Le 3 décembre, la fibroscopie aura permis de déceler une forte irritation et des saignements importants, ne facilitant pas l'examen. La gastro-entérologue a fait plusieurs prélèvements qu'elle envoie au labo. Dans le même temps, elle demande à ma mère de passer une IRM pour compléter l'imagerie, rdv le 12 décembre.
Le 11 décembre, anniversaire de Jules, ma sœur Julie. Le cœur n'est pas à la fête.
Le 13 décembre, la gastro-entérologue reçoit mes parents pour leur faire état des résultats. Cancer de l'œsophage.
Dans la matinée, ma mère m'appelle pour m'annoncer la nouvelle. Je suis au bureau, je l'écoute, complètement abasourdie. Je n'arrive pas à y croire. Je pense que cette possibilité ne m'avait absolument pas effleuré l'esprit. Je suis anéantie. Elle me demande de ne pas pleurer. Impossible. Je finis par me calmer, on raccroche. Je descends les escaliers 4 à 4, j'ai besoin d'air ! Je marche, je fais le tour du quartier, j'essaye de me calmer. Les pires scénarios me passent par la tête. J'appelle Vincent, il est aussi ébranlé que moi. Je remonte dans mon bureau. Je fais acte de présence jusqu'à la fin de la journée. Mon corps ici, mon esprit avec ma mère.
Les jours qui ont suivi ont été très difficiles. Alternance d'insomnies, de pleurs. Être là pour elle, l'appeler tous les jours, la soutenir, lui donner le courage d'affronter les événements. Chercher des solutions, apprendre à connaître la maladie, les traitements. Toutes mes recherches google sont axées là-dessus, comme si c'était la clé pour trouver la porte de sortie.
La date du 19 décembre est arrivée, je l'avais presque oublié. Envahie par le chagrin et l'inquiétude, rien d'autre n'avait de place. Et puis j'étais sereine. Le scanner était positif, on n'allait "que" confirmer ce diagnostic.
Le matin même, sous la douche, je sens néanmoins une nouvelle boule, dans le creux axillaire. J'imagine qu'il s'agit d'un ganglion, je croise les doigts pour qu'il ne s'agisse pas à nouveau d'une réaction à un virus sous-jacent.
Je me rends donc au CSE, centre d'imagerie situé dans le 10ème arrondissement.
A l'écho, les premières images viennent corroborer l'hypothèse initiale. La boule est liquide, l'échographe n'est pas inquiète.
Elle poursuit l'examen.
Et là elle s'arrête sur une autre masse. Plus petite. Mais qui présente des microcalcifications.
Je n'avais jamais entendu ce mot mais je comprends dans son regard et dans le ton de sa voix que ce terme n'augure rien de très bon. En savoir + sur les microcalcification ici
J'en profite pour mentionner la petite boule dans le creux axillaire : tant que j'y suis, autant réaliser un examen complet.
En savoir + sur l'échographie ici
"On va passer à la mammographie" m'annonce-t-elle. Merde, ce n'était pas dans le cahier des charges initial.
Elle se veut rassurante, ça ne veut rien dire. Vous êtes jeune. Simple précaution.
Je passe à la deuxième salle d'examen. "Je suis jeune. J'ai allaité presque 4 ans en cumulé. Je ne fume pas. J'ai toujours été sportive". Ces 4 phrases tournent en bouclent dans ma tête alors que la chaleur du stress commence progressivement à envahir tout mon corps.
Résultat de la mammo: masses suspectes à contrôler par biopsie - dans le sein et dans le creux axillaire.
En savoir + sur la mammographie ici
J'ai les jambes qui flanchent, les larmes qui montent d'un coup et je m'effondre auprès du médecin qui réalise l'examen. Je lui raconte tout : ma mère, le scanner, le CMV, je suffoque, tout se mélange, je lui dis que ce n'est pas possible, qu'il y a forcément une explication. "Je suis jeune. J'ai allaité presque 4 ans en cumulé. Je ne fume pas. J'ai toujours été sportive" Rien n'y fait, elle est formelle : il faut aller plus loin, elle ne peut pas s'avancer. Mais ça peut aussi ne rien être. Ne pas s'inquiéter tant qu'on a pas les résultats.
Et justement, c'est tant qu'on n'a pas de diagnostics qu'on s'inquiète. C'est l'attente des résultats qui fait grandir l'inquiétude. Une fois que le résultat est donné, on passe à l'action. A ce moment-là, l'inquiétude, bien que toujours présente, est alors reléguée au second plan.
