Le 6 aout, l'examen est réalisé par une échographe de l'hôpital, elle est formelle : aucune lésion cancéreuse. Le premier diagnostic est confirmé. Un immense soulagement !
De retour chez moi, l'appartement me semble bien vide, personne avec qui partager la bonne nouvelle. Je trinque seule en cette date d'anniversaire.
La séance de radiothérapie, initialement planifiée ce même jour est annulée. Une panne de machine. On m'avait prévenue que c'était courant, que les traitements étaient souvent interrompus pour ces raisons. Je n'imaginais pas que ça arriverait si vite. Décidément, j'aurais préféré rester un jour de plus avec Vincent et les enfants. Chaque jour, chaque petit bonheur compte. Le temps prend une tout autre dimension avec la maladie.
Le lendemain, le mercredi 7 aout, j'enchaîne donc avec la première séance de radiothérapie. Je ne suis pas peu fière d'avoir réussi à me baigner pendant toutes les vacances tout en préservant les marques. Mais je me garde bien de m'en vanter...ils n'ont pas trop d'humour sur le sujet !
La première séance est dédiée aux réglages. Les manipulateurs me positionnent sur la table et vérifient les repères pris entre mon corps et les rayons émis par la machine. Ils définissent une position qu'il faudra maintenir tout au long de la séance et répéter au cours des prochaines.
En savoir + sur le déroulé d'une séance ici.
Le traitement n'est ni douloureux, ni stressant. C'est même plutôt rapide. Par contre c'est un investissement lourd en temps et il faut parfois s'armer de patience entre les trajets et les longues périodes passées en salles d'attente...pour seulement 15 min de séances. Mais peu importe, seule la guérison compte, quoi qu'il en coûte.
Et ce qu'il en coûte, c'est de l'énergie. Ce sont des traitements particulièrement éprouvants en termes de fatigue. D'abord parce que, si l'action des rayons n'est pas visible, l'activité cellulaire est en pleine ébullition et le corps est mis à mal. Ensuite, comme on ne ressent pas directement d'effets secondaires, on en profite pour reprendre une activité "plus normale". Pour ma part, j'ai recommencé à aller plus régulièrement au bureau, j'ai multiplié les allers/retours à la campagne...et je me suis vite retrouvée complètement épuisée. L'enchaînement des traitements des derniers mois, cumulés à la récurrence des séances de radiothérapie, ont fini de m'exténuer.
Le 8 août, pas de séance de radiothérapie. La machine est en maintenance. Apparemment elle en avait besoin !
Je ne suis pas pour autant dispensée d'une visite à l'hôpital. J'ai rendez-vous aujourd'hui avec l'onco-généticienne, pour les résultats des recherches réalisées en janvier.
J'y vais très sereine, simple formalité. Il n'y a jamais eu de cancer du sein dans la famille. Je suis loin d'imaginer ce qu'il m'attend.
Très rapidement, elle m'annonce que je suis porteuse du gène BRCA 1, un gène prédisposant au cancer du sein. "Vous savez le gène d'Angelina Jolie ?". Non, je ne sais pas. Qu'est-ce qu'elle vient faire dans la discussion celle là? De quoi me parle-t-on? Je tombe des nues, une fois de plus. Je m'aperçois que je ne m'étais pas préparée à cette possibilité et que je suis en terre inconnue sur le sujet. Mes premières pensées sont pour mes enfants, et surtout Charlotte. Il y a 50% de risque que le gène leur été transmis. Je pense qu'il n'y a rien de plus culpabilisant pour un parent que de se sentir responsable d'un tel héritage. "Tu n'y es pour rien": paroles réconfortantes de l'entourage mais néanmoins insuffisantes. On a beau dire, on voudrait toujours que nos enfants soient épargnés. On ne peut s'empêcher de se sentir responsables. Cette angoisse prend alors toute la place et je voudrais pouvoir l'évacuer au plus vite. En tout cas être fixée. Mais pour ça, j'apprends qu'il va falloir que je prenne mon mal en patience. La recherche génétique ne peut être demandée que par eux, à leur majorité. En première réaction, je trouve ça injuste et complètement déroutant. On va devoir vivre avec cette épée de Damoclès au-dessus de leur tête pendant encore de longues années. Après, je comprends le principe éthique et de droit individuel à l'information mais là, ça me paraît insoutenable.
