Peu de temps après, le samedi 02 novembre, nous sommes partis en mer avec la SNSM. La météo n’était pas très bonne, Charlotte n’était pas très rassurée. On a donc choisi de faire cap vers le rocher de Bizeux, où s’érige la statue de la vierge « Notre Dame de Bizeux », protectrice des pêcheurs.
Quand les cornes de brumes ont retenti, on dispersait les cendres et on jetait des bouquets à la mer. Le bateau a fait quelques tours autour du point de dispersion et nous lui avons fait un dernier au revoir.
Après ça, il a fallu rentrer. Reprendre le cours de sa vie.
A ce moment-là, il est difficile de donner du sens au chose. Mon quotidien avait pris une forme tellement singulière que je n'arrivais pas à me projeter dans mon ancienne vie. Toutes ces épreuves avaient fait de moi une personne différente mais mon entourage, lui, était resté le même. Peu à peu mes cheveux repoussaient, mes joues retrouvaient leurs rondeurs. Quand les gens me regardaient, ils retrouvaient physiquement la Cloé qu'ils connaissaient. Ils interagissaient avec moi comme avant, comme si tout ça n'était qu'un mauvais souvenir. Une parenthèse qu'on referme. Mais à l'intérieur de moi, c'était encore le chaos. Je n'avais aucune envie de reprendre les choses comme avant. Ces quelques mois m'ont appris à voir les choses différemment, à appréhender la vie d'une autre manière.
Je me sentais prisonnière d'une étiquette qu'on avait pu me coller avant d'être malade. On m'avait mise dans une case mais je n'y étais plus. Les gens ne comprenaient pas. Je me heurtais à des réactions auxquelles je n'adhérais plus, des relations dont je n'avais plus envie. Mon entourage proche avait vécu ces changements, pour les autres c'était plus compliqué.
Ensuite, on fait face à une autre étape, celle de rémission. Pour les médecins, vous n'êtes pas guérie mais en rémission. Pour l'entourage vous êtes guérie. Cet état de confusion démarre dès la repousse des cheveux. C'est comme si l'alopécie était le symptôme du cancer. Des cheveux = plus de symptôme = plus de cancer. CQFD.
Alors certes les traitements lourds sont terminés, mais on en a quand même pris pour 10 ans d'hormonothérapie, et surtout on ne sent pas du tout serein. L'angoisse de la récidive prend alors toute sa place. Jusque-là, on est tous les jours à l'hôpital, on voit régulièrement des médecins, on fait des analyses, on se traite. Bref, on est actif. Et là tout à coup, plus rien. On est face à soi-même, face à ses doutes, à ses peurs. Placé dans une attente. L'attente des prochains contrôles. L'attente du mot guérison, celui qui sort de la bouche des médecins.
Je crois que l'une des phrases les plus entendue à ce moment-là aura été : "alors ça va ? c'est terminé ? tu dois être soulagée ?". Comment répondre à ça ? "Et bien non pas du tout car je ne suis pas tirée d'affaire. Seul le temps permettra de venir confirmer que les traitements ont été efficaces. En attendant je suis morte de trouille". Le politiquement correct nous en empêche. La question est posée soit par politesse soit par le besoin intime de se rassurer. Alors dans la majorité des cas, je joue le jeu de la diplomatie. Je rassure les gens alors que j'aurais cruellement besoin que ce soit le contraire. Avec les plus intimes, je m'aventure à plus de détails, à plus d'honnêteté. Mais même là, je sens bien que ce n'est pas la réponse attendue, ou du moins souhaitée.