Mais ça, pour l'instant, je n'en ai pas encore conscience...
La biopsie est programmée le lendemain matin. La "macrobiopsie". J'apprends en effet il y a 2 types de biopsies à réaliser : une macro et une micro biopsie. La microbiopsie est programmée la semaine suivante.
En savoir + sur la biopsie ici
Inquiète de voir la rapidité à laquelle ils mettent ces rendez-vous en place, j'essaye de me rassurer en me disant que leur empressement est relatif à l'approche de Noël ; comme partout on boucle les dossiers avant les vacances... Naïveté ou politique de l'autruche? Disons, surcroît de positivité !
Je sors du centre d'imagerie, j'appelle Vincent. J'essaye de paraître sereine même si je ne lui cache pas mon inquiétude. De son côté, il tente d'être rassurant, confiant.
Le lendemain, retour au CSE, le médecin, une belle femme d'une quarantaine d'année, un brin autoritaire, pratique l'examen. Sans douceur, sans empathie.
Elle propose de "vider" le kyste liquide avant de procéder aux prélèvements sur les 2 masses suspectes. A son grand étonnement, le kyste est rempli de sang. Elle n'est pas sereine, manifeste son inquiétude et m'indique que le prélèvement va lui aussi partir pour analyse.
Elle s'agite, me fait mal. Elle m'interroge sur mes antécédents, sur mes antécédents familiaux. L'examen est particulièrement désagréable, je pense à ma mère mais j'ai peur pour moi aussi maintenant.
Elle finit par me convoquer l'après-midi même pour réaliser le 2ème examen ; la fameuse microbiopsie qui était initialement prévue la semaine suivante. Cet empressement ne me dit rien qui vaille.
Elle me demande les références de mon/ma gynécologue. Je n'ai que Billy. Je lui fais confiance, il m'a toujours suivi. Il a toujours su être beaucoup plus fiable et délicat que tous les gynécologues croisés auparavant. J'ai fini par abandonner cette spécialisation il y a déjà pas mal d'années. Elle, en revanche, n'est décidément pas en phase par ma prise de position. Une sage-femme n'est pas en mesure de suivre mon dossier. Il me faut un gynécologue spécialisé et compétent. Elle propose de m'adresser à une Professeur du service du pôle chirurgie et cancérologie gynécologique et mammaire de la Pitié Salpêtrière. Ca y est le mot est lâché pour la 1ère fois : "cancer". Je reste interdite, je me dis que je vais me réveiller, que tout ceci est un mauvais rêve.
"Si je vous envois auprès de la Professeur, il faudra me suivre et aller la voir. Pas question de la déranger si vous ne jouez pas le jeu" me dit-elle. Ça ne risque pas, je ne suis pas d'humeur à jouer. Je devrais être soulagée d'être adressée à un ponte de la cancérologie mais c'est tout l'effet inverse à ce stade. Ça ne fait que rendre les choses plus concrètes et sans espoir.
Elle continue dans le même temps de me répéter que ça ne veut rien dire, qu'il faut rester confiant, que je suis jeune, blablabla... Et que même si c'était ça, le cancer du sein, on le soigne très bien maintenant.
Je n'arrive pas à démêler le vrai du faux : excès de prudence ou véritable risque, elle semble faire partie de ces femmes charismatiques qui en font parfois trop. Avec le recul, je crois que j'essayais de me raccrocher à tout ce que je pouvais pour ne pas voir la vérité en face...
Je rentre chez moi en trottinette électrique ; début des lime à Paris, véritable révolution dans le transport de proximité.
Mon sein est particulièrement douloureux, marqué par quelques petits coups de bistouris.
J'essaye de faire le calme dans ma tête et de ne pas penser à la suite.
Je prends des nouvelles de ma mère, je ne lui dis pas un mot de ce qui est en train de se passer. Je ne veux pas la surcharger.
L'après-midi, je retourne me faire charcuter le sein et l'aisselle. J'appréhende, j'ai toujours mal à l'issue du premier examen. La boule, gorgée de sang, qui a été ponctionnée ce matin, s'est de nouveau remplie.
Toujours le même médecin, toujours le même empressement et précipitation dans les gestes. La douleur n'a pas sa place.
L'examen est un carnage. Elle n'arrive pas à faire le prélèvement. L'aiguille n'a de cesse de "rouler" sur les masses à prélever qui sont trop dures pour être percées. Elle replacera à plusieurs reprises l'appareil pour tenter de nouveaux "carottages". Au final, elle semble avoir pu faire quelques prélèvements.