Finalement, c'est le Professeur qui trouvera les mots pour m'apaiser à ce sujet. Ou du moins, calmer ma curiosité oppressante.
D'une part, les cas de cancers du sein avant 20 ans sont quasi inexistants et d'autre part, d'ici 18 ans, la recherche aura encore fait des progrès phénoménaux et les traitements n'auront plus rien à voir.
Alors certes, si on avait les résultats dès à présent, on aurait 50% de chance d'être soulagés par une bonne nouvelle. Mais dans le cas inverse, on serait condamnés à vivre très tôt dans l'angoisse de la maladie et dans l'impuissance de s'en prémunir. Rien de pire pour développer des pathologies liées à ce stress.
Quoi qu'il en soit, il n'y a rien qu'on puisse faire avant un bout de temps, à part soutenir la recherche pour que des progrès soient encore faits. Alors autant rester confiants et surtout leur donner confiance.
On se penche ensuite très vite sur les autres membres potentiellement impactés par cette nouvelle. La première dans le viseur, c'est Julie. Nouvelle angoisse. Elle est directement à risque. La première recommandation c'est un bilan complet écho/mammo puis une recherche génétique. L'idéal étant d'étendre la recherche à Bernard et Isa pour savoir quelle branche de la famille est concernée. L'oncogénéticienne recommande néanmoins que les tests soient généralisés à l'ensemble des filles de la famille. Le cœur lourd, je m'engage à faire circuler l'information au plus vite, même si ce n'est pas une démarche facile. Me voilà à devoir jouer l'oiseau de mauvais augure.
L'entretien continu mais mon esprit est ailleurs. Je ne sais pas comment l'annoncer à Jules. J'appréhende tellement sa réaction. Voilà déjà des mois qu'elle se dévoue intégralement auprès de ma mère. Elle a déjà tant d'inquiétudes à gérer ; je sais que je vais en rajouter une couche.
Je tergiverse. Elle m'interrompt par une cascade d'autres mauvaises nouvelles : ça serait bien de retirer le 2ème sein et les ovaires... "Mais quand vous dites ça serait bien, j'ai vraiment le choix ?" A vrai dire, pas vraiment. On a toujours le choix, mais compte tenu de la nature du cancer et de cette prédisposition, les risques sont trop élevés pour parler de choix.
Nouveau coup dur. Je suis tellement fatiguée d'encaisser ce genre de nouvelles. L'idée de perdre le 2ème sein n'avait jamais vraiment pris place. C'était une éventualité peu concrète. Cette fois, j'étais face à une réalité qu'il allait falloir encore affronter. Je n'avais pas encore fait le deuil de la possibilité d'avoir un 3ème enfant. Je comprenais maintenant que si une autre grossesse était encore envisageable, je serais privée des doux moments de l'allaitement. Or je n'ai jamais pu dissocier les deux, tellement l'allaitement s'inscrivait dans le prolongement de la grossesse.
La deuxième nouvelle à digérer c'était le retrait des ovaires. "N'y pensez pas maintenant, on a le temps. Pas avant 40 ans." Je tique un peu, 5 ans, c'est demain. Et je réalise alors ce qu'implique une ménopause à 40 ans. Coup de vieux. Il y a une énorme différence entre être ponctuellement ménopausée par les traitements et une ménopause définitive. Je me vois déjà grosse et fripée dans un temps beaucoup plus court que ce que je m'étais imaginée. Gloups. Je sors de l'entretien sonnée. Je me revois, dehors, à errer dans le parc de la Pitié. Petit moral.
