Le lundi matin, 1er mars, le jour de l'anniversaire de Charlotte. La fièvre était toujours là, l'infection autour de la plaie avait continué de progresser. La veille, le chirurgien avait tranché en faveur du grand dorsal. J'étais dépitée.
De surcroît, je n'avais jamais loupé l'anniversaire de l'un de mes enfants. Et j'étais là à devoir retourner au bloc.
L'opération aura duré environ 4 heures, je passais donc l'après-midi et une bonne partie de la soirée au bloc puis en salle de réveil. Je commençais à avoir un certain recul sur les produits d'anesthésie. Je briefais donc l'anesthésiste avant de rentrer au bloc.
Le réveil s'est relativement bien passé cette fois-ci. J'étais toujours nauséeuse, à quoi se rajoutait la fièvre qui persistait. En revanche, la douleur dans le dos était très violente. J'étais de nouveau paralysée. Les douleurs du ventre étaient toujours présentes, je n'arrivais toujours pas à marcher normalement avant l'opération. Et voilà que maintenant, je ne pouvais plus bouger le dos non plus.
Difficile retour à une situation d'inactivité, de dépendance, de perte d'intimité,... Je crois que moralement c'était ce qu'il y avait de plus dur à supporter.
Puis au bout de 48 heures environ, la douleur s'est bel et bien réveillée. Une douleur violente et insoupçonnée. Pendant quelques heures, le muscle du dos s'est contracté toutes les 10/15 secondes créant une douleur aigue insurmontable, assez proche bizarrement de celle de l'accouchement. Je ne m'étais jamais imaginer pouvoir un jour crier comme ça de douleur.
J'appelais les infirmières qui augmentaient progressivement mais vainement les doses de morphines. Mais comme je ne la supportais pas, je commençais à vomir... ce qui n'aidait pas côté contractions.
Et surtout, ne trouvant pas dans leur yeux une once de confiance sur ce qui était en train de m'arriver, je commençais vraiment à paniquer. Personne ne savait pourquoi j'avais de telles douleurs. Elles finirent par appeler le chirurgien. Il n'avait pas l'air plus avancé sur la situation. Il modifia le cocktail d'antalgique et la douleur finit par progressivement se dissiper. En revanche, je me sentais mal, barbouillée, fatiguée... désespérée.
Le lendemain on décida alors de faire un scanner de contrôle. Je revivais un transfert éprouvant de lit à table d'examen. Toujours incapable de me lever, toujours douloureuse. Le scanner semblait normal à l'exception d'une infection qui semblait continuer de se collecter autour d'une sorte de petit implant de reconstruction qui avait été placée de manière permanente.
On m'avait initialement annoncé quelques jours d'hospitalisation après l'intervention. Tout devait rentrer dans l'ordre et je m'étais imaginée à la maison avant le début du week-end.
Le vendredi 5 au matin, j'étais toujours au plus mal. La fièvre persistait, je ne tenais toujours pas debout plus que quelques minutes. Vincent m'appelait chaque matin pour savoir comment la nuit s'était passée. Il me trouva ce jour-là encore plus mal que la veille. Le jeudi soir il avait déjà pris les devants en appelant la secrétaire du chirurgien pour solliciter des visites.
On n'avait toujours pas de nouvelle.
J'étais à l'hôpital depuis une semaine. J'avais déjà changé 3 fois de chambre: ils opéraient des remaniements de service dû au Covid tous les 2 jours. Incapable de bouger, les infirmières me déménageaient en faisant suivre mes quelques affaires. Je ne savais même pas vraiment où était située ma chambre dans le service. J'avais perdu tout repère...
Le vendredi matin à l'hôpital Henri Mondor, c'est ce qu'on appelle "la grand visite". On est en plein Covid, on a le droit de ne recevoir aucune visite et paradoxalement, on se retrouve un beau matin scruté par une bonne grosse dizaine de paires d'yeux: le chef de service, les internes, les externes, la cadre de service, l'infirmière,... pour peu que l'aide-soignante ou la femme de chambre passe à ce moment là et on ne peut plus circuler!
Entre grand mystère et aberration complète, cette "grande visite" reste pour moi assez difficile à définir.
