beaucoup plus simple à gérer sans avoir à faire la classe à la maison.
La seule contrainte pour moi était d'assumer les allers-retours à l'hôpital toutes les semaines. 2h de route aller / 2h de route retour. Chaque mardi, on devait "remplir" les expandeurs.
Les premières séances, la quantité injectée était assez importante. On réduisait les doses au fur et à mesure que la peau se tendait.
Je retrouvais des sensations de post-grossesse, du début de l'allaitement. Les seins s'alourdissaient, la peau me tiraillait. Plus on avançait dans le process, plus j'avais des douleurs au niveau de la poitrine et du dos durant les 24/48h qui suivaient les injections.
Ce petit rituel hebdomadaire, bien que contraignant, me permettait de prendre une bouffée d'air. Les restrictions de libre circulation était une véritable atteinte à nos libertés. Je vivais ces escapades comme un passe-droit qui me permettaient de voir du pays !
Lundi 2 novembre, les enfants sont couchés, on se retrouve avec Vincent, comme bien souvent, devant la cheminée pour profiter du calme retrouvé. Après un long silence, il m'annonce devoir me parler de quelque chose. Le ton est grave, l'atmosphère se fait tout à coup pesante. Je perçois cette gravité mais je ne sais absolument pas à quoi m'attendre. Il a eu Magali au téléphone au sujet d'Audrey. Je ne comprends pas ce qu'il me dit. Je ne sais même pas comment il me le dit. Je me souviens juste que pendant plusieurs minutes je ne comprends pas un traitre mot de ce qui est en train de se passer. Je finis par sortir de ma stupeur et je comprends enfin qu'Audrey n'est plus. Je m'écroule d'un coup : sanglots, tremblements. J'ai le sentiment d'étouffer sous la nouvelle. C'est tout un pan de mon armure qui s'écroule. Une armure qu'elle m'avait aidée à me construire au fils des mois. Elle m'avait accompagnée, soutenue, montré la voie. Grâce à elle, la vie me paraissait possible, l'après cancer existait concrètement, se matérialisait. La récidive était aussi une option possible mais qu'elle semblait réussir à tenir à distance. Même si ces derniers temps, les nouvelles se faisaient plus rares ; et pour cause.
Elle m'avait donné confiance en la guérison. Je me suis si souvent identifiée à elle : son parcours, les caractéristiques de nos tumeurs, la similitude de nos âges, de l'âge de nos enfants, nos milieux professionnels... Je perdais à la fois l'amie, la compagne de maladie mais aussi une partie de ma foi en la guérison. Les jours qui ont suivi ont été particulièrement difficiles. J'oscillais entre la tristesse de sa disparition, la compassion vis à vis de son compagnon et de sa fille dont elle m'avait si souvent parlé et la remontée de mes propres angoisses. Difficile de garder la tête froide dans un moment où j'entamais par ailleurs mes contrôles annuels.
Mardi 24 novembre. Le protocole de contrôle avait été restreint à deux échographies : mammaire et pelvienne. Le retrait de l'ensemble des glandes mammaires permettait d'être plus serein et de limiter les imageries. Le tout complété par un bilan sanguin et une analyse précise de l'évolution des marqueurs de cancer.
Ce jour-là, concours de circonstance, j'amenais Tym avec moi. Durant le premier confinement, il avait été pris d'une rage de dent sur une molaire. La dent était trop cariée, il avait fallu l'extraire. En attendant que la dent définitive ne pousse, la dentiste avait posé un petit appareil pour garder les dents adjacentes écartées. Il se plaignait de nouveau de douleurs et je craignais une infection autour de cet appareil. On combina donc nos rendez-vous respectifs. Autant dire que je n'étais absolument pas sereine de passer ces examens avec lui. Comme allais-je encaisser le choc si les résultats s'avéraient négatifs ? J'essayais au mieux de m'y préparer pour pallier à cette situation. Peu concluant. J'avais les chocottes.