Elle finit par se confondre d'excuses, regrettant que ça se soit si mal passé.
Je repars le moral dans les chaussettes, des points de sutures et des ecchymoses sur le sein.
Les résultats ne seront pas disponibles avant 15 jours, transmis à l'hôpital Le rendez-vous est déjà fixé au 4 janvier.
15 jours, le bout du monde. On est le 20 décembre, Joyeux Noël.
Nous arrivons à St Malo. Noël a un goût amer cette année. Heureusement, il faut jouer le jeu pour les enfants.
Je ne sais pas comment qualifier la peur et l'inquiétude face à la maladie de ma mère. Je la vois, je m'effondre. On ne connaît rien à sa maladie, on s'interroge, on essaye de s'informer. On regarde sur le web. La pire chose à faire dira-t-on. Oui et non. Il faut faire le tri, rationnaliser, vérifier les sources, ne pas se laisser aller aux pathos des forums qui décrivent les situations les plus pessimistes. L'exercice est délicat mais salutaire. Il faut que je puisse me raccrocher à des éléments tangents, rationnels pour me construire un abri de positivité. Un refuge d'arguments optimistes qui me permettent de garder confiance. Et surtout lui transmettre cette confiance.
"C'est probablement le dernier Noël que nous passons ensemble" me dit-elle. Je ne veux pas entendre ces mots, ils sont d'une violence inouïe. Comment peut-elle baisser les bras alors que les traitements n'ont pas commencé ? Comment peut-elle imaginer nous abandonner sans avoir essayé ?
Je me réfugie dans mon fameux abri de positivité et dégaine mes meilleurs arguments. Elle ne lutte pas avec les mots. Je ne la sens pas convaincue mais fataliste. Je ne lâcherai pas l'affaire. J'y retournerai demain.
Compliqué de faire preuve de sérénité et de confiance au moment même où je suis plongée dans un brouillard d'inquiétude face à ma propre situation. Mon sein douloureux me rappelle à chaque instant la longue attente à laquelle je fais face.
Murée dans le silence pour ne pas inquiéter ma mère, j'échange à demi-mots sur le sujet avec mon père et ma sœur. J'ai aussi besoin d'être rassurée, consolée. Partagée entre la nécessité d'être épaulée et de ne pas les surcharger. Les préserver d'inquiétudes qui pourraient ne pas être justifiées.
Deux ans après, je n'ai quasi aucun souvenir de ce Noël. Hormis la peur, les larmes et l'attente.
On repart de St Malo au bout de quelques jours et on s'arrête dans le Perche se ressourcer dans notre maison de campagne. On a acheté cette petite maison il y a maintenant presque 4 ans. Le Gault du perche, bourgade de 300 habitants perdue en pleine campagne. Un contraste abyssal avec notre quartier de château rouge à Paris. Ni l'un ni l'autre ne sommes citadins. Vincent encore moins que moi. Après notre arrivée à Paris, le besoin d'espace, d'air, de vert s'est rapidement fait ressentir. Cette maison, c'est notre refuge. Notre bouffée d'oxygène. Impossible pour moi d'enchaîner plus de deux week-ends parisiens. J'étouffe.
J'ai dit aux enfants la vérité. Véritables éponges, ils sentent tout ce qui se passe. Ils perçoivent la peur, la tristesse. Pour moi, il est indispensable d'être transparente avec eux. Je pars du principe que l'inconnu accroît la peur. Je ne veux pas l'entretenir. Parler nous permet de dédramatiser.
Pour Isa, on a parlé d'une longue maladie, très grave. Qu'il fallait prendre soin d'elle et que la guérison allait nécessiter des traitements lourds, qu'elle allait être très fatiguée. Quand ils l'ont vu, ils ont perçu sa fragilité et nos inquiétudes. Ils ont été très délicats, presque pudiques avec elle.
Pour moi, on a parlé d'une boule dans le sein, que cette boule pourrait-être "gentille" ou "méchante" et que pour la soigner il fallait l'analyser. D'où les bobos sur le sein. Charlotte, qui est toujours allaitée à ce moment-là, est aux premières loges. Mais elle ne semble pas être perturbée par le fait que je ne lui donne quasiment que le sein droit.
Le 27 décembre, ma mère rencontre pour la première fois son oncologue. Le plan de bataille est lancé, au programme : chimiothérapie.