Pour remettre un peu de contexte, je suis à demi nue sous une chemise de nuit assez peu glamour que l'hôpital m'a fournie et que, faute de mobilité, je me suis resignée à porter, transpirante de fièvre malgré la toilette récente. Personne ne m'a aidé à me laver les dents depuis l'intervention et je n'ai pas vu l'ombre d'une brosse à cheveux depuis une semaine. Bref, fraîche n'est pas le mot qui me définit et me voilà rendue devant cette assemblée qui m'interroge à savoir si tout va bien et si le séjour se passe bien.
J'aurais envi de leur répondre que pour un 5 étoiles je n'étais pas déçue mais je n'ai certainement pas le cœur à faire des plaisanteries. A bout de force, c'est exactement ce moment-là que j'ai choisi pour fondre en larmes. Je n'y arrivais tout simplement plus. J'avais passé les dernières heures à me tordre de douleur, la fièvre me faisait délirer et je me demandais sincèrement si je n'allais pas finir mes jours toute seule dans cet chambre d'hôpital sordide. Je n'avais plus l'ombre d'une lueur d'espoir. Je ne voyais plus d'issue.
Face à moi, l'équipe médicale semblait démunie. Ils avaient fini par me mettre sous antibiotiques. Le service infectieux avait identifié le germe en cause et m'avait prescrit l'antibiotique en conséquence. Je recevais le maximum de dolipranes autorisé. Ils ne trouvaient pas de palliatifs pour me soulager d'un point de vue physique. Alors c'est à ce moment-là qu'ils m'ont proposé un accompagnement psychologique.
Cette fois ça a été le cri du cœur. J'ai regardé la cadre de service (en gros la responsable des infirmiers, aide soignants,...) et j'ai réitéré ma demande. Je voulais voir mon mari. Je voulais avoir des visites. Je ne voulais pas d'une psychologue, je voulais avoir mes proches autour de moi. Je savais que la demande de Vincent était entre ses mains. Gênée, elle a consenti à nous accorder un droit de visite d'une heure par jour. Malgré la proposition minimaliste, j'ai accueilli cette nouvelle avec un immense soulagement...
C'était difficile pour Vincent d'imaginer pourquoi je n'arrivais pas de moi-même à fixer mes limites et à imposer des conditions qui auraient pu me faire aller mieux. C'est ce que j'ai parfois pu éprouver dans le cheminement de la maladie de ma mère. Quand j'avais l'impression qu'elle baissait les bras.
Je réalisais maintenant à quel point la fatigue, la douleur pouvaient vous retirer toute forme d'énergie, de positivité. On se réfugie alors facilement dans la résignation et on perd tout espoir d'aller mieux. C'est la première fois que je touchais ce sentiment d'aussi près. Et c'est véritablement à ce moment que Vincent a pris le relais pour moi auprès de l'équipe médicale et en particulier du chirurgien.
L'après-midi même il pouvait enfin entrer dans ma chambre avec toutes les précautions d'hygiène d'usage. Mais rien ne pouvait m'arrêter, j'avais besoin de le serrer, de le sentir près de moi. Sa présence me redonnait déjà des forces.
Le chirurgien passait également tous les jours prendre des nouvelles, évaluer la situation. Le samedi soir, il passa aussi un coup de fil à Vincent. Il avait également pris conscience de mon incapacité à faire face à la situation et il voulait évaluer mon état moral auprès de mes proches.
Je connais peu de métier aussi prenant que celui de chirurgien. Je le voyais chaque jour, à des horaires peu bureaucratiques, week-end inclus. J'en venais à m'interroger sur le nombre d'heures qu'il pouvait bien dormir. Et malgré ça, il faisait preuve d'une humanité incroyable, une empathie et une attention peu égalée. Je ne m'étais pas trompée sur ses qualités humaines quand j'avais choisi de m'en remettre à lui. La manière dont il nous a accompagné n'a fait que renforcer ma confiance en lui.
Le dimanche 7 mars, je commençais déjà à retrouver des forces mais la fièvre était tenace. L'hypothèse d'une infection autour de la prothèse, confirmée par le scanner, laissait à penser qu'il faudrait peut-être la retirer si on n'arrivait pas à en venir à bout avec les antibiotiques.