A partir du jour où on m'a annoncé que j'avais un cancer, je n'ai cessé de m'interroger sur les raisons et les causes de ce cancer. Pourquoi moi ? Pourquoi maintenant ? Persuadée d'être à l'origine de cette maladie, j'ai cherché en moi ce qui pouvait "clocher" pour en arriver là. On dit souvent que le cancer est en nous et qu'en fonction des gens, il se déclenche ou pas. En vérité c'est un peu plus complexe que ça. Et si on sait que l'aspect émotionnel ou le stress sont des facteurs d'influences importants, d'autres facteurs externes pèsent tout autant dans la balance. Et malheureusement aujourd'hui nous sommes toujours incapables d'incriminer une seule cause. Ce qui rend l'acceptation de la maladie encore plus difficile.
Après avoir longtemps pensé que j'avais un rôle à jouer dans la guérison de ma mère, j'ai ensuite creusé du côté de mes émotions, de mes relations aux autres, de mon environnement de travail, de vie... Toujours en quête de sens.
Aujourd'hui, on me donnait une nouvelle version. Un facteur génétique. Je ne savais pas comment intégrer cette nouvelle donnée à l'équation. Si le gène venait de mes parents, ça me dédouanait d'une certaine responsabilité ? Et si la mutation avait eu lieu à mon niveau ? Est-ce que ça signifiait que j'avais bel et bien déclenché ce tsunami ? Et puis j'ai en eu marre de m'accabler de culpabilité, fatiguée de m'observer d'un œil réprobateur. Entretenir cette culpabilité était tout aussi nocif que ce cancer.
J'ai alors commencé à accepter l'idée que je ne saurais jamais d'où ça pouvait réellement venir. Mais que par contre, cette épreuve m'aura permis de toucher une fragilité précieuse. Si j'ai perdu une insouciance et une légèreté face à la vie, j'ai gagné quelques années de sagesse. Aujourd'hui, j'ai l'impression d'être détentrice d'un secret inestimable. Telle une privilégiée à qui on offre une seconde chance. Et cette chance, je n'ai plus envie de la gâcher ou de la gaspiller. Ça fait un peu de tri, ça remet un peu d'ordre. En tout cas, ça fait voir la vie différemment, avec beaucoup plus de sérénité.
Les séances de radiothérapies se sont enchainées tout le mois d'août. Les enfants naviguaient entre Périgueux, le Perche et St Malo.
Ma mère était enfin sortie de l'hôpital, elle était de plus en plus fatiguée mais la tumeur s'était en partie résorbée sous l'effet des rayons. Elle avait un peu moins mal à la tête et surtout elle n'avait plus de trouble neurologique. En revanche, elle avait des espèces d'abcès sur le crâne. A ce moment-là, on imaginait naïvement des réactions cutanées, des effets secondaires liés à la radiothérapie. On n'apprendra que plus tard qu'il s'agissait également de tumeurs qui se développaient, alors que dans le même temps la tumeur au cerveau diminuait. Comme si la maladie échappait à tout contrôle, totalement immaîtrisable...
On hésitait donc à laisser les enfants à St Malo, partagés entre l'idée que leurs présences lui fassent du bien et la fatigue que ça pourrait engendrer. Finalement, ils resteront une petite semaine. De ces jours-là, il me reste le souvenir d'Isa lisant des histoires à Charlotte. Blottie contre sa grand-mère sur le canapé du jardin, Charlotte faisait preuve d'une douceur inhabituelle. A deux ans, elle débordait d'énergie. Mais les enfants avaient perçu sa fragilité et interagissaient avec elle avec délicatesse.
Depuis le mois de mai, Bernard et Isa avaient accueilli Pearl, une petite bulldog français, âgée maintenant de 6 mois. A l'instar des enfants, la petite boule de poil se mettait au rythme d'Isa, malgré son jeune âge. Un puit d'amour qui lui faisait du bien.
Contraints de rester à Paris pour la radiothérapie, on profita de ce temps sans enfants pour faire quelques travaux dans l'appartement. On refera cet été là la salle de bain. Des travaux qui me laisseront un goût amer, fatiguée par les traitements, préoccupée par l'état de ma mère, on ne peut pas dire que j'avais le cœur à l'ouvrage. J'étais à la fois partagée entre l'envie de continuer à construire des choses, d'avoir des projets et le sentiment que ces considérations matérielles étaient des plus futiles. Difficile de trouver un sens à tout ça dans ces circonstances.