J'ai continué d'être suivie au CSE. J'ai commencé par l'échographie pelvienne. Un examen qui restera lui aussi particulièrement marquant. Ce n'était pas la première fois donc, mais ce n'est pas le genre d'examen auquel on s'habitue. Je me retrouve dans une espèce de petite pièce sombre au sous-sol du centre d'imagerie. Je me déshabille dans une micro cabine et je me retrouve à moitié nue sur une table d'examen en attendant un.e médecin que je ne connais ni d'ève ni d'adam. L'attente parait interminable, il fait froid. J'ai le temps d'inventer mille fonctions aux instruments devant moi et de faire des théories sur les chiffres incompréhensibles qui défilent sur les écrans de monitoring. Le docteur arrive. Un homme blanc, une cinquantaine d'année, cheveux grisonnants. Il parait sympathique de prime abord. Cherche à détourner mon attention pour me mettre à l'aise. Puis l'examen commence. Il pose dans un premier temps pleins de questions sur les étapes de mon parcours. Dans le même temps, il introduit la sonde pour cet examen endocavitaire. L'acte est désagréable, et même douloureux ; ça ne semble pas lui poser de problème. Sans aller jusqu'à parler d'acte de violence gynécologique, je pense que la médecine a de gros progrès à faire dans la considération et le respect du corps de la femme. Avec Willy, je n'ai jamais ressenti la moindre douleur. Chaque acte était accompagné d'une parole délicate et bienveillante. Je savais au fond de moi que ce qui est en train de se passer pouvait se passer différemment. Mais le plus dur ce jour-là aura été le discours tenu par ce médecin: "Bah le cancer du sein, c'est un mauvais moment à passer mais bon ça se soigne très bien maintenant. Ce n'est pas un cancer grave." Au-delà de l'inconfort de la situation, ses paroles au ton léger et supposé anodin ont outre-passées l'entendable pour moi.
Je venais d'encaisser un an de traitements lourds, la perte de ma mère, de nouvelles opérations. Audrey venait de s'éteindre, emportée par un cancer aux caractéristiques proches de celui que j'étais en train d'affronter. J'étais littéralement sciée. Et cet état de sidération m'a rendue incapable de réagir. J'étais nue, pénétrée par un appareil glacial, dans une posture de fragilité qui me soumettait malgré moi au silence. Je n'écoutais plus la suite. J'acquiesçais certainement bêtement à la suite de ses dires. Et soudain, j'ai été réveillée par le "tout va bien ! rhabillez-vous". J'aurais dû à ce moment-là me sentir soulagée, rassurée. J'ai remis mes vêtements un à un, je m'en voulais tellement. J'aurais voulu protester, réagir. Comment j'avais pu le laisser faire, ne pas contester ? Comment après avoir traversé tout ce que j'avais vécu, je pouvais encore subir ce genre de commentaires? De la culpabilité est venue la colère. Elle a commencé à m'envahir tout doucement. Moi qui me mets finalement si peu en colère. Ce n'est pas un sentiment familier et je sentais les émotions s'entrechoquer. Je suis remontée avec Tymeo dans la salle d'attente pour l'échographie, au premier étage. Je restais silencieuse, murée dans ma colère. Et puis ça été trop. J'ai réussi à trouver le courage d'affronter cette situation que je venais lâchement de subir. J'ai confié mes affaires à Tymeo et je suis redescendue demandant à revoir le médecin. Je me suis alors retrouvée dans le petit secrétariat où ils rédigent leurs rapports. Deux jeunes femmes occupées sur leurs écrans m'ont priée de l'attendre là. Il est arrivé, légèrement surpris. Il a très vite décelé ma colère mais n'a pas souhaité qu'on s'isole quand je lui ai proposé. On s'est donc expliqués devant ses collaboratrices. Je lui ai dit avec sincérité ce que j'avais ressenti au moment de l'examen, que ces paroles avaient été blessantes. Je lui ai exprimé la fragilité dans laquelle se trouvent les femmes qu'il a devant lui à ce moment précis. J'ai souligné l'importance des propos à tenir - et surtout à ne pas tenir. Malgré mon ressenti, je me suis exprimée avec beaucoup de calme et d'honnêteté. Finalement, le peu de recul que j'avais pris m'avais permise de mettre de l'ordre dans mes émotions. Je pense qu'il s'attendait à tout sauf à ça. Il avait l'air de tomber des nues. Il ne semblait pas du tout avoir réalisé la portée de ses propos. Je pense d'ailleurs qu'en dehors du contexte, dans une discussion de comptoir, avec des gens non concernés, personne n'aurait relevé cette phrase. On retrouve cette notion dans l'esprit collectif. Et je pense que peu de gens savent que les cancers sont la deuxième cause de mortalité chez les femmes après les maladies cardiovasculaire et que le cancer du sein est la première cause de mortalité par cancer chez les femmes. Mais quand on y fait face, ça raisonne différemment.
Il m'a écouté avec beaucoup d'humilité. Il s'est excusé. Il n'avait pas pris la mesure de la situation et n'avait pas réalisé la portée de ses mots. Il a même fini par me remercier pour ma franchise. Je n'en demandais pas tant. J'étais simplement soulagée d'avoir été honnête avec moi-même. D'avoir défendu mes sentiments. De m'être accordée enfin un peu de respect.
Le deuxième examen s'est très bien passé. RAS sur l'échographie de la poitrine. Je suis finalement sortie soulagée malgré les aléas de l'après-midi.
Une nouvelle étape de franchie dans la rémission. Chaque bilan réussi est une petite victoire vers la guérison !
Tout compte fait, la présence de Tymeo m'aura, je crois, aidée à gérer mes émotions, à rester positive autant que faire ce peu. Le retour en voiture aura été joie et libération !!!