Les visites de Vincent me remplissaient de bonheur et d'énergie. Il avait le don de me faire me sentir mieux par son unique présence. Depuis le début de la maladie, il était à mes côtés, m'accompagnait avec force dans chacune des étapes. Sans condition, sans attente en retour. Il prenait soin de moi avec tendresse et délicatesse. Beaucoup de couples se séparent dans ces moments-là. Une réalité qui peut paraitre incompréhensible depuis l'extérieur. Et pourtant, le rôle d'accompagnant n'est pas simple à tenir : impuissant face à la maladie, ce n'est pas toujours simple de trouver les bons mots, les bons gestes, le bon dosage. Il faut trouver l'équilibre entre l'empathie et le courage d'avancer. Continuer de se projeter avec l'autre dans un avenir incertain. J'avais la chance d'avoir avec moi un partenaire solide et attentif qui me donnait la force d'avancer même dans les moments les plus difficiles. On continuait de bâtir des projets. Il me sollicitait assez pour me sentir vivante mais pas trop pour me préserver des moments de fatigue.
Serrée dans ses bras, le moral allait mieux. Il continuait les négociations avec le service médical et il réussit à obtenir l'autorisation de venir avec Tymeo. Ça faisait presque maintenant trois semaines que je n'avais pas vu les enfants. Jamais nous n'avions été séparés aussi longtemps. Un déchirement pour moi. Le chirurgien donna son accord pour Tym mais pas pour Charlotte. Encore trop petite pour respecter les conditions sanitaires requises, dont le port du masque. Tymeo arriva en fin d'après-midi. J'étais sur un petit nuage de l'avoir tout contre moi. Il jouait dans mon lit en mangeant des chips! Une joie à lui tout seul.
Néanmoins, la fièvre persistait. Le chirurgien prit alors la décision de m'opérer une troisième fois pour retirer la prothèse. Un geste très simple, très rapide. Mais qui nécessitait encore une anesthésie. Même si je retournais au bloc à contrecœur, j'aurais tout fait pour que la fièvre s'arrête.
Le lundi 8 mars, j'attendais donc dès la première heure mon passage en salle d'opération. Entre temps la situation du Covid avait encore empiré. Le matin même ils avaient annoncé le retour du plan blanc et les annulations massives des opérations programmées. Ces déclarations avaient manifestement perturbé fortement l'activité de la journée. A 20h j'attendais toujours. Le chirurgien passait régulièrement me donner des nouvelles. Il attendait également de pouvoir m'opérer pour pouvoir rentrer chez lui... J'étais la prochaine sur la liste mais il semblait y avoir des complications avec le patient opéré avant moi. A 23h, on descendait enfin. Soulagée de mettre fin à cette longue attente.
Sans surprise l'opération aura été de courte durée et je remontais en chambre quelques heures plus tard.
Le lendemain, la fièvre était enfin tombée. J'allais pouvoir récupérer ...et entrevoir une perspective de retour à la maison!
Quelques jours plus tard, je retrouvais enfin ma petite Charlotte !! Elle avait été préparée à mon retour. De nature volubile, on lui avait expliqué les précautions à prendre avec moi. Elle appréhendait un peu mais après un petit temps de réserve, elle finit par me "douliner" comme elle aime à dire.
Une longue séance de câlins qui a ensuite laissé place à la curiosité. Depuis plusieurs mois, les enfants voulaient savoir quand j'allais retrouver mon sein. Charlotte me demandait souvent s'il allait repousser !! Malgré les explications, elle avait maintenant besoin de se confronter à la réalité pour comprendre ce qu'il en était vraiment. Dès qu'elle était sur mes genoux, elle passait donc le plus clair de son temps à me déshabiller pour aller voir mes pansements sous mon tee-shirt. Elle prenait grand soin de les compter et reprenait l'opération quelques instants plus tard. Là encore, je la laissais faire, préférant répondre à sa curiosité.
Bernard, qui avait ramené les enfants de vacances, était finalement resté ces quinze jours supplémentaires d'hospitalisation auprès de Vincent. A mon retour, il repartait quelques jours à St Malo, pour revenir peu de temps plus tard pour m'aider tandis que Vincent partait travailler ! Un chassé-croisé indispensable compte tenu de mon état.
On était maintenant le 20 mars 2021, un confinement "partiel par département" était de nouveau décrété. Nous étions bien évidemment parmi les premiers départements concernés. Ni une ni deux, nous avons très rapidement repris le chemin du perche avec un ultime changement d'école qui durera cette fois jusqu'à la fin de l'année !
Bernard nous accompagnera dans cette épopée et nous conduira avec les enfants dans le Perche, le temps que Vincent nous rejoigne.